Navigation : Lecture libre > Littérature générale > NELLA
NELLA
-
- Catégorie : Littérature générale
- Date de publication sur Atramenta : 29 juillet 2020 à 18h04
- Dernière modification : 21 octobre 2020 à 16h00
-
- Longueur : Environ 5 pages / 1 425 mots
- Lecteurs : 65 lectures + 3 téléchargements
- Mots clés : ma meilleure Amie
Cette oeuvre est déclarée complète, relue et corrigée par son auteur.
NELLA
Nella est morte aujourd’hui 29 juillet 2020 : sa bataille contre le crabe aura duré presque quatre ans.
Je l’ai connue en 1970 dans des conditions cocasses : dans une cour de maternelle, où j’essayais de persuader mon fils de 5 ans de se détacher de ma jupe qu’il agrippait en pleurant ; j’ai aperçu une jeune femme pas plus grande que moi qui suis petite, en train d’essayer de s’expliquer avec force gestes de sa seule main libre avec la Directrice ; l’autre main agrippait une petite fille mignonne comme tout, habillée d’une très jolie robe. Tout le monde sait que l’italien a besoin de ses deux mains pour s’exprimer… J’ai entendu distinctement des mots en italien et je me suis approchée pour offrir mon aide.
Son soulagement fut palpable, elle m’expliqua qu’elle voulait inscrire son fils Giuseppe, dit Pino ou Pinuccio et tiens où est-il ce disgraziato ? L’ainsi nommé courait dans toute la cour en donnant des coups de pied à tout ce qui s’y trouvait, femmes, enfants, bancs, arbres : je l’ai immédiatement comparé à un petit taureau noir de cheveux et foncé de peau, disons par charité "hyperactif" : par rapport au mien, de fils, dont la peau pâle laissait apparaître les veines bleues, et qui se serrait frileusement contre moi, c’était le jour et la nuit.
Une fois son affaire arrangée, le moment des présentations est arrivé : bien entendu, à son accent, j’ai reconnu une Sudiste pur jus : elle venait d’un gros bourg près de Bari, dans les Pouilles, tout près de ce magnifique château octogonal de Castel-del-Monte construit par Frédéric II de Hohenstaufen au 12.ème siècle
et se trouvait en France depuis juste cinq ans. Quelle aventure !
Son Mari qui travaillait en France pour la SNCF depuis longtemps était "rentré au Pays" pour choisir une épouse, et il avait eu la main heureuse : car Nella était pleine de ressources et énergie, et il lui en fallait pour vivre, au début du mariage en itinérance dans un camping-car, avec deux enfants en bas âge dont l’un qui lui en faisait voir de toutes les couleurs. On lui avait même conseillé une fois, à l’Hôpital Lenval pour Enfants, de prendre un abonnement, tellement elle y avait recours pour les plaies et les bosses. Quant à la fille, Raffaella qu’elle appelait Cathy c’était un ange du Ciel, en comparaison.
Nella avait travaillé plusieurs années à Turin, avant son mariage, dans un atelier de couture chic : elle était une couturière accomplie, et elle m’a donné des leçons qui m’ont été très profitables.
Nous n’étions pas faites pour nous entendre, a priori : Nordiste moi, Sudiste elle ; habitant un HLM pour elle, une petite maison avec 300 mètres de jardin pour moi. J’avais construit un genre de poulailler et j’élevais des poules et des lapins, qui par la suite des visites du petit taureau devinrent neurasthéniques et même refusèrent de pondre des œufs ou de s’accoupler. Tout de suite je l’ai invitée à venir souvent et nous ne nous sommes plus quittées, nos enfants avaient le même âge, ils ont sympathisé.
Elle m’a initiée à son parler d’un très bel italien, bien plus fluent que le mien parsemé de tournures lombardes ; il m’a fallu me familiariser avec ses expressions bizarres. Tiens elle disait, pour une femme enceinte, qu’elle était gravida, ce mot étant réservé aux animaux par chez moi. Ou alors un dialogue surréaliste à propos de voiture. Elle me demande :
- tu PORTI la macchina ?
- (moi) dove ?
en fait elle voulait dire conduire (guidare) et moi je comprenais apporter.
Un jour, chez elle, avisant sur la table de la cuisine de drôles de fruits violets, elle m’apprend que ce sont des lamponi (framboises) : je mords dedans et je pousse un hurlement, c’est piquant un max : ce sont des lampascioni (échalotes) …
Son mari, Vincenzo, une force de la nature malgré sa taille modeste, est vite devenu un familier : je l’ai apprécié d’emblée, il aimait manifestement sa femme d’un amour jaloux et possessif, savait élever ses enfants avec fermeté et tendresse ; c’était un homme qui savait TOUT faire, ayant dans sa vie exercé plusieurs métiers tous intéressants. Combien de fois, quand j’ai été divorcée, ne m’a-t-il pas aidée pour l’électricité ou la plomberie… Tous deux avaient un cœur gros comme une montagne, toujours prêts à aider leur prochain.
Mes amies sont devenues, toutes sans exception, les amies de Nella : elle était présente à tous les anniversaires, les rencontres, elle est associée à TOUS mes souvenirs. Plus tard, quand j’ai été divorcée et que la ronde des petits amis a commencé, je les emmenais chez elle, comme pour avoir le "bon à tirer" : une ou deux fois elle m’a dit "c’est le bon"…
Une anecdote me revient, qui illustre combien nous étions différentes, sans que cela ne nous empêche de nous aimer : un matin, après avoir accompagné nos enfants à l’école (ils avaient dix ou onze ans) elle m’a entraînée chez elle vieni, vieni, ti devo far vedere una cosa !! : dans la chambre des enfants, elle a retiré la couverture du lit de Pinuccio pour me montrer, fièrement, des taches sur le drap, qu’en France on appelle je crois "rêve mouillé" ; orgueilleusement, elle m’a crié "è un maschio" c’est un homme !!, et du haut de ma pudibonderie Nordiste je n’ai su quoi dire pour la féliciter, comme elle s’y attendait !
Pour mon anniversaire, le 21 janvier, elle montait toujours depuis le quartier des Moulins, où elle habitait dans une tour de 17 étages - et tout le monde la connaissait et la respectait, même les dealers en bas de l’immeuble qui me scrutaient quand je lui rendais visite - avec une petite bouteille mini de Kriter et des fleurs, je fournissais le gâteau et on festoyait ensemble. En revanche, pour le sien, d’anniversaire, c’était bombance avec invités, lasagne ou parmigiana (qu’elle s’obstine à appeler palmigiana), poisson au four car dans leur région on adore le poisson, pain à pizza frit à l’huile d’olive que son frère lui envoyait par bidons de 5 litres depuis son exploitation des Pouilles, une huile magnifique, verte, dense, parfumée… J’ai appris à aimer les huîtres, les cigales de mer, la burrata, les orecchiette alle cime di rapa...
Vincenzo son Mari est mort en 2009, elle l’a soigné avec un dévouement sans bornes : je me souviens que lors de sa maladie, pour son dernier Noël de 2008, nous étions toutes les deux à l’hôpital où il luttait contre le cancer, et les infirmières nous avaient aménagé à midi un coin d’une chambre vide où nous avons "festoyé" de pâté, olives, tapenade et pain frais.
Peu à peu, elle s’est habituée à son état de veuve, même si vivre avec les 600 euros mensuels de la réversion n’était pas facile : elle y parvenait, dans la bonne humeur presque toujours : de plus, elle savait se débrouiller bien mieux que moi dans la jungle des aides, des assistantes sociales, où elle nageait comme une petite truite.
J’ai oublié de vous dire que son vrai nom, si joli pourtant, était GRAZIA, et j’ignore pourquoi tout le monde l’appelait NELLA. Dès 25 ou 27 ans, ses cheveux étaient complètement blancs, un blanc de neige, elle les coupait très courts, comme moi.
Et puis… : c’était au mois d’août 2016, elle était à NEW-YORK avec sa fille, qui lui avait offert 15 jours de vacances à la Grande Pomme. En prenant sa douche, sa main a effleuré le sein, tiens un petit pois-chiche… Dès son retour à Nice, ce fut le début du menuet des visites, des explorations, puis la grosse polka de l’intervention, la perte des cheveux, la rémission, l’espoir… qui n’a duré qu’un an… puis la rechute, encore des interventions, et peu à peu le courage de se battre qui se barre, jusqu’à l’abandon. Dès fin février, elle-même a demandé à être hospitalisée, se sentant davantage à l’abri dans une maison spécialisée : puis le Covid, et je n’ai plus pu la voir… Puis le coma. Puis la mort, aujourd’hui.
Qui à part elle se souvient de ce que nous avons été ?
Dors bien, petite sœur (parfois elle m’appelait ainsi).
---------
Table des matières
Rejoignez nos plus de 44 000 membres amoureux de lecture et d'écriture ! Inscrivez-vous gratuitement pour reprendre la lecture de cette œuvre au bon endroit à votre prochaine visite et pouvoir la commenter.
- Que pensez vous de cette oeuvre ?
- Annonces à propos de cette oeuvre Flux RSS
- L'avis des lecteurs
- 24 aiment
- Fond : 4.5 coeurs sur 5
-
À lire absolument ! : 6 lecteurs
Très bon : 4 lecteurs - Forme : 4.5 plumes sur 5
-
Exceptionnelle ! : 5 lecteurs
Fluide, agréable, sans fautes... : 4 lecteurs
- Télécharger cette oeuvre
- Partager cette oeuvre
- Raccourcis clavier :
-
- ← page précédente
- → page suivante
- L Lumière (fond noir)
- +/- taille du texte
- M Mise en forme
- P Police
- Lecture libre
-
- Littérature générale
- Fictions historiques
- Contes, légendes et fables
- Érotisme
- Action, aventure, polars
- SF et fantastique
- Littérature humoristique
- Littérature sentimentale
- Poésie
- Paroles de chansons
- Scénarios
- Théâtre
- B.D, Manga, Comics
- Jeunesse
- Jeu de rôle
- Savoir, culture et société
- Défis et jeux d'écriture
- Inclassables
- Librairie Atramenta
- Livres audios
- Atramenta Mobile
- Coup de coeur ?
-
- Savoir, culture et société
4 pages -
- Lire
- Telecharger l'ebook
- Oeuvre déclarée complète, relue et corrigée par son auteur.
- L'ordinarité de nos vies
- Andrée Duchesneau
- Savoir, culture et société