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Navigation : Lecture libre > Littérature sentimentale > L'ombre d'une autre

L'ombre d'une autre

Couverture de l'oeuvre
  • Catégorie : Littérature sentimentale
  • Date de publication sur Atramenta : 11 janvier 2017 à 11h50
  • Dernière modification : 21 septembre 2018 à 11h03
  • Longueur : Environ 860 pages / 292 003 mots
  • Lecteurs : 4 153 lectures + 1 499 téléchargements
Mots clés : Disparition, enlèvement, amour
Par Zoé Vernon
Zoé Vernon
  • 37 oeuvres en lecture libre
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Œuvre publiée sous licence Licence Art Libre (LAL 1.3)

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L'ombre d'une autre

Chapitre 46

Même en me retenant au plancher, mes doigts agrippant avec une sorte de désespoir ce qu’ils rencontraient, j’atterris lourdement sur le dos. Mes poumons se vidèrent de leur air sous la violence du choc. Je fis un effort pour trouver ma respiration, sans y parvenir. Le noir absolu qui m’entourait, accentua mon malaise et j’avais beau chercher désespérément mon souffle, mes réflexes de survie s’étaient mis en berne. Je portai mes mains contre ma cage thoracique, comme si ce simple geste pouvait me délivrer et me redonner vie et faire disparaître cette douleur vive qui irradiait ma poitrine. Au bout de longues secondes, l’air parvint enfin à s’infiltrer et je respirais laborieusement de grandes bouffées d’air. Un air sec qui me donna l’impression de ronger mes poumons. Par instinct, je me recroquevillai, reculant pour m’éloigner d’un danger qui, même si je ne voyais pas, était là, tapi quelque part, prêt à fondre sur moi et me faire disparaître une seconde fois. Mon dos cogna contre quelque chose de dur, et à tâtons, je reconnus la rugosité de la roche et m’y incrustai un peu plus. Le sol, lui, semblait être en terre battue. Ma respiration se fit saccadée, rapide. Beaucoup trop rapide. Quelque chose me coula dans les yeux et me fit sursauter. Je poussai un cri de terreur qui se répercuta contre les parois. Je compris avec effroi que je me trouvais totalement entourée de roche, et d’après la résonance, ma cellule ne devait guère être plus grande que la salle de bain de mon minuscule appartement. Je m’essuyai les yeux vivement et mes doigts rencontrèrent une substance poisseuse que, à l’odeur métallique, je n’eus aucun mal à identifier. Je tâtonnai pour découvrir l’origine de ma blessure, mes sens tellement mis à rude épreuve que je ne ressentais pas la douleur. Jusqu’à ce que je touche mon front à la racine des cheveux, et je sentis une entaille d’au moins cinq centimètres. Je compressai la plaie pour stopper le saignement.

Mes yeux s’habituèrent progressivement à l’obscurité. Je discernai encore mal mon environnement, uniquement distinguable par le faible halo se dispensant au-dessus de ma tête. Je la relevai dans l’espoir d’évaluer la hauteur qui me séparait du sol de la maison. Le plafond éventré se trouvait à environ deux mètres. Ma chute avait été moins importante que je me l’étais imaginé, mais beaucoup trop cependant pour que je puisse espérer atteindre le plafond. Je réprimai une panique grandissante lorsque je fis enfin le point sur ma situation. Blessée, au milieu d’un parc gigantesque la nuit tombante, sans moyen de prévenir l’extérieur, sans eau ni nourriture, au fond d’un trou qui risquait de devenir ma tombe. Les larmes s’échappaient. De frustration, de colère, de peur, mais surtout d’abattement. Un désespoir qui m’étouffait par sa force et que je tentai de juguler. Je posai la main sur mon petit microbe, fermai les yeux et dirigeai mes pensées vers la seule personne capable de me sortir de cet enfer. Je rejoignis Mark… Mark qui, le connaissant, devait demander en ce moment même à Dex de localiser mon téléphone. Un téléphone, qui ne m’était d’aucune utilité. Sauf…

J’ouvris brutalement les yeux et tournai vivement la tête, mais mon geste m’arracha un cri de douleur. Elle me faisait souffrir, j’avais l’impression qu’un étau la comprimait, même si le saignement s’était enfin arrêté.

Je sortis mon téléphone précipitamment. Il m’échappa des mains, et je l’entendis tomber au sol avec un bruit mat. Je balayai devant moi, sentant la panique monter lorsque mes doigts ne rencontrèrent que de la terre et de la poussière. J’allongeai les bras autant que l’élasticité de mon corps me le permettait, terrifiée à l’idée de quitter la sécurité que m’apportait la roche dans mon dos. Alors que je me redressai pour ramper, une goutte de sueur me tomba dans les yeux, et ce fut seulement à ce moment que je m’aperçus être trempée, le dos glacé. J’avançai un genou et mes doigts se refermèrent enfin sur l’objet tant convoité et le tinrent serré contre moi par crainte qu’il m’échappe de nouveau. Je me repris à plusieurs fois pour débloquer le clavier tant j’avais les doigts gourds, puis j’activai la lampe torche, et ma geôle m’apparut enfin. Une sorte de grotte concave creusée assurément par la main de l’homme. Elle n’avait rien de naturelle, les marques d’outils sur la roche le confirmèrent et j’eus un instant le sentiment que les murs sombres se rapprochaient, me comprimant la poitrine. Légèrement sur ma droite, mes yeux se posèrent sur une minuscule ouverture qui semblait s’enfoncer dans les profondeurs de la roche. Une cinquantaine de centimètres de diamètre tout au plus. Une sortie ? Probablement. J’aurais pu m’y glisser en plongeant dans ses ténèbres, mais le simple fait de me retrouver emmurée me donna la nausée. Instinctivement, je m’en reculai, m’imprimant contre la roche. Je dirigeai devant moi, en un geste circulaire, le faible rayon lumineux de mon téléphone et suivis les parois de la grotte.

Je faillis le lâcher et étouffai un cri en plaquant ma main libre devant ma bouche. Je sus. Avant même que mon esprit ait analysé la scène, chaque particule de mon corps avait compris. Mes genoux flanchèrent et je m’affalai douloureusement. Je m’efforçai de calmer ma respiration, ignorer les larmes qui me brouillaient la vue. J’avançai à quatre pattes, m’approchant lentement, avec délicatesse, de peur de déranger et de souiller ce que les années avaient protégé…

Melinda reposait contre la paroi opposée d’où j’étais tombée, dans une posture biblique. Sur le dos, ses petites mains religieusement croisées sur son abdomen, qui en un souffle pouvaient devenir poussière. Même si ma mémoire se refusait toujours à s’ouvrir à moi, je reconnaissais sa jolie robe bleue qui avait perdu l’éclat de l’innocence. Ses beaux cheveux blonds qui maintenant encadraient des pommettes osseuses, la rondeur de l’enfance les ayant quittées depuis vingt ans. J’observai ce petit corps blessé, qui durant le court espace de quatre jours, avait partagé ma vie et dont le souvenir faisait partie intégrante de mon identité depuis bientôt vingt ans. Je ne ressentis aucune peur à présent même si le fait d’être emmurée en présence d’un corps aurait dû me faire sombrer dans la folie. Bien au contraire, je remerciai silencieusement ce Dieu auquel je ne croyais pas, me laisser seule avec Melinda. Partager un présent qui nous échappait depuis longtemps. Trop longtemps. J’avais besoin de cette solitude et la vivre avec Melinda. Mon regard fut attiré par une forme rectangulaire entre les doigts de Melinda. Je braquai le faisceau de la lampe et mon cœur s’arrêta un bref instant. Mes souvenirs prirent le relais pour m’aveugler de flashs du passé sans pour autant m’apporter la netteté des scènes vécues. Melinda tenait mon appareil photo… Je m’avançai doucement pour caresser ses cheveux, son visage d’enfant se superposant à la vision que le présent m’offrait.

— Je suis tellement désolée…

Je m’allongeai à ses côtés, repliai mes jambes, une de mes mains effleurant toujours ses cheveux tandis que la seconde vint se caler là où battait une autre vie…

 

Un bruit. Indistinct, lointain, qui se perdit dans les brumes de mon cerveau. Je n’avais plus aucun repère. La batterie de mon téléphone s’était totalement vidée, tout comme je l’étais. Vide de tout. La colère m’avait quittée, la souffrance aussi. Ma joie d’avoir enfin retrouvé Melinda s’annulait en pensant à la douleur de Martha. Mes larmes, pour en avoir trop versé, ne coulaient plus. Je ne ressentais plus rien. Même mon corps était maintenant insensible à tout. Au froid, à la faim, à la soif. Une petite lueur cependant m’éclaira. Douce et tendre. Une petite lueur qui avait le reflet de l’espoir et de l’avenir. Mon petit microbe, qui en plus de s’accrocher me permettait de ne pas sombrer totalement. Ce bruit qui n’en était pas un. Une voix. La voix. Celle qui me ramenait dans une réalité, qui, il y a quelque temps, j’aurais fui, mais qui aujourd’hui me rendait plus forte. Melinda. Melinda n’avait pas vécu toutes ses années de cauchemars pour que je la rejoigne maintenant. Elle ne méritait pas cela. Je m’accrochais à la voix de Mark et tentai de parler, mais aucun son ne sortit de ma bouche, trop affaiblie. Combien de temps étais-je restée ainsi ? Une heure, une nuit… plus ?

Les bruits résonnaient dans la grotte, se répercutant contre les parois sans que je parvienne à les localiser. Des lumières se projetèrent brutalement sur ces mêmes parois, m’aveuglant. Je fermai les yeux et réprimai un grognement de douleur. Les voix se firent plus distinctes, presque cristallines. J’isolai sans peine celle de Mark, maintenant proche, si proche. Une lumière vive m’agressa directement la rétine malgré mes paupières closes tandis qu’une main balaya les cheveux qui envahissaient mon visage, le dégageant délicatement pour se glisser sous ma nuque. Je voulus ouvrir les yeux, mais ils restaient obstinément clos. Une autre main se plaça sous mes genoux, me soulevant avec la douceur duveteuse d’une plume. Je puisai un peu d’énergie dans les bras familiers de Mark et passai les miens autour de sa nuque. Mon visage trouva naturellement sa place dans le creux de son cou et je respirai son odeur, m’enivrant de sa présence. Son corps se détendit lorsqu’il sentit le mien réagir, puis il resserra ses bras, rassuré. J’ouvris les yeux lentement, qu’ils s’adaptent à la luminosité. Je m’écartai, là encore, très doucement de la chaleur réconfortante de Mark pour enfin plonger mes yeux dans les siens. Je le vis ciller légèrement. Mon apparence ne devait pas être rassurante, entre mes yeux bouffis, mon entaille au front et mon visage que j’imaginais blafard. Je passai ma main sur sa joue, appréciant sa barbe naissante, mes doigts retrouvant leur sensibilité. Lorsque je pris enfin la parole, j’eus l’impression d’avoir la gorge tapissée de papier de verre, mais j’ignorai l’inconfort provoqué par les heures passées au fond de cette grotte.

— Elle est là depuis si longtemps, Mark… Je ne pouvais pas la laisser seule…

— Je le sais, répondit-il en me couvrant de légers baisers. Je le sais… Merci… Merci d’avoir retrouvé Melinda. Mais ne me refais plus jamais ça ! Jamais.

Derrière le ton autoritaire de sa voix, je perçus également ce léger tremblement, cette peur avec laquelle il vivait depuis vingt ans. Avec ce tremblement, je sentais aussi cette même peur se désincarner et l’abandonner progressivement au moment où ses yeux alternèrent de Melinda à moi. Même si cette angoisse ne serait jamais totalement enfermée, ici même, dans cette sépulture, une partie resterait malgré tout. Si infime fût-elle, je ne pus que constater le poids important que Mark abandonnait aujourd’hui.

— Mark, je…

— Plus tard, me coupa-t-il. On aura le temps d’en reparler. Il faut soigner cette blessure et te réhydrater. Tu as passé plus de six heures ici.

— Non, le contredis-je doucement tout en accueillant l’information avec stupeur. Pas plus tard. Maintenant.

Toujours dans ses bras, il me fixait, les sourcils froncés.

— Melinda tient mon appareil.

— J’ai vu, soupirait-il sans me lâcher du regard.

— Il ne me quittait jamais, Mark. Jamais…

 

Le docteur Marcott pratiqua les points de suture avec une dextérité qui me surprit. Mais je n’aurai confié ma tête à personne d’autre. Il la connaissait, malheureusement trop bien, selon ses dires, et il serait temps que j’arrête mes escapades, ayant passé l’âge. J’appréciais la lueur mutine dans son regard. Elle allégeait l’atmosphère lourde qui régnait depuis que Melinda avait été retrouvée.

Mark n’avait pas mis longtemps à comprendre que j’étais partie à sa recherche. Mais le temps qu’il traite l’information de Dex sur la généalogie du clan Moore et, qu’avec l’aide du shérif, ils localisent enfin la maison grâce au registre du cadastre, j’avais une sacrée longueur d’avance. Je réalisai seulement à cet instant dans quel état d’esprit j’avais pu le plonger. Même si cela me rongeait, je ne regrettais cependant pas mon choix. Et comme je le lui avais avancé, si c’était à refaire, je le referai. Sans hésitation. Il avait secoué la tête d’agacement, se passant la main dans les cheveux. Geste qu’il effectuait lorsque la nervosité le gagnait… ou l’irritation. Il n’avait cependant rien répliqué.

Et maintenant, une autre question occupait entièrement mes pensées. Une question que nous avions déjà soulevée Mark et moi, mais dont la réponse m’effrayait plus que tout.

Qui avions-nous réellement découvert dans ce parc… ?

 

Nous rejoignîmes l’hôtel devenu le quartier général des différentes autorités maintenant réunies, les bureaux du shérif étant bien trop exigus. Une effervescence peu commune régnait. Le shérif devait être présent sur plusieurs fronts. La police nous accablait de questions, retraçait mon histoire, la recoupant avec celle de Melinda. Nous passions un grand nombre d’heures à narrer les derniers mois, expliquant comment nous avions pu déboucher sur un tel retournement. Vingt ans qu’ils cherchaient sans réponses. Mark leur rappelait toutefois qu’ils ne possédaient pas la moitié des informations, et que sans l’intervention de Katherine Moore, jamais Melinda n’aurait pu être retrouvée, même si cela me retournait l’estomac. La grotte servait de cachette pour l’alcool durant la prohibition. Lors de la rénovation de la maison, la trappe pour s’y rendre avait été condamnée. L’accès se faisait dorénavant, depuis la petite ouverture que j’avais aperçue dans la roche. Elle débouchait à deux pas des restes du pont suspendu… Emily enfant, probablement lors de jeux avec ses cousins et cousines, en avait retrouvée l’entrée, mais ceci, Katherine l’ignorait. Une fois nos récits enregistrés et vérifiés partiellement, les hommes chargés du dossier de Melinda avaient abandonné toute hostilité et ils se montraient compréhensifs et attentifs. Si dans un premier temps, nous avions été considérés comme suspects, puis témoins, maintenant, j’apparaissais comme seconde victime, la première étant Melinda. Nous évoquions également mes doutes quant à mon identité et je ne pus retenir un spasme douloureux qui me retourna l’estomac tout en me précipitant à l’extérieur.

On me préleva un échantillon de sang. L’enquêteur le scella et le remit à un de ses subalternes. Il m’expliqua que dans un premier temps, une comparaison d’allèles serait pratiquée avec le prélèvement effectué sur Martha, et là encore, j’émis un grognement douloureux. Si j’avais un quelconque lien de parenté avec les Grant, les résultats nous le diraient dans quelques heures à peine, contrairement à l’examen ADN dont les conclusions revenaient après un laps de temps assez long. Ce qui ne les dispensait pas d’effectuer ces analyses sur Melinda.

Mark me déposa dans un endroit légèrement isolé. Il avait les traits tirés par la fatigue et l’angoisse. Malgré tout, je perçus une trace de soulagement dans son regard. Il allait parler lorsque l’enquêteur qui avait pris nos dépositions l’interpella. Je lui adressai un sourire que, à mon plus grand plaisir, il me rendit et je posai ma main contre sa joue appréciant la chaleur de sa peau, et nous restâmes quelques secondes à échanger nos silences. Il se pencha pour effleurer doucement mes lèvres et se leva pour rejoindre l’enquêteur. Je les observai un instant sans déceler plus aucune hostilité chez l’enquêteur, simplement le besoin de faire correctement un travail. Il était direct dans ces gestes, précis dans ses mots. Et finalement, cette rigueur était rassurante.

Je m’endormis malgré le brouhaha et les sonneries incessantes qui me vrillaient le crâne. J’avais refusé les analgésiques proposés par le docteur Marcott, ne sachant quel effet ils pouvaient avoir sur mon petit microbe. Il faisait quasiment jour et mes dernières heures de sommeil m’avaient plus abattue qu’elles n’avaient été réparatrices.

Mark me réveilla doucement quelques heures plus tard.

— On va se mettre en route. Tiens, reprit-il en me tendant une tasse de café brûlant.

J’appréciai le liquide chaud, couler le long de ma gorge.

— On rentre au ranch.

À ces mots, un immense soulagement me souleva la poitrine.

— Jane, l’enquêteur qui nous a interrogés, précisa Mark, et dont le nom m’avait totalement échappé, veut se rendre au ranch et parler à Martha et Paul.

Cette fois, ma poitrine se contracta tellement douloureusement que j’en lâchai ma tasse. Je regardai le liquide se rependre sur le sol juste avant que Mark me prenne dans ses bras, ses lèvres s’appuyant sur ma tempe.

— Moi aussi, cela me retourne l’estomac. Mais je m’interdis de leur faire subir ça sans être présent.

J’acquiesçai, allant dans son sens.

— Je veux être là, Mark. Je ne supporte pas l’idée que Martha puisse vivre ce cauchemar une seconde fois sans être là.

— C’est pour cela que je préviens de notre départ. Tu te sens prête ? demanda-t-il posément.

Je répondis avec une grande hésitation.

— Très sincèrement, je n’en sais rien du tout.

Et c’est précisément cette même hésitation qui rassura Mark sur mon équilibre du moment. Je me montrai ni véhémente ni apitoyée, ne sachant toujours pas comment gérer mes propres émotions.

 

Le trajet jusqu’au ranch fut une épreuve. Le face à face avec Martha, Vicki et Paul, un cauchemar.

La famille Grant avait fait preuve d’une dignité inégalable. Martha s’était dangereusement affaissée lorsqu’elle nous avait vus arriver, comprenant immédiatement devant nos airs sombres. Mark l’avait retenue, la guidant vers un des fauteuils de cuir. Il avait fait chercher Paul, déjà parti avec les ranchers, par le plus jeune des Mitchell. Il s’était chargé d’appeler Vicki lui-même, mais lui avait aussi interdit de conduire jusqu’au ranch. Ben et son père étaient en route et passaient la prendre.

Le récit que leur fit Jane dura plusieurs heures, les réponses venaient combler toutes les interrogations des Grant. Vicki pressait la main de sa mère avec une telle force que j’avais craint qu’elle ne la lui brise. Paul s’était rapproché de sa femme et sa fille, formant ainsi un noyau indestructible.

Mais ce qui me serra le plus le cœur fut lorsque le récit s’acheva et que les Grant tournèrent les yeux d’un même ensemble sur moi. Je me repliai, aussi bien physiquement que tout à l’intérieur de moi, ne trouvant d’un coup, aucune légitimité quant à ma présence chez eux. Leur fille était morte et moi, j’avais le sentiment déplacé de me pavaner devant eux, les narguant d’être toujours vivante. Les yeux brouillés de larmes, Martha se leva, aidée de Vicki et Paul, et se dirigea vers moi. Je me levai à mon tour les jambes tremblantes m’attendant à me faire ordonner de quitter leur maison. Ce que je m’apprêtai à faire, reculant lentement face au poids de leur silence qui me comprimait la poitrine. Les larmes me montèrent aux yeux, que je baissai précipitamment. De quel droit me permettais-je une telle liberté ? De quel droit m’octroyais-je un chagrin qui ne me touchait plus ? Je sentis un mouvement du côté de Mark que j’ignorai. Je ne pouvais l’autoriser à s’interposer. Martha, Vicki et Paul étaient sa famille. Pas moi. Ils avaient toujours pris soin les uns des autres. C’était avec eux qu’il partageait sa vie. C’était avec eux qu’il avait bâti leur avenir à tous. Je n’avais aucun droit d’être celle qui viendrait rompre cette harmonie. Je tressaillis lorsque les doigts de Martha repoussèrent une mèche de cheveux, effleurant ma blessure au front. Puis sa main se posa avec une extrême délicatesse sur ma joue, son pouce caressant ma peau. Je fondis en larmes une troisième fois en moins de vingt-quatre heures et me blottis dans les bras que Martha venait de m’ouvrir.

 

Je passais le reste de la journée dans un état de confusion extrême. La fatigue vint s’y greffer et je me sentais terrassée. Martha, Vicki et Paul étaient partis avec Jane auprès de Melinda. Vingt ans, qu’ils redoutaient ce moment tout en l’attendant avec une impatience qui les terrifiait. Jane s’assura qu’ils furent soutenus aussi bien psychologiquement qu’administrativement. J’avais de mon côté décliné cette même offre, et ce, sous l’avis réprobateur de Mark. Habitué à mes incessantes contestations en matière d’aide, il n’avait pas insisté. Du moins, pour le moment. Et une autre question s’imposa à moi. Comment serait leur lendemain ? Comment serait leur vie maintenant ?

Je n’opposai, par contre, aucune résistance lorsque Mark m’obligea à me reposer. Je pris une douche, laissant l’eau effacer les traces des dernières heures, si ce n’était les faire totalement disparaître, estomper leurs souvenirs. D’autres m’échappaient toujours. J’avais beau forcer les portes du passé, elles demeuraient obstinément closes. Alors j’acceptais. Je ne me sentais plus la force d’éprouver de la colère ou de l’amertume. Je subissais mon état, me remémorant des paroles du docteur James. Parfois, nos souvenirs restent enfouis et inaccessibles à jamais.

Je m’éveillai, sentant la présence de Mark. Rassurante. Ses doigts me caressaient le visage avec légèreté. Je les lui attrapai doucement et les portai à mes lèvres. J’ouvris cependant les yeux, quelque chose n’était pas comme d’habitude. Il ne semblait pas être totalement « lui ». Ce que me confirma son visage. Grave et en même temps soulagé sur lequel je pus lire la dualité dans le regard.

— Martha et Paul vont rester quelques jours encore. Jane m’a annoncé qu’ils avaient reçu les résultats d’analyse en retour. À peine arrivés, ils ont effectué des prélèvements de sang sur Martha, Paul et même Vicki, précisa-t-il.

Mon cœur fit un bond et je me redressai vivement dans le lit, l’esprit totalement éveillé et alerte.

— Ils vont ramener Melinda… Les tests ADN viendront confirmer les premiers résultats d’analyse, m’annonça-t-il en me scrutant.

Un regard qui me fit reculer contre la tête de lit. Mon cœur manqua plusieurs battements, pour reprendre sa course de façon erratique. Melinda. C’était bien Melinda que l’on avait retrouvée. Je pouvais mettre un nom sur qui j’étais… J’avalai péniblement ma salive, comprenant le dilemme de Mark. Il aimait deux personnes. Une des deux était morte. Quelle que soit la combinaison, il regrettait que l’une ne soit plus en vie. En me regardant, il pleurait Melinda. S’il avait vu Melinda, c’est moi qu’il pleurerait… Et cette bataille contre ses propres émotions me blessa, car je ne pouvais rien faire pour alléger sa peine et mettre fin à ce conflit. Lui seul pouvait l’arrêter.

— Je suis désolée, Mark… Désolée de ne pas être Melinda… ma voix s’éteignit.

Le temps sembla s’être suspendu. Mark ne bougea pas, ne réagit pas, me fixant toujours. Je ne sus comment expliquer son silence, alors je l’interprétai. Je me soustrayais à son regard, m’échappant de ce lit devenu tout d’un coup un endroit dans lequel je n’avais pas ma place. Mais il me plaqua contre la tête de lit et ses mains encadrèrent mon visage, me forçant à relever les yeux. Ce que je fis.

— Je t’interdis de douter de moi, jolie nymphe. De toi, encore plus.

Ses lèvres se posèrent sur les miennes de façon autoritaire. Sans comprendre, mon corps réagit immédiatement et je répondis à son baiser avec une force qui ne m’était pas coutumière. Une chaleur incandescente prit naissance au creux de mon ventre et je me cabrai, m’offrant sans aucune retenue. Nos souffles s’entremêlaient, se tourmentaient, et j’aimais cette torture. Je désirais. Plus. Toujours plus. Comme si nous avions été séparés depuis trop de temps et qu’il fallait que nos corps se souviennent. Que l’on empêche le temps de nous oublier. D’oublier les sensations que produisait l’essence de Mark sur mes émotions. D’oublier le bien et la délivrance ressentie chaque fois qu’il me possédait. D’oublier le simple fait d’être deux. Ses mains m’agrippèrent la taille pour m’allonger sur le lit. Une d’elles fit glisser avec impatience mes dessous. Je battis des jambes pour m’en débarrasser. Pas assez vite. Je réprimai un grognement de frustration qui accentua le désir de Mark. Mes mains, elles aussi, impatientes, s’attaquèrent à ses vêtements le dévoilant enfin. Il se redressa pour planter ses yeux dans les miens et la lueur fauve presque animale que je vis leur donnait cet aspect sauvage que j’aimais tant. Je me retrouvai dans son regard, miroir de mes propres envies, sans crainte aucune, de me perdre, en, et avec lui. Maintenant. Je m’arc-boutai sous son contact, et le laissai m’entraîner, à son rythme, vers un plaisir des sens où seul Mark était capable de me mener. Nous fîmes l’amour avec une sorte de désespoir dans nos gestes. Un désespoir qui résonna comme un cri de rage, de douleur, mais aussi d’espoir et décupla notre plaisir, et celui, encore plus fort, de donner à l’autre. L’urgence nous unit, cette volonté primitive et instinctive de vouloir se sentir vivant.

Tout. Le temps, les émotions, les plaisirs, la vie étaient bien trop fragiles pour se perdre en conjectures. Vivre. Vivre l’instant présent, sans oublier le passé pour pouvoir se bâtir un avenir. Ce mot me rappela soudainement ma condition et je fermai les yeux de peur que s’échappe une vérité que je ne me sentais pas encore prête à dévoiler.

 

Les jours qui suivirent s’enchaînaient sans que je puisse avoir un quelconque contrôle sur le temps. Ou du moins sur ce que je souhaitais en faire. Beaucoup d’amis de Mark, qui maintenant étaient aussi les miens prirent des nouvelles et virent chercher les réponses aux questions que toute une ville se posait depuis vingt ans. Mark leur répondait avec patience, sans jamais perdre son calme. Je ne pouvais que comprendre leur attitude pour avoir vécu ce drame comme une seule personne.

Nous passions aussi beaucoup de temps au téléphone et même de visu avec les enquêteurs. Leur dossier était maintenant clos, et je refusais catégoriquement de me porter partie civile, Emily étant, de toute façon, incapable de s’exprimer sur son geste. De plus, cela aurait de graves répercussions sur le professeur et il ne méritait pas d’être mis au pilori. Il était comme beaucoup d’entre nous, un dommage collatéral de la folie de sa femme. Quant à Katherine, elle avait été suffisamment maline pour prendre ses dispositions. Les enquêteurs se retrouvaient devant un bouclier d’avocats. Le temps qu’ils s’y attaquent et le traverse Katherine ne serrait plus de ce monde. La froideur de son calcul me fit frissonner, mais finalement, peut-être était-ce le mieux. Rien ne pouvait nous faire revenir en arrière et effacer ces vingt dernières années. J’avais souvent Vicki au téléphone avec qui je passais de longs moments. Si mes mots la rassuraient, les siens avaient ce même pouvoir. Me tranquillisant sur l’état d’esprit de ses parents, bien sûr choqués, mais en même temps terriblement soulagés de retrouver et ramener enfin leur fille chez eux.

De mon côté, je passai à la pharmacie demandant à Charlène de me retirer mes points de suture. Si ma démarche la surprit, elle ne se fit néanmoins pas prier. J’étais une source de renseignements intarissables. Je préférais subir ses assauts verbaux, plutôt qu’un tête-à-tête avec le docteur Morisson qui me rappellerait qu’il me restait encore un chapitre de l’histoire à raconter. Et celui-ci ne concernait que Mark…

Mark, dont j’appréciais la façon de gérer la situation. Elle lui était difficile, mais malgré la douleur qu’elle générait, elle lui permettait aussi d’avancer. Il réglait tout. Les questions d’ordre administratives, des enquêteurs, et celle plus délicate, de la mise en terre de Melinda. Point non négligeable, je restais toujours le centre de ses préoccupations. Il veillait sur moi avec une attention touchante, sans être étouffante. Et je le remerciais pour cela. Je lui avais avoué la veille au soir, avoir pensé qu’il ne me désirerait plus dans sa vie maintenant que Melinda avait été retrouvée. Pour toute réponse, il avait posé doucement ses lèvres contre les miennes en un baiser d’une rare intensité. Ses mains m’avaient débarrassé de mes quelques vêtements avec cette même douceur, pour me faire l’amour avec une attention nouvelle. Une délicatesse si puissante que je ressentais encore la poésie de ses gestes. Toujours étourdie de ce moment, il m’avait demandé d’ôter de ma tête ces pensées qui n’avaient rien à y faire. Son ton, dans lequel j’avais perçu une énorme tendresse, m’avait chamboulé le cœur. Une affirmation claire et limpide, comme les larmes qui s’étaient échappées et que j’avais le plus discrètement possible fait disparaître. Ma vie s’articulait autour de Mark, et je n’avais aucune idée de ce qu’elle deviendrait si son axe venait à se modifier.

 

Martha, Paul et Vicki devaient être de retour d’ici quelques heures. Je me sentais nerveuse et fébrile.

Non ! Tu es nerveuse et fébrile !

Je ne savais pas comment réagir et me comporter face à eux. Ils ne ressentaient aucun ressentiment à mon égard, bien au contraire, cependant, je ne parvenais toujours pas à chasser ce sentiment de culpabilité…

Je travaillai pour canaliser mes pensées sur du concret. J’avais rendu le rapport définitif à Mark le matin même, et là, me restait à mettre en ordre mes dossiers et les archiver. Je n’entendis pas la porte s’ouvrir, encore moins lorsque Mark se posta à l’entrée du salon, mais je relevai la tête, sentant sa présence. Sans le voir ni même le toucher, je parvenais à capter ce qu’il dégageait. Je n’étais pas une adepte de ce genre de croyance, mais il émanait de sa personne comme un bouclier d’énergie positive, une aura rassurante, quelque chose qui me faisait du bien, qui m’apaisait.

J’admirai sa large silhouette, la douceur de ses traits, la courbure de ses lèvres, son regard pétillant, mais grave, qui me détaillait avec attention. Je lui fis un petit signe de la main, lui souris, puis replongeai dans mes notes.

— Viens vivre avec moi.

Je relevai vivement la tête. S’il voulait détendre l’atmosphère, son entrée en matière était pour le moins originale.

— Je vis déjà chez toi, répliquai-je amusée.

— Je te parle de vivre avec moi.

Je sentis mon sourire disparaître en comprenant qu’il n’y avait aucun amusement dans sa voix. Au contraire, il était tout ce qu’il avait de plus sérieux et ma gorge se serra imperceptiblement pour former une boule douloureuse. Vivre avec. Je saisissais parfaitement la nuance. Partager sa vie. M’engager.

— Je… je ne crois pas que cela soit une bonne idée.

— Tu plaisantes, m’interrompit-il les yeux brillants d’excitation. Cela fait presque trois mois que tu vis ici, Samuelle. Je veux plus, reprit-il après un léger moment d’hésitation.

Il se déplaça pour se trouver face à moi et me prendre le visage entre ses mains. Plus ? Je ne pouvais lui donner ce « plus ». J’en pris conscience au moment même où il achevait sa phrase. Je me servais lâchement de cette période de trouble que Mark traversait pour l’utiliser contre lui. Pour lui. Je m’engouffrai dans la seule faille que je décelais en lui pour l’ouvrir un peu plus et y glisser mes propres peurs. J’effleurai discrètement mon petit microbe, et m’entendis prononcer la phrase la plus difficile de mon existence tout en me dégageant doucement de ses mains.

— C’était sympa, Mark. On a bien profité de ces quelques semaines.

— Qu’est-ce que tu racontes ? demanda-t-il, les sourcils froncés, ne comprenant pas ce que je tentais de lui dire.

Ou plutôt si. Connaissant Mark, il saisit parfaitement l’allusion et espérait se détromper en m’obligeant de nouveau à le fixer droit dans les yeux. Je fis un énorme effort pour prendre sur moi et je soutins son regard, sans l’ombre d’empathie.

— Sympa, Mark, répétai-je sans ciller. Sympa, mais, ça s’arrête là.

— Tu joues à quoi, Samuelle ?

— À rien, m’entendis-je répondre avec dureté. Mon contrat se termine, je pars.

— Tu pars ? Comment ça, tu pars ? Pas après toutes ces semaines !

Je ne répliquai rien, mes yeux vrillés aux siens. Par je ne sais quel miracle, je parvins à soutenir son regard où je pus lire un trouble évident. Je le regardai s’éloigner doucement de moi, comme au ralenti, l’air totalement décontenancé. Ce fut bien une des rares fois où je le vis en pleine confusion, quasiment sous le choc. Mais une demi-seconde seulement. Celle d’après, il retrouva toute sa maîtrise, adoptant un ton froid, tranchant. Je me levai et me postai face à lui.

— C’est donc dans tes habitudes de coucher avec tes patrons, Sam ? Tu n’as trouvé que cette méthode pour te mettre en avant ? Es-tu donc si médiocre ?

J’encaissai ses paroles, comme une pluie de coups qui s’abattait. Je ne tentai pas d’y échapper, cela ne servirait à rien. J’avais provoqué cette situation. Elle était la seule qui pouvait nous sauver. Le bébé, moi, mais surtout Mark… Mais ce qui me fit le plus de mal, fut le « Sam » employé avec tellement de mépris que je fermai un instant les yeux sous la violence de la signification que lui donnait Mark à ce moment. Je n’étais plus rien. Samuelle n’existait plus. Et cela me fit mal. Terriblement mal. N’en avions nous pas parlé quelques semaines auparavant ? Et le souvenir de cette conversation fut comme un coup de poignard en plein cœur. Lorsque je rouvris les yeux, Mark étincelait de colère. J’avalai péniblement ma salive, tout en soutenant la force de son mépris et du dégoût que visiblement je lui inspirais. Avec le même écœurement, il continua sur sa lancée.

— Tu t’es bien foutu de moi ! Tu recevras ton salaire demain à la première heure. Ainsi qu’une prime de fin de contrat. Je te rassure, celle-ci ne vise pas à payer tes prouesses sous la couette. Tu vaux beaucoup plus que cela, s’empressa-t-il d’ajouter avec une méchanceté qui m’écrasa davantage.

Second coup de poignard. Ou le premier qui s’enfonça un peu plus profondément dans mon cœur.

— Je serai partie d’ici ce soir, m’entendis-je annoncer avec une telle froideur dans la voix que je ne me reconnus pas.

— Mais, je l’espère bien !

— J’attends le retour de Martha pour lui dire au revoir ainsi qu’…

— Je crois que tu n’as pas saisi le sens de mes paroles, Sam, me coupa-t-il sur un ton beaucoup trop posé, qui m’inquiéta, et de loin, largement plus que sa colère. Il est hors de question que tu ailles te pavaner devant eux pour disparaître ensuite. Ils ont suffisamment subi d’épreuves ces derniers jours. Tu as une heure pour rassembler tes affaires !

J’allais protester, mais il ne m’en laissa pas l’occasion et reprit sur un ton qui ne souffrait aucune opposition.

— Je ne te laisse pas le choix. Si tu n’es pas partie d’ici là, je te fous moi-même dehors ! Je t’interdis de prendre ou de donner des nouvelles ni de remettre, ne serait-ce, un pied au ranch. Tu sors de leur vie ! Compris !

Cette fois, il enfonça le poignard jusqu’à la garde et je me sentis plier, mes jambes me soutenaient à peine. Je respirai difficilement, douloureusement, et je perdis totalement pied lorsque je compris, une fois que ses mots eurent atteint ma conscience, ce qu’ils impliquaient.

— En cet instant, je regrette que ce ne soit pas toi que l’on ait retrouvée au fond de ce trou !

J’émis un gémissement de douleur tant ses derniers mots me frappèrent avec violence. Mes genoux flanchèrent et je me retrouvai à même le sol, humiliée, blessée face à Mark qui me dévisageait avec un dédain non dissimulé. Il secoua la tête devant mon air pitoyable pour tourner les talons et quitter la pièce, emportant avec lui tout ce qui faisait mon intégrité et composait la confiance que j’avais en moi…

Je plaquai une main devant ma bouche pour empêcher tous sons d’en sortir, mais je ne pus retenir ma souffrance.

La douleur, le chagrin m’arrivèrent dessus comme une vague puissante, balayant tout sur son passage, et je m’effondrai à même le sol. Je restai ainsi, le corps secoué, meurtrie par les mots de Mark, par son mépris, par le dégoût que j’avais pu lire dans son regard juste avant qu’il ne sorte définitivement de ma vie…

Je gardai un moment cette position inconfortable, recroquevillée. Je ne sentais plus la douleur physique, le corps anesthésié par les coups reçus. J’étais vide, incapable de réfléchir, ne comprenant pas comment en moins de dix minutes j’avais pu tout perdre…

 

Une sonnerie au loin me sortit de ma léthargie. Une sonnerie familière. Celle du ranch. Je repris vie, lentement, jusqu’à ce qu’une douleur fulgurante à l’estomac me plie en deux. Je m’engageai vers la salle d’eau, et crus mourir une seconde fois en moins de trente minutes. Je posai la main sur mon petit microbe avec inquiétude, le priant silencieusement de ne pas me laisser tomber maintenant, au moment où j’avais tant besoin de lui. La douleur refoulait lentement pour s’estomper enfin.

Mes gestes semblaient guidés par un automatisme que je ne contrôlai pas. Je regroupai mes effets personnels, sans réfléchir. Juste en pensant aux minutes qui s’égrenaient et qui me rapprochaient de la fin du sablier. Seulement vingt minutes maintenant. Vingt minutes pour rassembler presque trois mois de ma vie au ranch. Je pris toutes les affaires qui se présentèrent sur mon chemin et délaissai volontairement la chambre de Mark, ne trouvant aucune légitimité, aucun droit d’y retourner, mais aussi terrifiée à l’idée qu’il puisse me surprendre dans cet espace qui ne m’était plus réservée.

 

Je m’enfermai dans une bulle, m’isolant de tout. De l’extérieur, de la vision du ranch, des pâturages, des montagnes au loin, de la maison de Martha… des mes émotions.

J’empruntai cette route pour la dernière fois, redoutant d’y croiser Mark, ou pire encore, Martha et Paul. J’essuyai les larmes qui me brouillaient la vue et c’est avec un grand soulagement, je regardai la ville s’éloigner dans mon rétroviseur. Mark m’avait sommée de ne plus remettre les pieds au ranch, mais cela sous-entendait que la ville m’était également interdite. J’aurais pu le défier, n’ayant aucun droit de me dicter ma conduite, mais je n’en fis et ferai rien. Mark avait raison. Je ne pouvais pas débarquer comme cela dans la vie des gens, provoquer le chaos, partir pour revenir quand bon me semblait. Si la situation était injuste pour moi, elle l’était encore plus pour toute cette communauté que j’avais appris à aimer.

Une nouvelle douleur m’obligea à stopper ma voiture sur le bas-côté et en faire le tour précipitamment. Je n’en pouvais plus de ces nausées, elles me prenaient toute mon énergie, toute ma vitalité.

— J’peux p’être t’aider.

Je sursautai violemment et m’étalai sur les fesses. Mes mains, toujours égratignées après être tombée dans la grotte, se rappelèrent à moi lorsque je tentai d’amortir ma chute. Jack s’avança tandis que je reculai en rampant. Visiblement, mon geste l’arrêta.

— J’veux juste t’aider, marmonna-t-il.

Et là, sans que je contrôle une fois de plus mon corps, mes émotions prirent le dessus et je fondis en larmes. Rien n’avait plus de sens. J’aimais Mark plus que tout et je le quittai. Hier, il m’ordonnait de ne plus douter de moi, aujourd’hui il regrettait que je sois toujours vivante. La seule personne qui m’avait ouvertement jeté son hostilité en plein visage, aujourd’hui m’offrait son aide. Sans contrepartie. J’entendis une voiture approcher et mon cœur fit un bond. Mark ! Il venait à mon secours comme il l’avait toujours fait. Mes pleurs redoublèrent lorsque je reconnus la voiture de patrouille du shérif. J’aurais tant aimé que la situation de notre rencontre se reproduise… Jack avait perdu tout signe de décontraction. Même à terre, je vis ses mâchoires se crisper. Je me relevai en m’agrippant à la carrosserie, ravalai mes larmes et pris sa défense avant même que Tom ne pose de questions.

— Mouais, répondit-il peu convaincu. Et vous allez où comme ça ?

Je mis un moment avant que sa question parvienne à mon cerveau et que celui-ci l’analyse.

Où ? Je ne sais pas où je vais. Je ne sais même pas d’où je viens. Je ne sais plus rien…

Je le regardai hagarde, complètement déroutée. Tom jeta un œil vers l’habitacle de ma voiture et y vit ma valise et ma mallette.

— Vous quittez la ville ?

J’acquiesçai après un court instant, toujours hébétée et choquée. Le shérif compris que je n’étais pas en état de conduire. Je crois qu’il englobait la situation dans son ensemble, comprenant ce que la présence de mes bagages et mon air perdu signifiaient.

— Sam, montez avec moi ! avança-t-il avec autorité. Aéroport ?

J’opinai simplement du chef, incapable de faire plus. Je me reposai sur la capacité du shérif à prendre les situations d’urgence en mains.

— Toi, Jack, tu prends la voiture de Sam, et tu me suis jusqu’à West-Yellowstone.

Jack allait répliquer, mais le shérif ne lui en laissa pas l’occasion.

— On pourra discuter sur le chemin du retour tous les deux. Ça fait un bail, non ?

Il y avait dans la voix du shérif, comme une résilience, et Jack accepta. Il prit place dans ma voiture, tandis que Tom m’aida et me déposa précautionneusement sur le siège passager.

Notre étrange cortège se mit en route. Je repliai mes jambes et laissai les kilomètres défiler. Tom ne prononça qu’une phrase durant notre périple. Une phrase qui m’arracha une longue plainte douloureuse et m’enfonça dans un mutisme tout aussi douloureux.

— J’ai vu Mark se diriger vers le nord avec son bolide. Il roule vite. Beaucoup trop vite, bougonna-t-il.

 

Je fis face à une autre réalité. Mon appartement dans lequel je n’avais pas posé les pieds depuis presque trois mois. Il me parut tellement étranger aujourd’hui que je ne m’y sentis pas, plus à ma place. Je laissai la montagne de courrier, pour m’allonger sur le lit, sans même prendre la peine de l’ouvrir et me déshabiller.

Lorsque je m’éveillai, je décrochai le téléphone et contactai Phill. Je devais reprendre le travail. Vite. Sinon, je deviendrai folle. Peu importe la mission, je devais bouger. M’éloigner de tout. De ma vie au présent. De ma vie au passé. De Mark…

Phill me rappela quelques heures plus tard. Je décrochai dans l’attente fébrile d’une nouvelle mission. Pour mon petit microbe, j’aviserai. Le ton de Phill m’alerta, jusqu’à ce que je saisisse et raccroche, l’esprit totalement vide, privé de toutes réflexions, notre conversation repassant en boucle.

— Je ne comprends pas, Sam… Je ne trouve personne qui aurait besoin de nos services.

— Comment ça, de nos services ? Je te parle de contrats, de missions avec mes anciens clients.

— C’est ça le problème, avança-t-il avec hésitation. Pas un ne veut travailler avec toi pour le moment. Je ne comprends pas quelle mouche les a piqués.

Moi par contre, je comprenais que trop bien et pris une décision qui me sembla vitale. Je n’avais de toute façon pas d’autre choix…

Je résiliai tout. Contrat d’assurance, abonnement téléphonique, appartement. Le plus difficile fut de convaincre Suzy. Je lui expliquais ma rupture et mon besoin de faire un break, de me couper momentanément de tout, si je voulais garder, ne serait-ce, qu’un soupçon d’équilibre. Suzy sentit que je me trouvai à mon point de rupture et finit par m’encourager dans ce sens. Je ne lui parlai pas de mon petit microbe. Mark aurait été informé dans la seconde, et ceci, je ne le permettais pas. Je ne devais pas réfléchir à la situation, sinon, je ferais probablement marche arrière. Dans la foulée, je passai à la banque pour y clôturer mon compte et retirer les espèces, sans avoir au préalable renvoyé à son destinataire la somme indécente qui constituait ma prime… ainsi que tous les salaires reçus depuis trois mois.

Je me rendis à la gare routière et achetai mon billet de car en espèces. Je m’effaçais et disparaissais ainsi sans laisser de traces derrière moi. Juste un vague souvenir…

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Table des matières

  1. Prologue Env. 2 pages / 389 mots
  2. Chapitre 1 Env. 19 pages / 6383 mots
  3. Chapitre 2 Env. 13 pages / 4260 mots
  4. Chapitre 3 Env. 22 pages / 7208 mots
  5. Chapitre 4 Env. 19 pages / 6181 mots
  6. Chapitre 5 Env. 31 pages / 10348 mots
  7. Chapitre 6 Env. 17 pages / 5879 mots
  8. Chapitre 7 Env. 20 pages / 6723 mots
  9. Chapitre 8 Env. 26 pages / 8616 mots
  10. Chapitre 9 Env. 15 pages / 5159 mots
  11. Chapitre 10 Env. 15 pages / 4771 mots
  12. Chapitre 11 Env. 13 pages / 4259 mots
  13. Chapitre 12 Env. 21 pages / 7061 mots
  14. Chapitre 13 Env. 27 pages / 9015 mots
  15. Chapitre 14 Env. 14 pages / 4743 mots
  16. Chapitre 15 Env. 21 pages / 6913 mots
  17. Chapitre 16 Env. 16 pages / 5072 mots
  18. Chapitre 17 Env. 14 pages / 4600 mots
  19. Chapitre 18 Env. 16 pages / 5161 mots
  20. Chapitre 19 Env. 16 pages / 5224 mots
  21. Chapitre 20 Env. 21 pages / 7118 mots
  22. Chapitre 21 Env. 21 pages / 7094 mots
  23. Chapitre 22 Env. 18 pages / 6091 mots
  24. Chapitre 23 Env. 15 pages / 4981 mots
  25. Chapitre 24 Env. 21 pages / 6845 mots
  26. Chapitre 25 Env. 13 pages / 4247 mots
  27. Chapitre 26 Env. 14 pages / 4478 mots
  28. Chapitre 27 Env. 16 pages / 5253 mots
  29. Chapitre 28 Env. 19 pages / 6055 mots
  30. Chapitre 29 Env. 18 pages / 5869 mots
  31. Chapitre 30 Env. 16 pages / 5111 mots
  32. Chapitre 31 Env. 24 pages / 8116 mots
  33. Chapitre 32 Env. 18 pages / 6148 mots
  34. Chapitre 33 Env. 17 pages / 5492 mots
  35. Chapitre 34 Env. 24 pages / 8234 mots
  36. Chapitre 35 Env. 22 pages / 7498 mots
  37. Chapitre 36 Env. 16 pages / 5169 mots
  38. Chapitre 37 Env. 15 pages / 4977 mots
  39. Chapitre 38 Env. 17 pages / 5461 mots
  40. Chapitre 39 Env. 19 pages / 6272 mots
  41. Chapitre 40 Env. 18 pages / 6031 mots
  42. Chapitre 41 Env. 25 pages / 8315 mots
  43. Chapitre 42 Env. 19 pages / 6024 mots
  44. Chapitre 43 Env. 18 pages / 5857 mots
  45. Chapitre 44 Env. 19 pages / 6296 mots
  46. Chapitre 45 Env. 21 pages / 6836 mots
  47. Chapitre 46 Env. 23 pages / 7650 mots
  48. Chapitre 47 Env. 15 pages / 5058 mots
  49. Épilogue Env. 5 pages / 1462 mots
/ du chapitre 47 sur 49
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