Poussières

Que les étoiles brillent quand le vide se fait. L’infini brutalement teint en noir, un espace sans fin, ou presque. Ce volume immense, l’illusion de pouvoir respirer à s’en gorger de vie, mais il n’y a pas d’air. Le vide s’est fait.

Une vision plus claire que jamais, pas une brume pour se mettre dans le chemin. Un décor net. Une vaste toile sans couleurs. Pourtant riche de détails, mais froide.

Ce froid gèle le temps. Ou peut-être l’inverse. Ici il n’y a pas d’écho, pas de vague. Le vide n’ondule pas quand on y jette un caillou curieux. On finit par s’en rendre compte. Par renoncer, et se laisser flotter, dériver.

Que les étoiles brillent quand le silence se fait. Distinguer la quiétude de l’inertie devient difficile. Les bulles ont cessé de pétiller, la peau a cessé de picoter. L’eau n’est même plus là à mes pieds. La chair qui en sentait la présence se dissipe. Elle se volatilise.

Perdu au-delà des songes, dans la contemplation morte, je ne pouvais qu’écouter, détailler, ces sensations infimes qui ont tellement à dire. Mais elles s’éloignent. Le grain de sable chatouillant la plante de mon pied, l’écume habillant les orteils, l’eau et l’air faisant combat pour, tour à tour, défier la température de mon corps, et la brise glissant dans ma nuque, mes cheveux dansant avec elle, heureux d’être enfin animé. En vie.

Perdu au-delà des songes, les sensations se sont retirées, humblement, sans un bruit, le décor s’est atténué, il a reculé, et le vide s’est fait, le silence s’est fait.

C’est dans cette absence que les songes sont revenus, timides au début mais vite hargneux. Une meute de pensées en une mêlée violente. Un brouhaha écœurant dans lequel les mots restent étrangement limpides. Il n’y a aucune phrase, aucun geste, capable de décrire cette marée de réflexions. La houle s’énerve au sein de l’esprit mais, de l’extérieur, rien n’est perceptible.

C’est dans cette nuée d’images que les souvenirs surgissent, flous, déstructurés, et pourtant éclatants de sens. Les traits se font hésitants mais les couleurs sont vives. Ils peignent des sourires et des rires, ils dessinent la vie, celle du passé. Ils teintent la langue du goût de la nostalgie. Des émotions rémanentes, qui emplissent, réchauffent puis s’évaporent, laissant derrière elles un vide plus intense encore. Une peau plus sèche. Un silence plus insupportable.

C’est dans ce vide noir que je flotte, plein et creux à la fois, gonflé par son absence, mais gonflé de rien. Ses gestes d’amour m’ont façonné, ses regards tendres m’ont éveillé, comme si l’avant n’était que torpeur. Et que l’après était tout, à jamais.

C’était une explosion de couleurs. Une lumière en plein dans les yeux, puissante comme l’impossible, et la suite devenait plus claire. Tout prenait sens, une direction au goût délicieux, comme un jus de fruit sucré qui viendrait effleurer le palais. Le sang chaud circulait à s’en rompre le corps. Le cœur et la peau flambaient. Tout cela laisse une marque, une brûlure de vie. Les angles et les sons se sont colorés de sa voix. Les draps ont pris son odeur et sa présence, la place s’est agrandie pour elle, jusqu’à devenir elle. Et finalement ne plus être quoi que ce soit d’autre.

Puis enfin, le néant. Un ressac indolore qui prend tout. Ce qui habitait mon être a disparu, non pas emmené au loin, mais purement disparu. Cette énergie qui nous maintient en un tout s’est éteinte. Alors, l’esprit d’abord, puis le corps, se dégrade lentement, il s’éparpille. Ce qui fut éveillé devient poussières, et se disperse dans un vent que je ne ressens même pas.

C’est dans ce vide noir que flotte un fragment de conscience. Une bribe de souvenir, le moi. Une vague idée de ce que je fus. Trop vague. Aucun geste ne vient, rien ne semble vraiment faisable, et pire, le sens lui-même n’est plus là. Je ne connais pas le comment, mais il me manque plus encore le pourquoi. Je suis un visiteur passif. Le spectacle se restreint à cette toile noire tachetée d’étoiles trop lointaines et de poussières, celles dont j’étais constitué.

Un jour futur pourtant, peut-être lointain, une étincelle, un rayon de soleil ou un sourire, allumera à nouveau ce foyer que je croyais éteint. Et parmi les poussières, un battement, un seul, sonnera l’amorce de la vie qui reprend son chemin.

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