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Un monde pourri... et autres raisons de se lamenter
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- Catégorie : Littérature générale > Nouvelles
- Date de publication sur Atramenta : 15 mars 2013 à 18h48
- Dernière modification : 15 mars 2013 à 18h54
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- Longueur : Environ 373 pages / 93 272 mots
- Lecteurs : 444 lectures
Cette oeuvre est complète, mais a besoin de relecteurs.
Un monde pourri... et autres raisons de se lamenter (Oeuvre réservée à un public averti)
Clochemerle en campagne
Il s’agit d’un emprunt autorisé à un autre auteur sur In libro veritas, ati, dont j’ai repris le sujet traité dans "Pauvres pigeons". Pour moi, ce fait-divers désolant devait s’inscrire dans un malaise plus profond de nos campagnes maltraitées.
Le ciel est beau, mais l’air est encore froid, même si cet hiver bat des records de douceur. Il est encore tôt, mais les bêtes ne peuvent attendre. Il faut les nourrir, les traire et les sortir. Pierre a la charge des vaches, des chèvres et des poneys. Sa femme Marielle s’occupe du reste du cheptel, à commencer par les chiens et le chat. Les plus faciles à nourrir, ce sont les escargots. Mais il y a encore la basse-cour, aux multiples espèces, les lapins et les deux cochons.
La ferme est semblable à l’idée que s’en font les citadins. Elle sert de gîte entre avril et octobre. Pierre a fait depuis longtemps le choix de la diversité des revenus ainsi que de l’autosuffisance alimentaire.
Il cultive aussi de nombreux légumes, du fourrage, de l’herbe pour ses lapins, un peu de vigne pour du raisin de table, du maïs pour l’ensilage, et quelques parcelles de blé et de colza. Il est propriétaire de vingt hectares de bois, dont deux hectares clos contigus à ses prés dans lesquels s’ébat une petite harde de chevreuils. Quelques ruches, un verger et des fleurs viennent compléter ses ressources.
À travers le tsssi-tsssi de la trayeuse, il entend la voix de sa femme qui l’appelle. Il ressent à son timbre inhabituel quelque chose de grave. Il se précipite dans sa direction, traverse la cour en un éclair, la rejoint à la volière.
Le spectacle est désolant.
Celle-ci a été saccagée. Les vitres sont brisées, des perchoirs sont cassés, les nids sont à terre et des corps gisent épars dans la gelée du matin. Sa femme pleure, un couple de perruches dans sa main : ses préférées. Lui ramasse un de ses pigeons qui hier encore faisait sa fierté. Ses plumes sont douces mais son cœur ne bat plus. Son cou pend, brisé. L’oiseau dormait et son agresseur n’a eu aucune pitié. D’autres ont été écrasés par des bottes et sont maculés de boue.
Malgré lui, Pierre passe ses doigts dans le plumage. En caressant le duvet de son ventre, il pense au lien qui le reliait à l’animal. Sa passion lui est venue durant son service militaire, en 1968. Il avait été affecté au 8e Régiment de Transmissions au Mont Valérien, près de Paris, pour s’occuper du chenil, après ses classes. À proximité, il y avait « Le Colombier ». Et puis un jour, il avait dû nettoyer aussi les cages des pigeons, à la place d’un autre. Il ne jurait que par les chiens, et s’était rendu de mauvaise grâce auprès du sous-off pour recevoir les consignes de la corvée. Il avait eu un mot sur la « cervelle de pigeon » et le cadre, passionné par son boulot, l’avait fait entrer dans son bureau. À l’intérieur, c’était un vrai musée tout à l’honneur du pigeon militaire. Des lettres de félicitations décernés aux animaux, des faits rocambolesques, des messages de la résistance, et même un fourreau destiné à contenir un pigeon durant un saut en parachute... Combien de vie avaient été sauvées par des pigeons ? Le sous-off était intarissable, et alla nettoyer les volières avec lui. Les pigeons le connaissaient et n’étaient pas effrayés. C’est ainsi qu’il pu en prendre un pour la première fois dans sa main. Depuis, il s’était initié et participait à des concours.
Il compte les cadavres à terre. Deux ou trois avaient dû survivre et reviendraient bientôt. Mais il ne fallait pas espérer récupérer les grives, les moineaux et les canaris qui avaient réussi à fuir.
Pourquoi ? C’est la question que certainement lui poseraient les gendarmes. Le mobile des vandales était clair. Le désir de lui faire du mal, par jalousie, mais aussi pour le menacer.
Cela pouvait être n’importe qui parmi les natifs du village. Pour eux, il était à la fois un paria et un traître.
Paria, parce que lui n’avait jamais suivi les mêmes décisions qu’eux. Lorsque durant les années soixante-dix, la situation agricole s’aggrava, les petits agriculteurs s’endettèrent pour augmenter leur production. Achat de terrains, mais surtout mécanisation et engrais pour augmenter les rendements ainsi que projets ruineux d’élevage automatisé. Mais les bénéfices étaient engloutis par les intérêts, la baisse des prix d’achats par les grandes surface, la surproduction généralisée... Alors, des conseillers financiers les incitaient à s’agrandir, et à s’endetter plus. Les mauvaises années, les subventions qui arrivaient trop tard, les indemnisations de tempêtes qui n’arrivaient jamais, les maladies, la défiance des consommateurs, la mauvaise qualité, le forcing des grandes surfaces entraînèrent des faillites. Tandis que Pierre, lui, avait choisi toujours la diversité, les produits haut de gamme et s’était parmi les premiers converti au camping à la ferme, puis au gîte. Pour cela, il avait été aidé par Marielle, une parisienne, rencontrée durant son service, qui lui avait été de bon conseil. Il l’avait épousée, sans dot, au détriment d’une autre famille du cru, qui aurait voulu caser sa fille unique et fusionner les deux exploitations.
Aujourd’hui sa situation financière, loin d’être mirobolante, était pourtant saine. Mais, par sa faute selon les autres, une fille avait quitté le village pour trouver un mari, et la ferme de ses parents avait été vendue à la mort du père, à un anglais en plus.
Traître aussi car il avait pris le parti des citadins qui avaient acheté des fermes abandonnées et en triste état à prix d’or pour les familles du coin qui dans leur idée avaient escroqué ses idiots de la ville, et qui ensuite se mordaient les doigts d’avoir vendu trop tôt, jamais assez cher à leur goût. Ces citadins qui se prélassaient tous les week-end et tous les étés tandis que eux s’échinaient du matin au soir pour rembourser leurs crédits leur étaient devenus insupportables. Et voilà qu’ils s’étaient inscrits en mairie, et allaient voter aux prochaines élections, contre le maire « Chasse, pêche, tradition » au nom de l’écologie. Les fils étaient « partis » à la ville, laissant les vieux seuls face aux envahisseurs qui allaient prendre le pouvoir « chez eux ». Et Pierre était le seul qui trouvait grâce à leurs yeux. Il avait été convié à se joindre à leur liste, avait promis de réfléchir.
Pierre, en fait, avait pensé servir à la fois d’ambassadeur et d’interprète entre ces deux mondes qui aujourd’hui menaçaient de s’affronter cette fois au grand jour, et non pas en guerre larvée comme précédemment. Il avait essayé de faire venir certaines familles à des réunions de l’ « opposition » pour leur faire comprendre les nouveaux enjeux du 21e siècle. Mais le monde paysan avait soit évolué vers le stade industriel et le profit, soit dans la course contre la faillite. Il n’y avait plus de place pour le dialogue, plus le temps de la réflexion, et plus le choix pour beaucoup.
« Qui ? » lui demanderaient les gendarmes.
Son concurrent direct dans les concours ? Non, pas lui. Pierre le sait bien. Ce type de compétition est une émulation permanente et une source de respect commun pour les compétiteurs. On ne dope pas ses oiseaux, mais on doit savoir les entraîner, les sélectionner, les nourrir, les soigner...
« Pourquoi alors » insisteraient-ils ?
Depuis longtemps, les gendarmes viennent de familles qui ont perdu le contact avec la terre. Ils sont aussi d’autres régions. Ils ont l’habitude d’être respectés, mais mis à l’écart quand même. Ceux qui leur parlent le plus sont les corbeaux, toujours à critiquer leurs voisins, à dénoncer telle incartade, à accuser sans preuve... Ils ne peuvent pas comprendre.
Et puis, des preuves d’ailleurs, il y en a pas. Il n’y a bien qu’eux pour croire qu’on puisse oublier une cagoule avec le nom du propriétaire brodé à l’intérieur sur le lieu d’un forfait. Ils vont juste constater les faits, poser quelques questions à des visages fermés qui se réjouiront de son malheur, noircir du papier... pour sa compagnie d’assurance. Mais un nouveau couple de perruches ne soignera pas la douleur de Marielle, les billets s’envolent mais ne reviennent pas vers leur propriétaire, et la justice ne rendra pas les vandales intelligents.
Pourquoi s’est-il engagé dans ce combat politique ? Faire cesser la chasse trop près des nouvelles maisons, faire respecter la loi sur le type d’insecticide et les quantités préconisées à répandre afin de protéger les abeilles, interdire les tracteurs bruyants le week-end, augmenter les impôts pour faire aménager les abords du lac... ? En 1968, avec Marielle, il avait bien participé à quelques manifs, pour la suivre, la protéger...
...mais aujourd’hui ?
Il va tâcher d’aller discuter avec ses anciens copains d’école, essayer encore de les tirer de leur aveuglement, de les exhorter à trouver de nouveaux débouchés, comme lui...
C’est alors qu’il aperçoit ses jeunes pruniers, en fleurs depuis plus d’une semaine, malgré le retour du gel, heureusement très léger. De nombreuses branches sont coupées, certainement à la hachette, à leurs pieds. Il pose le pigeon et se dirige vers le verger. Même les troncs ont été abîmés Il va devoir en arracher une grande partie, irremplaçables durant plusieurs années. Ils n’ont pas osé toucher aux ruches, craignant certainement l’attaque des abeilles, pourtant inoffensives la nuit en cette saison, trop engourdies pour se défendre.
La guerre est déclarée. Pas question de prévenir les gendarmes. Il sait qu’il va devoir veiller sur sa propriété pour prévenir de nouvelles dégradations. Cette fois, les chiens seront dehors au lieu de dormir tranquillement sur le tapis devant la cheminée. Et son double superposé sera chargé au plomb de douze. Pas de quoi tuer quelqu’un mais assez inquiétant pour un rôdeur, et douloureux à vingt-cinq trente mètres pour une paire de fesses.
Tout à l’heure, il va téléphoner à la tête de liste, pour lui dire que c’est d’accord, qu’il peut compter sur lui. Au moins, son ou ses vandales comprendront que leurs ignominies n’auront servi à rien, bien au contraire. Pierre redresse la tête, refuse la soumission à la bêtise. Il se sent déjà mieux, mais jusqu’au mois de juin prochain, les esprits, déjà échauffés par des élections présidentielles indécises risquent de déraper.
(Il s’agit des municipales de 1995 : ndla)
Table des matières
- Préface Env. 3 pages / 708 mots
- ... Env. / 0 mots
- Un Monde Pourri Env. / 0 mots
- Les routiers sont sympas Env. 5 pages / 1437 mots
- Le cœur d’Hélène Env. 9 pages / 2917 mots
- Impitoyable sélection Env. 11 pages / 3259 mots
- Pause café Env. 5 pages / 1630 mots
- Concurrence déloyale Env. 12 pages / 2501 mots
- Mensonges : Entrée en matière Env. 11 pages / 2733 mots
- Mensonges : Le tableau de sévices Env. 14 pages / 3537 mots
- Mensonges : Point de rupture Env. 15 pages / 3637 mots
- Actualités du repas de dimanche Env. 23 pages / 4988 mots
- Bleu comme un horizon bouché Env. 9 pages / 1806 mots
- Clochemerle en campagne Env. 8 pages / 1782 mots
- Un homme en colère Env. 7 pages / 1631 mots
- Les autres raisons de se lamenter Env. / 0 mots
- Représentation publique Env. 6 pages / 1322 mots
- Fuck Env. 8 pages / 1653 mots
- Jusqu’aux limites Env. 7 pages / 1570 mots
- Explosion Env. 5 pages / 1201 mots
- Contrôle permanent Env. 32 pages / 7336 mots
- Les vautours Env. 12 pages / 2687 mots
- Les trains de l’aube Env. 5 pages / 1034 mots
- La Lumière Env. 7 pages / 1597 mots
- Révisons nos classiques Env. 1 page / 11 mots
- L’auberge montagnarde entre la station de skis et Lyon Env. 3 pages / 523 mots
- Vivre ou laisser mourir Env. 3 pages / 673 mots
- Le multiplexe à Lyon Env. 4 pages / 778 mots
- Mauvais sang à se faire Env. 3 pages / 655 mots
- L’invention de la mort qui tue Env. 4 pages / 901 mots
- Encore un accroc Env. 3 pages / 770 mots
- De pire en vamp pire Env. 4 pages / 751 mots
- Adieu pyro-vamp Env. 3 pages / 808 mots
- À feu et à sang Env. 3 pages / 569 mots
- Sangtiments Env. 3 pages / 555 mots
- Un père attendrissang Env. 4 pages / 853 mots
- Bleu noir rouge Env. 3 pages / 783 mots
- Sang arrêt en gare Env. 5 pages / 1067 mots
- Un jour sang Env. 2 pages / 514 mots
- Sang pitié Env. 4 pages / 878 mots
- Décryptage et exorcisme. Env. 5 pages / 1075 mots
- Les cahiers du Pitbull Env. / 0 mots
- Prologue Env. 2 pages / 286 mots
- Mélodie en sous-sol Env. 14 pages / 3618 mots
- Emma et moi émois Env. 14 pages / 3416 mots
- Nuit d ’Aurore Env. 9 pages / 2162 mots
- Prudence sur la route Env. 18 pages / 4602 mots
- Dans le mille d’Émilie Env. 14 pages / 3216 mots
- Le mariage de Marie-Ange Env. 22 pages / 5243 mots
- Les bonus Env. 1 page / 0 mots
- L’ordre en Dorémi Env. 3 pages / 432 mots
- Le pendu Env. 1 page / 171 mots
- A.A.A.A.: Administration Automatisée Autoritarisée d’Autocrates Env. 10 pages / 2181 mots
- Portefeuilles froids, campagnes chaudes Env. 7 pages / 1518 mots
- Libres et Insoumis Env. 15 pages / 3297 mots
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