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Sans famille
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- Catégorie : Littérature générale > Romans
- Date de publication sur Atramenta : 10 mars 2011 à 13h29
- Dernière modification : 10 février 2016 à 10h08
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- Longueur : Environ 350 pages / 122 164 mots
- Lecteurs : 17 477 lectures + 2 228 téléchargements
XIII – Enfant trouvé
Le temps avait passé vite pendant ce voyage, et le moment approchait où mon maître allait sortir de prison. C’était à la fois pour moi une cause de joie et de trouble.
À mesure que nous nous éloignions de Toulouse, cette pensée m’avait de plus en plus vivement tourmenté.
Un jour enfin, je me décidai à en faire part à Mme Milligan en lui demandant combien elle croyait qu’il me faudrait de temps pour retourner à Toulouse, car je voulais me trouver devant la porte de la prison juste au moment où mon maître la franchirait.
En entendant parler de départ, Arthur poussa les hauts cris :
« Je ne veux pas que Rémi parte ! » s’écria-t-il.
Je répondis que je n’étais pas libre de ma personne, que j’appartenais à mon maître, à qui mes parents m’avaient loué, et que je devais reprendre mon service auprès de lui le jour où il aurait besoin de moi.
Je parlai de mes parents sans dire qu’ils n’étaient pas réellement mes père et mère, car il aurait fallu avouer en même temps que je n’étais qu’un enfant trouvé.
« Maman, il faut retenir Rémi », continua Arthur, qui, en dehors du travail, était le maître de sa mère, et faisait d’elle tout ce qu’il voulait.
« Je serais très heureuse de garder Rémi, répondit Mme Milligan, vous l’avez pris en amitié, et moi-même j’ai pour lui beaucoup d’affection ; mais, pour le retenir près de nous, il faut la réunion de deux conditions dont ni vous ni moi ne pouvons décider. La première, c’est que Rémi veuille rester avec nous…
— Ah ! Rémi voudra bien, interrompit Arthur ; n’est-ce pas, Rémi, que vous ne voulez pas retourner à Toulouse ?
— La seconde, continua Mme Milligan sans attendre ma réponse, c’est que son maître consente à renoncer aux droits qu’il a sur lui.
— Rémi, Rémi d’abord, interrompit Arthur poursuivant son idée.
— Avant de répondre, continua Mme Milligan, Rémi doit réfléchir que ce n’est pas seulement une vie de plaisir et de promenade que je lui propose, mais encore une vie de travail ; il faudra étudier, prendre de la peine, rester penché sur les livres, suivre Arthur dans ses études ; il faut mettre cela en balance avec la liberté des grands chemins.
— Il n’y a pas de balance, dis-je, et je vous assure, madame, que je sens tout le prix de votre proposition.
— Là, voyez-vous, maman ! s’écria Arthur, Rémi veut bien.
— Maintenant, poursuivit Mme Milligan, il nous reste à obtenir le consentement de son maître ; pour cela je vais lui écrire de venir nous trouver à Sète, car nous ne pouvons pas retourner à Toulouse. Je lui enverrai ses frais de voyage, et, après lui avoir fait comprendre les raisons qui nous empêchent de prendre le chemin de fer, j’espère qu’il voudra bien se rendre à mon invitation. S’il accepte mes propositions, il ne me restera plus qu’à m’entendre avec les parents de Rémi, car eux aussi doivent être consultés. »
Consulter mes parents !
Mais sûrement ils diraient ce que je voulais qui restât caché. La vérité éclaterait. Enfant trouvé !
Alors ce serait Arthur, ce serait peut-être Mme Milligan, qui ne voudraient pas de moi.
Je restai atterré.
Et tel était mon effroi de cette vérité que je croyais si horrible, que j’en vins à souhaiter ardemment que Vitalis n’acceptât pas la proposition de Mme Milligan, et que rien ne pût s’arranger entre eux à mon sujet.
Sans doute, il faudrait m’éloigner d’Arthur et de sa mère, renoncer à les revoir jamais peut-être ; mais au moins ils ne garderaient pas de moi un mauvais souvenir.
Trois jours après avoir écrit à mon maître, Mme Milligan reçut une réponse. En quelques lignes Vitalis disait qu’il aurait l’honneur de se rendre à l’invitation de Mme Milligan et qu’il arriverait à Sète le samedi suivant par le train de deux heures.
Je demandai à Mme Milligan la permission d’aller à la gare, et, prenant les chiens ainsi que Joli-Cœur avec moi, nous attendîmes l’arrivée de notre maître.
Ce furent les chiens qui m’avertirent que le train était arrivé, et qu’ils avaient flairé notre maître. Tout à coup je me sentis entraîné en avant, et, comme je n’étais pas sur mes gardes, les chiens m’échappèrent.
Ils couraient en aboyant joyeusement, et presque aussitôt je les vis sauter autour de Vitalis qui, dans son costume habituel, venait d’apparaître. Plus prompt, bien que moins souple que ses camarades, Capi s’était élancé dans les bras de son maître, tandis que Zerbino et Dolce se cramponnaient à ses jambes.
Je m’avançai à mon tour, et Vitalis, posant Capi à terre, me serra dans ses bras ; pour la première fois, il m’embrassa en me répétant à plusieurs reprises :
« Buon di, povero caro ! »
Mon maître n’avait jamais été dur pour moi, mais n’avait jamais non plus été caressant, et je n’étais pas habitué à ces témoignages d’effusion ; cela m’attendrit, et me fit venir les larmes aux yeux, car j’étais dans des dispositions où le cœur se serre et s’ouvre vite.
Je le regardai, et je trouvai qu’il avait bien vieilli en prison ; sa taille s’était voûtée ; son visage avait pâli ; ses lèvres s’étaient décolorées.
« Eh bien, tu me trouves changé, n’est-ce pas, mon garçon ? me dit-il ; la prison est un mauvais séjour, et l’ennui une mauvaise maladie ; mais cela va aller mieux maintenant. »
Puis changeant de sujet :
« Et cette dame qui m’a écrit, dit-il, comment l’as-tu connue ? »
Alors je lui racontai comment j’avais rencontré Le Cygne, et comment depuis ce moment j’avais vécu auprès de Mme Milligan et de son fils ; ce que nous avions vu, ce que nous avions fait.
« Et cette dame m’attend ? dit-il, quand nous entrâmes à l’hôtel.
— Oui, je vais vous conduire à son appartement.
— C’est inutile, donne-moi le numéro et reste ici à m’attendre, avec les chiens et Joli-Cœur. »
Pourquoi n’avait-il pas voulu que j’assistasse à son entretien avec Mme Milligan ? Ce fut ce que je me demandai, tournant cette question dans tous les sens. Je ne lui avais pas encore trouvé de réponse lorsque je le vis revenir.
« Va faire tes adieux à cette dame, me dit-il, je t’attends ici ; nous partons dans dix minutes. »
J’étais très hésitant, et cependant je fus renversé par le sens qu’avait pris cette décision.
« Vous avez donc dit… demandai-je.
— J’ai dit que tu m’étais utile et que je t’étais moi-même utile ; par conséquent, que je n’étais pas disposé à céder les droits que j’avais sur toi ; marche et reviens. »
Cela me rendit un peu de courage, car j’étais si complètement sous l’influence de mon idée fixe d’enfant trouvé, que je m’étais imaginé que, s’il fallait partir avant dix minutes, c’était parce que mon maître avait dit ce qu’il savait de ma naissance.
En entrant dans l’appartement de Mme Milligan, je trouvai Arthur en larmes et sa mère penchée sur lui pour le consoler.
« J’ai demandé à votre maître de vous garder près de nous, me dit-elle d’une voix qui me fit monter les larmes aux yeux, mais il ne veut pas y consentir, et rien n’a pu le décider.
— C’est un méchant homme ! s’écria Arthur.
— Non, ce n’est point un méchant homme, poursuivit Mme Milligan, vous lui êtes utile, et de plus je crois qu’il a pour vous une véritable affection. D’ailleurs, ses paroles sont celles d’un honnête homme et de quelqu’un au-dessus de sa condition. Voilà ce qu’il m’a répondu pour expliquer son refus : « J’aime cet enfant, il m’aime ; le rude apprentissage de la vie que je lui fais faire près de moi lui sera plus utile que l’état de domesticité déguisée dans lequel vous le feriez vivre malgré vous. Vous lui donneriez de l’instruction, de l’éducation, c’est vrai ; vous formeriez son esprit, c’est vrai, mais non son caractère. Il ne peut pas être votre fils, il sera le mien ; cela vaudra mieux que d’être le jouet de votre enfant malade, si doux, si aimable que paraisse être cet enfant. Moi aussi je l’instruirai. »
— Je ne veux pas que Rémi parte.
— Il faut cependant qu’il suive son maître ; mais j’espère que ce ne sera pas pour longtemps.
Nous écrirons à ses parents, et je m’entendrai avec eux.
— Oh ! non, m’écriai-je.
— Comment, non ?
— Oh ! non, je vous en prie !
— Il n’y a cependant que ce moyen, mon enfant.
— Je vous en prie, n’est-ce pas ? »
Il est à peu près certain que, si Mme Milligan n’avait pas parlé de mes parents, j’aurais donné à nos adieux beaucoup plus que les dix minutes qui m’avaient été accordées par mon maître.
« C’est à Chavanon, n’est-ce pas ? » continua Mme Milligan.
Alors je me relevai vivement et, courant à la porte :
« Arthur, je vous aimerai toujours ! dis-je d’une voix entrecoupée par les sanglots, et vous, madame, je ne vous oublierai jamais !
— Rémi ! Rémi ! » cria Arthur.
Mais je n’en entendis pas davantage ; j’étais sorti et j’avais refermé la porte.
Une minute après, j’étais auprès de mon maître.
« En route ! » me dit-il.
Et nous sortîmes de Sète par la route de Frontignan.
Ce fut ainsi que je quittai mon premier ami et me trouvai lancé de nouveau dans des aventures qui m’auraient été épargnées, si, ne m’exagérant pas les conséquences d’un odieux préjugé, je ne m’étais pas laissé affoler par une sotte crainte.
Table des matières
- … Env. 1 page / 96 mots
- Première partie Env. / 0 mots
- I – Au village Env. 7 pages / 2275 mots
- II – Un père nourricier Env. 7 pages / 2421 mots
- III - La troupe du signor Vitalis Env. 9 pages / 3092 mots
- IV – La maison maternelle Env. 6 pages / 1984 mots
- V – En route Env. 5 pages / 1753 mots
- VI – Mes débuts Env. 11 pages / 3618 mots
- VII – J’apprends à lire Env. 7 pages / 2157 mots
- VIII – Par monts et par vaux Env. 3 pages / 917 mots
- IX – Je rencontre un géant chaussé de bottes de sept lieues Env. 5 pages / 1513 mots
- X – Devant la justice Env. 8 pages / 2514 mots
- XI – En bateau Env. 14 pages / 4613 mots
- XII – Mon premier ami Env. 9 pages / 2834 mots
- XIII – Enfant trouvé Env. 5 pages / 1652 mots
- XIV – Neige et loups Env. 15 pages / 4948 mots
- XV – Monsieur Joli-Cœur Env. 9 pages / 2977 mots
- XVI – Entrée à Paris Env. 5 pages / 1446 mots
- XVII – Un padrone de la rue de Lourcine Env. 14 pages / 4589 mots
- XVIII – Les carrières de Gentilly Env. 6 pages / 1960 mots
- XIX – Lise Env. 12 pages / 4195 mots
- XX – Jardinier Env. 7 pages / 2189 mots
- XXI – La famille dispersée Env. 12 pages / 4032 mots
- Seconde partie Env. / 0 mots
- I – En avant Env. 15 pages / 5070 mots
- II – Une ville noire Env. 11 pages / 3445 mots
- III – Rouleur Env. 9 pages / 3012 mots
- IV – L’inondation Env. 7 pages / 2350 mots
- V – Dans la remontée Env. 9 pages / 3072 mots
- VI – Sauvetage Env. 15 pages / 4756 mots
- VII – Une leçon de musique Env. 8 pages / 2646 mots
- VIII – La vache du prince Env. 14 pages / 4794 mots
- IX – Mère Barberin Env. 9 pages / 3030 mots
- X – L’ancienne et la nouvelle famille Env. 5 pages / 1546 mots
- XI – Barberin Env. 11 pages / 3715 mots
- XII – Recherches Env. 9 pages / 2950 mots
- XIII – La famille Driscoll Env. 6 pages / 1909 mots
- XIV – Père et mère honoreras Env. 8 pages / 2564 mots
- XV – Capi perverti Env. 5 pages / 1506 mots
- XVI – Les beaux langes ont menti Env. 7 pages / 2374 mots
- XVII – Les nuits de Noël Env. 16 pages / 5544 mots
- XVIII – Bob Env. 8 pages / 2485 mots
- XIX – Le Cygne Env. 6 pages / 1986 mots
- XX – Les beaux langes ont dit vrai Env. 8 pages / 2621 mots
- XXI – En famille Env. 9 pages / 3014 mots
- … Env. / 0 mots
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