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Sans famille
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- Catégorie : Littérature générale > Romans
- Date de publication sur Atramenta : 10 mars 2011 à 13h29
- Dernière modification : 10 février 2016 à 10h08
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- Longueur : Environ 350 pages / 122 164 mots
- Lecteurs : 17 546 lectures + 2 229 téléchargements
XVI – Entrée à Paris
Nous étions encore bien éloignés de Paris.
Il fallut nous mettre en route par les chemins couverts de neige et marcher du matin au soir, contre le vent du nord qui nous soufflait au visage.
Comme elles furent tristes ces longues étapes !
Vitalis tenait la tête, je venais derrière lui, et Capi marchait sur mes talons.
Nous avancions ainsi à la file, une file qui n’était pas longue, sans échanger un seul mot durant des heures, le visage bleui par la bise, les pieds mouillés, l’estomac vide ; et les gens que nous croisions s’arrêtaient pour nous regarder défiler.
Les kilomètres s’ajoutèrent aux kilomètres, les étapes aux étapes ; nous approchâmes de Paris, et, quand même les bornes plantées le long de la route ne m’en auraient pas averti, je m’en serais aperçu à la circulation qui était devenue plus active, et aussi à la couleur de la neige couvrant le chemin, qui était beaucoup plus sale que dans les plaines de la Champagne.
Qu’allions-nous faire à Paris et surtout dans l’état de misère où nous nous trouvions ?
C’était la question que je me posais avec anxiété et qui bien souvent occupait mon esprit pendant ces longues marches.
J’aurais bien voulu interroger Vitalis ; mais je n’osais pas, tant il se montrait sombre, et, dans ses communications, bref.
Un jour enfin il daigna prendre place à côté de moi, et, à la façon dont il me regarda, je sentis que j’allais apprendre ce que j’avais tant de fois désiré connaître.
C’était un matin, nous avions couché dans une ferme, à peu de distance d’un gros village, qui, disaient les plaques bleues de la route, se nommait Boissy-Saint-Léger. Nous étions partis de bonne heure, c’est-à-dire à l’aube, et, après avoir longé les murs d’un parc et traversé dans sa longueur ce village de Boissy-Saint-Léger, nous avions, du haut d’une côte, aperçu devant nous un grand nuage de vapeurs noires qui planaient au-dessus d’une ville immense, dont on ne distinguait que quelques monuments élevés.
J’ouvrais les yeux pour tâcher de me reconnaître au milieu de cette confusion de toits, de clochers, de tours, qui se perdaient dans des brumes et dans des fumées, quand Vitalis, ralentissant le pas, vint se placer près de moi.
« Voilà donc notre vie changée, me dit-il, comme s’il continuait une conversation entamée depuis longtemps déjà ; dans quatre heures nous serons à Paris.
— Ah ! c’est Paris qui s’étend là-bas ?
— Mais sans doute. »
Vitalis continua :
« À Paris nous allons nous séparer. »
Je tournai les yeux vers Vitalis. Lui-même me regarda, et la pâleur de mon visage, le tremblement de mes lèvres lui dirent ce qui se passait en moi.
« Te voilà inquiet, dit-il, peiné aussi, je crois bien.
— Nous séparer ! dis-je enfin après que le premier moment du saisissement fut passé.
— Pauvre petit ! »
Ce mot et surtout le ton dont il fut prononcé me firent monter les larmes aux yeux ; il y avait si longtemps que je n’avais entendu une parole de sympathie !
« Mais, dis-je timidement, vous ne voulez pas m’abandonner dans Paris ?
— Non, certes ; je ne veux pas t’abandonner, crois-le bien. Que ferais-tu à Paris, tout seul, pauvre garçon ? Et puis, je n’ai pas le droit de t’abandonner, dis-toi bien cela. Le jour où je n’ai pas voulu te remettre aux soins de cette brave dame qui voulait se charger de toi et t’élever comme son fils, j’ai contracté l’obligation de t’élever moi-même de mon mieux. Par malheur, les circonstances me sont contraires. Je ne puis rien pour toi en ce moment, et voilà pourquoi je pense à nous séparer, non pour toujours, mais pour quelques mois, afin que nous puissions vivre chacun de notre côté pendant les derniers mois de la mauvaise saison. Nous allons arriver à Paris dans quelques heures. Que veux-tu que nous y fassions avec une troupe réduite au seul Capi ? »
Vitalis s’arrêta un moment pour lui passer la main sur la tête.
« Toi aussi, dit-il, tu es un brave chien ; mais on ne vit pas de bonté dans le monde ; il en faut pour le bonheur de ceux qui nous entourent, mais il faut aussi autre chose, et cela nous ne l’avons point. Que veux-tu que nous fassions avec le seul Capi ? Tu comprends bien, n’est-ce pas, que nous ne pouvons pas maintenant donner des représentations ?
— Il est vrai.
— Voici donc à quoi j’ai pensé, et ce que j’ai décidé.
Je te donnerai jusqu’à la fin de l’hiver à un padrone qui t’enrôlera avec d’autres enfants pour jouer de la harpe. »
Vitalis ne me laissa pas le temps d’interrompre.
« Pour moi, dit-il en poursuivant, je donnerai des leçons de harpe, de pira, de violon, aux enfants italiens qui travaillent dans les rues de Paris. Je suis connu dans Paris où je suis resté plusieurs fois, et d’où je venais quand je suis arrivé dans ton village ; je n’ai qu’à demander des leçons pour en trouver plus que je n’en puis donner. Nous vivrons, mais chacun de notre côté. Puis, en même temps que je donnerai mes leçons, je m’occuperai à instruire deux chiens pour remplacer Zerbino et Dolce. Je pousserai leur éducation, et au printemps nous pourrons nous remettre en route tous les deux, mon petit Rémi, pour ne plus nous quitter, car la fortune n’est pas toujours mauvaise à ceux qui ont le courage de lutter. C’est justement du courage que je te demande en ce moment, et aussi de la résignation. Plus tard, les choses iront mieux ; ce n’est qu’un moment à passer. Au printemps nous reprendrons notre existence libre. Je te conduirai en Allemagne, en Angleterre. Voilà que tu deviens plus grand et que ton esprit s’ouvre. Je t’apprendrai bien des choses et je ferai de toi un homme. J’ai pris cet engagement devant Mme Milligan. Je le tiendrai. C’est en vue de ces voyages que j’ai déjà commencé à t’apprendre l’anglais, le français, l’italien ; c’est déjà quelque chose pour un enfant de ton âge, sans compter que te voilà vigoureux. Tu verras, mon petit Rémi, tu verras, tout n’est pas perdu. »
Dans nos courses à travers les villages et les villes, j’en avais rencontré plusieurs, de ces padrones qui mènent les enfants qu’ils ont engagés de-ci de-là, à coups de bâton.
Ils ne ressemblaient en rien à Vitalis, durs, injustes, exigeants, ivrognes, l’injure et la grossièreté à la bouche, la main toujours levée.
Je pouvais tomber sur un de ces terribles patrons. Et puis, quand même le hasard m’en donnerait un bon, c’était encore un changement.
Après ma nourrice, Vitalis.
Après Vitalis, un autre.
Est-ce que ce serait toujours ainsi ? Est-ce que je trouverais jamais personne à aimer pour toujours ?
Peu à peu j’en étais venu à m’attacher à Vitalis comme à un père.
Je n’aurais donc jamais de père ;
Jamais de famille ;
Toujours seul au monde ;
Toujours perdu sur cette vaste terre, où je ne pouvais me fixer nulle part !
J’aurais eu bien des choses à répondre, et les paroles me montaient du cœur aux lèvres, mais je les refoulai.
Mon maître m’avait demandé du courage et de la résignation. Je voulais lui obéir et ne pas augmenter son chagrin.
Déjà, d’ailleurs, il n’était plus à mes côtés, et, comme s’il avait peur d’entendre ce qu’il prévoyait que j’allais répondre, il avait repris sa marche à quelques pas en avant.
Bientôt la campagne cessa, et nous nous trouvâmes dans une rue dont on ne voyait pas le bout ; de chaque côté, au loin, des maisons, mais pauvres, sales, et bien moins belles que celles de Bordeaux, de Toulouse et de Lyon.
La neige avait été mise en tas de place en place, et, sur ces tas noirs et durs, on avait jeté des cendres, des légumes pourris, des ordures de toute sorte ; l’air était chargé d’odeurs fétides, les enfants qui jouaient devant les portes avaient la mine pâle ; à chaque instant passaient de lourdes voitures qu’ils évitaient avec beaucoup d’adresse et sans paraître en prendre souci.
« Où donc sommes-nous ? demandai-je à Vitalis.
— À Paris, mon garçon.
— À Paris !… »
Était-ce possible, c’était là Paris !
Était-ce là ce Paris que j’avais si vivement souhaité voir ?
Hélas ! oui, et c’était là que j’allais passer l’hiver, séparé de Vitalis… et de Capi.
Table des matières
- … Env. 1 page / 96 mots
- Première partie Env. / 0 mots
- I – Au village Env. 7 pages / 2275 mots
- II – Un père nourricier Env. 7 pages / 2421 mots
- III - La troupe du signor Vitalis Env. 9 pages / 3092 mots
- IV – La maison maternelle Env. 6 pages / 1984 mots
- V – En route Env. 5 pages / 1753 mots
- VI – Mes débuts Env. 11 pages / 3618 mots
- VII – J’apprends à lire Env. 7 pages / 2157 mots
- VIII – Par monts et par vaux Env. 3 pages / 917 mots
- IX – Je rencontre un géant chaussé de bottes de sept lieues Env. 5 pages / 1513 mots
- X – Devant la justice Env. 8 pages / 2514 mots
- XI – En bateau Env. 14 pages / 4613 mots
- XII – Mon premier ami Env. 9 pages / 2834 mots
- XIII – Enfant trouvé Env. 5 pages / 1652 mots
- XIV – Neige et loups Env. 15 pages / 4948 mots
- XV – Monsieur Joli-Cœur Env. 9 pages / 2977 mots
- XVI – Entrée à Paris Env. 5 pages / 1446 mots
- XVII – Un padrone de la rue de Lourcine Env. 14 pages / 4589 mots
- XVIII – Les carrières de Gentilly Env. 6 pages / 1960 mots
- XIX – Lise Env. 12 pages / 4195 mots
- XX – Jardinier Env. 7 pages / 2189 mots
- XXI – La famille dispersée Env. 12 pages / 4032 mots
- Seconde partie Env. / 0 mots
- I – En avant Env. 15 pages / 5070 mots
- II – Une ville noire Env. 11 pages / 3445 mots
- III – Rouleur Env. 9 pages / 3012 mots
- IV – L’inondation Env. 7 pages / 2350 mots
- V – Dans la remontée Env. 9 pages / 3072 mots
- VI – Sauvetage Env. 15 pages / 4756 mots
- VII – Une leçon de musique Env. 8 pages / 2646 mots
- VIII – La vache du prince Env. 14 pages / 4794 mots
- IX – Mère Barberin Env. 9 pages / 3030 mots
- X – L’ancienne et la nouvelle famille Env. 5 pages / 1546 mots
- XI – Barberin Env. 11 pages / 3715 mots
- XII – Recherches Env. 9 pages / 2950 mots
- XIII – La famille Driscoll Env. 6 pages / 1909 mots
- XIV – Père et mère honoreras Env. 8 pages / 2564 mots
- XV – Capi perverti Env. 5 pages / 1506 mots
- XVI – Les beaux langes ont menti Env. 7 pages / 2374 mots
- XVII – Les nuits de Noël Env. 16 pages / 5544 mots
- XVIII – Bob Env. 8 pages / 2485 mots
- XIX – Le Cygne Env. 6 pages / 1986 mots
- XX – Les beaux langes ont dit vrai Env. 8 pages / 2621 mots
- XXI – En famille Env. 9 pages / 3014 mots
- … Env. / 0 mots
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