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L'ombre d'une autre
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- Catégorie : Littérature sentimentale
- Date de publication sur Atramenta : 11 janvier 2017 à 11h50
- Dernière modification : 21 septembre 2018 à 11h03
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- Longueur : Environ 860 pages / 292 003 mots
- Lecteurs : 4 154 lectures + 1 500 téléchargements
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L'ombre d'une autre
Chapitre 21
Je restai le regard rivé à cette marque au sol, incapable de m’en détacher. Elle m’avait interpellé lors de ma première visite chez Harold et elle prenait tout son sens en ce moment même. La décoloration sur le parquet indiquait qu’un objet y avait trouvé sa place suffisamment longtemps pour y laisser une marque. Je la fixai, sachant exactement de quoi il s’agissait. Cet état de fait m’abasourdit. Je m’adressai à Harold, sans oser quitter du regard cette empreinte, maintenant tellement évidente.
— Où se trouve-t-elle ?
Ma question le décontenança et il me répondit en bafouillant, comme s’il n’était pas certain que la réponse qu’il m’offrait était celle que j’attendais.
— Dans la remise… ?
Je levai enfin les yeux pour me retrouver face à un visage dubitatif teinté de scepticisme et un second, grave, le regard sombre. Mark prit la parole, et même s’il me fixait, je n’aurais su dire à qui il s’adressait.
— De quoi parlez-vous ?
Une tension presque palpable s’installa dans la boutique. L’atmosphère était chargée d’interrogations et d’incompréhensions. Elles émanaient de nous trois, mais pour des raisons bien distinctes. Harold, se demandant comment j’avais pris connaissance de l’objet. Mark s’interrogeant visiblement sur ce dont nous pouvions parler, et moi qui tentais de comprendre comment je pouvais être concernée par tout cela.
— De l’horloge à balancier d’Harold…
Un long silence s’installa, alourdissant encore l’atmosphère. Mark se demandait-il une fois de plus si le fait que je connaisse l’existence de l’horloge était calculé et visait à servir une autre malversation liée au projet immobilier ? Non, tout cela était loin derrière. Alors quoi ? Pourquoi me dévisageait-il de la sorte ? Je préférais de loin, l’entendre proférer un reproche ou poser une question, plutôt que ce silence. J’avais du mal à conserver une respiration normale et mon estomac se contracta douloureusement. Harold, quant à lui, nous dévisageait, s’interrogeant de notre manque de réaction. Mal à l’aise, il profita de ce qu’un client entre dans la boutique pour s’éclipser en bougonnant, non sans avoir dit à Mark qu’il n’avait qu’à me conduire à la remise si je le souhaitais. Il connaissait suffisamment les lieux pour ne pas avoir besoin de lui.
S’il ne parlait pas maintenant, j’allais m’effondrer. J’interprétai son silence comme une forme d’accusation. Il m’avait trop souvent habituée à ce genre de situation pour que je ne les anticipe pas. À ce malaise s’en ajouta un autre. Je ne me sentais absolument pas de taille à lutter. Je n’étais même pas encore remise de ma nuit à l’extérieur. Je préférai fuir son regard, et pris appui, dos contre le mur. Je me sentais faible et mes jambes me soutenaient à peine. Avant que je n’aie le temps de me laisser glisser au sol, il m’entraîna avec ménagement, un bras passé autour de la taille vers le fonds du magasin. La douceur de son geste me perturba un peu plus.
— J’ignorais pour l’horloge…
— Je le sais.
— Alors pourquoi agissez-vous de la sorte ? C’est quoi tous ces silences, toutes ces tensions ?
— Je me demande uniquement si c’est une bonne idée de continuer.
— Ça, c’est mon problème ! Pas le vôtre !
Je me situais à mon point de rupture et Mark le perçut sans difficulté. Il me répondit avec une extrême douceur.
— Vous interprétez mal ce que je veux dire. Seulement, je pense que c’était prématuré de vous laisser sortir du ranch si tôt. David, le médecin qui vous a auscultée, nous a dit que vous n’étiez pas encore assez remise pour vous aventurer à l’extérieur.
— Pourquoi m’avoir conduite ici, alors !?
— Je vous connais suffisamment pour savoir que votre entêtement vous y aurait de toute façon amenée. Je vous l’ai déjà dit, mais apparemment vous avez l’air de penser le contraire. Je m’inquiète réellement pour vous. Et j’ai le sentiment que ce que vous allez découvrir derrière cette porte risque de vous choquer. Je n’arrive pas à saisir le sens de cette situation, mais elle me… perturbe et me dérange. Alors j’imagine avec aise ce qu’elle peut vous faire ressentir.
Moi qui pensais être coupable de je ne sais quoi, je pris ses paroles comme une délivrance. Je me sentais extrêmement vulnérable et la moindre émotion se transformait en larmes. Je les essuyai le plus discrètement possible, ce qui était loin d’être aisé vu qu’il me soutenait toujours. À mon grand soulagement, il feignit de ne pas s’en apercevoir, épargnant le peu de dignité et d’estime qu’il me restait.
Elle était là. Je ne vis qu’elle, comme si mon cerveau avait gommé tout le bric-à-brac qui l’entourait. Telle que je l’avais imaginée. La forme du meuble qui abritait l’horloge était imposante, découpée en deux parties. Sa cage de bois s’était patinée avec le temps. Le sapin avait pris une jolie couleur cuivrée. Sa base épousait parfaitement la forme laissée sur le sol de la boutique… La partie haute représentant le 1/3 du meuble abritait le cadran en faïence blanche, protégée derrière une porte vitrée. Les deux petits trous en son centre servaient à accueillir une clé de remontage. La partie basse contenait le système de balancier et les chaînes soutenant les poids.
Comprenant mon intention, Mark desserra son étreinte. Je m’approchai de l’horloge avec fascination, mais aussi, une certaine hésitation. J’oubliai cette dernière et sans réfléchir je glissai mes doigts derrière l’horloge, là où le bois avait un léger renfoncement. Je tâtonnai, avançant ma main le plus loin possible, jusqu’à ce que mes doigts butent sur ce que je cherchais. J’en ressortis une clé en laiton en forme d’ailes de papillon. Je restais un moment à la contempler. Comment avais-je su qu’elle se trouvait là, qu’Harold la glissait à cet endroit pour être certain de la retrouver ? Mark m’avait rejointe. Je levai enfin les yeux de la clé pour y rencontrer les siens, et pour la première fois j’y découvris de l’incompréhension.
— Elle prend du retard, annonçai-je. Les poids qui actionnent l’horloge ne sont pas calibrés correctement. Il faut remonter les chaînes quand ils sont en bout de course, mais jusqu’à une certaine hauteur…
Ma voix s’éteignit, mes oreilles bourdonnèrent. Je m’accrochai au regard de Mark dans un besoin inégalé d’être soutenue et fus heureuse de constater qu’il le faisait. Je poursuivis, sonnée.
— Harold n’a jamais trouvé le bon réglage. Le mécanisme se détraquait tous les deux jours. C’était pire lorsqu’il faisait très chaud. La tige du balancier se dilatait sous son effet amplifiant la modification du temps. Ça le rendait fou… mais drôle…
Les tensions liées à cette improbable vérité me rendirent fébrile. L’aisance avec laquelle je dévoilais tous ses secrets m’étourdit. Je sentis que je perdais pied, totalement désorientée. Mon mal de tête refit surface, s’installant avec force. Ma cicatrice me brûla. On m’aurait marqué au fer rouge que je n’aurais senti la différence. La douleur m’empêcha de sombrer complètement. Elle me maintenait à flot, mais je suffoquais. Je ne parvenais pas à trouver l’oxygène nécessaire, noyée par des souvenirs qui n’étaient pas les miens. Je n’arrivais plus à retrouver mon souffle et sentis le sol se dérober sous mes pieds.
Mark fut plus vif que mon malaise et m’entraîna hors de la remise. Harold nous regarda passer sa porte. Je retins seulement ce détail : les rides de son visage étaient encore plus marquées sous l’effet de l’incompréhension. L’air extérieur me fit du bien et me permit de reprendre contenance. Mark ne prononça pas un mot, mais je compris à son visage crispé que la situation, comme il l’avait souligné si justement quelques instants auparavant, lui échappait totalement. Nous étions deux dans ce cas.
— Je ne sais pas… Je ne sais pas… Je ne sais pas…
Je m’entendis répéter sans cesse les mêmes mots. Ses mains, chaudes et réconfortantes, se posèrent sur mon visage, et le regard qu’il m’envoya me calma instantanément. Je repris lentement le contrôle, respirant profondément, me servant de ses mains comme bouclier face à mes émotions.
— Nous allons rentrer au ranch. Vous prendrez le temps de vous détendre et d’essayer de ne plus penser à cela pendant quelques heures.
— Comment voulez-vous que je n’y pense pas ? Ça me poursuit depuis près d’un mois. Ne me dites pas que vous n’avez pas de questions ! Ne me dites pas que la situation est gérable et que tout va s’arranger en claquant des doigts ! rétorquai-je d’une voix aiguë.
— Samuelle, écoutez-moi ! J’en suis conscient ! Je sais aussi que vous êtes terrifiée. Je n’ai même plus besoin de vous regarder pour m’en apercevoir.
Je paniquai… J’étais littéralement morte de trouille par ce que je venais de vivre.
— On va s’éloigner de la boutique et de la ville. Je crois que le ranch est le meilleur endroit où vous pouvez vous protéger de tout cela. Harold a remisé cette horloge il y a plusieurs années déjà. Je ne me souvenais même plus de son existence. La veille de votre départ, vous m’avez parlé du salon de coiffure, remplacé lui aussi depuis plus d’une quinzaine d’années par un antiquaire.
J’acquiesçai de la tête.
— Tout ce dont vous vous souvenez a un lien avec le passé… un passé lointain. Le temps, vos souvenirs, si l’on peut les nommer ainsi, se sont arrêtés, il y a au minimum quinze ans. Pour cette raison, je pense que vous serez plus sereine si vous rentrez au ranch. Il ne se rattache à aucun événement du passé puisqu’il n’existait pas encore. J’ai pu vous observer depuis votre arrivée dans la région, et je peux vous affirmer que votre comportement est différent lorsque vous y êtes. Alors, nous allons rentrer, et vous prendrez le temps qu’il faut, répliqua-t-il sur un ton qui empêchait toute négociation. Et pour répondre à votre remarque, la réponse est oui ! Oui, j’ai des questions. Seulement, ce serait totalement inutile que je vous les pose, car vous n’en connaissez pas les réponses. Vous êtes en train de les découvrir en même temps que moi. Alors, je vous demande, si vous en avez encore la force et l’envie, de me faire confiance.
Je le regardai abasourdie par cette forme peu conventionnelle de déclaration. Ses propos étaient cohérents. Il n’y avait qu’au ranch où je n’étais pas accablée par tous ces souvenirs. Le seul endroit à vingt kilomètres à la ronde où je pouvais baisser ma garde. J’y faisais ces cauchemars, certes, mais ceux-là me hantaient depuis vingt ans déjà. Ils s’étaient simplement épaissis, étoffés, précisés, depuis mon arrivée dans le Montana. Ce mois écoulé, j’avais pu me rendre compte que, même si Mark m’avait blessée, j’avais toujours pu lui faire confiance. J’acquiesçai d’un mouvement de tête, acceptant sa proposition.
— Bien ! répondit-il lentement.
Pour la seconde fois en moins d’une heure, il fit glisser ses mains, et pour la seconde fois, le vide laissé me fit frissonner, avec ce sentiment d’être à découvert et vulnérable. Sentiment qui s’éclipsa au moment où il referma sa portière, nous isolant enfin de la ville. Je me détendis le temps du trajet, laissant mon regard vagabonder sur les formes hachées des maisons, leurs couleurs bigarrées, s’espaçant au fur et à mesure que l’on s’éloignait pour entrer progressivement sous le couvert de la forêt et ses routes sinueuses de montagnes. Ces dernières ne me parurent jamais plus belles qu’en cet instant.
J’avais beau essayer de me distraire par les paysages, mon esprit me conduisait inexorablement dans la remise. De tourner et retourner le problème ne me donna aucune réponse. Il me manquait encore un élément, semblable à une minuscule pièce d’horlogerie. La pièce manquante pour que tout s’emboîte, que tout prenne un sens… Je lançai un regard oblique vers Mark pour m’apercevoir à son air qu’il réfléchissait tout autant que moi. Cette situation m’arracha un sourire triste qu’il surprit. Je répondis à sa question avant même qu’il ne la pose.
— Je me demande seulement si vous réfléchissez au problème par pur défi, parce que les réponses vous échappent, ou alors si c’est réellement pour m’aider…
J’étais lasse et me tournai vers la vitre, coupant toute forme de contact, même visuel. Je ne souhaitai pas écouter ce qu’il avait à répondre. Pas maintenant…
La pochette cartonnée de Charlie à la main, j’atteignis le salon. J’étais à peu près certaine de le trouver là. Il m’avait confié aimer cette pièce. Avec le ciel rosé de cette fin de journée, la pièce dégageait une forte sensation de bien-être. J’avais à plusieurs reprises, durant mon séjour, pu en constater la véracité.
Je la lui tendis sans un mot et il se leva en même temps qu’il en attrapa l’extrémité.
— Vous pouvez rester assis. Je voulais uniquement vous montrer ceci.
— Non, vous par contre, vous devriez vous asseoir.
— Je ne vais pas m’écrouler si je reste deux minutes debout.
Ma voix était beaucoup plus sèche que je ne le pensais. Il en fut surpris, mais ne releva pas.
— Que contient cette pochette ?
— Une histoire dont j’aimerais connaître la fin…
Je lui tournai le dos tout en lui annonçant que j’allais rejoindre Martha, mais il fut plus rapide que moi et me barra le passage. Même si je lui faisais entièrement confiance, je restais sur mes gardes. Son comportement protecteur et rassurant de ces dernières heures n’enlevait en rien les mots blessants qu’il m’avait gracieusement envoyés en plein visage. Je n’étais pas une personne rancunière, j’avais simplement appris à me protéger. Je changeai cependant bien vite d’attitude, abandonnant mon offensive verbale, devant la sienne exempte d’agressivité.
— Je ne suis pas votre ennemi, et les réponses que je cherche je souhaite les partager.
— Alors, lisez ce dossier. Il n’y a pas grand-chose. Il vous exposera les faits et vous donnera peut-être des réponses que je n’ai pas su lire. Il m’a seulement permis de voir dans quelle direction je devais me diriger.
Je détournai le regard et m’éloignai, souhaitant trouver refuge auprès de Martha.
— Samuelle…
Je m’arrêtai sans toutefois me retourner.
— … vous trouverez vos réponses, je vous le promets.
— Ne me promettez jamais rien… s’il vous plaît…
Martha n’avait pas quitté la cuisine de Mark. Tout était prêt pour accueillir les ranchers et j’étais la cause de ce bouleversement. De voir cet espace habité me fit un drôle d’effet. J’avais toujours connu le ranch plus ou moins silencieux. Je ne dirais pas sans vie, car il respirait la sérénité, mais calme et m’apportant un apaisement indiscutable. L’imaginer bientôt en effervescence me dynamisa. Comme si un souffle nouveau venait s’abattre et chasser les ombres des deux derniers jours. Un vent de renouveau. Voilà ce dont j’avais besoin. La présence imminente des ranchers augmenta mon impatience.
Martha avait été soulagée et émue à notre retour de ville, lorsque pour la première fois en deux jours je lui adressais enfin la parole. Elle s’était précipitée sur le téléphone pour prévenir Vicki. Si j’avais rembarré Mark quelques instants plus tôt, je laissai Martha m’ordonner de m’asseoir et d’avaler un consommé de légumes, histoire, selon ses termes de me redonner des couleurs. Je l’embrassai doucement sur la joue. Mon geste la désarma un instant, et c’est avec un plaisir évident que j’accueillis les jolies rougeurs de ses joues.
— Je suis désolée si j’ai pu vous causer des soucis.
— Vous n’avez rien causé du tout. Occupez-vous seulement de reprendre des forces.
— Rien, c’est peu dire. J’ai quand même réussi à vous faire quitter votre piano.
— Effectivement, lança Mark dans notre dos.
Martha et moi nous retournâmes d’un même ensemble pour le découvrir appuyer contre le chambranle, les bras croisés. Je constatai qu’il tenait toujours la pochette de Charlie dans la main. Je n’aurais su dire s’il l’avait ouverte.
— Pour que Martha quitte ses fourneaux, il faut qu’il y ait un cyclone… ou votre venue, ajouta-t-il moqueur.
Je me surpris à lui rendre son sourire, heureuse, malgré mon comportement distant et agressif un instant plus tôt de retrouver cette dynamique, fût-elle de courte durée.
— Je suppose que c’est exceptionnel ce regain d’activité dans votre maison.
— Détrompez-vous. Il est fréquent de voir la maison remplie de ranchers poussiéreux, grossiers et incultes, répliqua-t-il toujours sur un ton léger.
— Mark ! s’offensa Martha. Pourquoi tu vas dire des choses pareilles ? Si ta mère t’entendait, elle serait bien triste.
Je me sentis rougir jusqu’aux oreilles, sa remarque m’étant destinée. Il s’approcha de Martha pour l’embrasser à son tour tendrement, son bras passé autour de ses épaules.
— Tu sais bien que je n’en pense pas un mot, lui murmura-t-il à l’oreille.
Je les regardai, émue d’être le témoin d’une complicité et d’un respect si fort. Et j’adorais voir ce sourire sur les lèvres de Martha, ses yeux brillant d’admiration et ses joues légèrement colorées.
— Ne l’écoutez pas, Sam. Nous nous réunissons souvent chez Mark.
— Je ne vous y ai jamais vus pourtant ! répondis-je étonnée.
Je désignai les plaques.
— Et puis, je croyais que vous détestiez cuisiner sur « ces trucs ».
— Mark ne voulait pas vous déranger dans votre travail. Il craignait que notre présence vous incommode et vous empêche de vous concentrer. Et je suis d’accord avec lui. Vous avez pu constater que les garçons sont loin d’être un exemple de discrétion.
Je posai un regard gêné vers Mark, mes joues atteignant comme à l’accoutumée une température incertaine. J’arrivais comme un boulet de canon, bouleversant les habitudes de tout un groupe, plutôt une famille. Je me tassai davantage sur mon siège. Martha vint à mon secours devant mon air défait, et s’adressa à Mark tout en désignant la pochette de Charlie.
— Tu as l’air d’avoir encore des choses à faire.
— Samuelle m’a demandé d’y jeter un œil. J’allais le faire quand je vous ai entendu parler cuisine. Vous devriez la convaincre de me laisser lui en installer une nouvelle. Vous aussi dans le domaine de la persuasion vous êtes efficace.
Sur ce, il s’éloigna vers son bureau, me laissant avec ce sentiment désagréable d’être encore à l’origine de son sourire moqueur.
Les ranchers ne tardèrent pas à nous rejoindre. La cacophonie engendrée par leur présence, liée à la satisfaction de me voir sur pied augmenta les décibels déjà élevés qui occupaient la pièce. Même dans cet univers ultra moderne, ils restaient authentiques, pleins de vie et parfaitement à l’aise. Paul, d’habitude si discret, partageait leur bonne humeur et leur enthousiasme. Leur présence me réchauffa le cœur, seule partie de mon anatomie qui en avait été le plus privée ces dernières quarante-huit heures. Tous se dirigèrent vers la salle à manger et commencèrent à prendre place. Ce fut sans compter sur Jerry qui, fidèle à lui-même, en profita pour faire le clown en me soulevant vivement de terre, pour me porter jusqu’à une place de libre. Je m’accrochai à son cou comme à une bouée sous les rires des autres phénomènes. Je ne pus faire autrement que d’y répondre, libérant par la même occasion les tensions des dernières heures.
— Eh bien, t’as pas bien épaissi pendant ces derniers jours. Si tu veux tenir, t’as intérêt à te remplumer.
Je le regardai dans les yeux, retrouvant soudain mon sérieux.
— C’est toi qui m’as portée et sortie des bois ? demandai-je, pleine d’espoir d’obtenir enfin une réponse.
Je le vis jeter un rapide coup d’œil par-dessus mon épaule, mais je n’y prêtai pas plus d’attention.
— Loupé ! T’as grillé ton joker. Prochaine question, demain !
— Tu ne peux pas faire ça !! répliquai-je vivement.
— Bah ! tiens, reprirent les autres ranchers en cœur.
— On va se gêner, renchérit Dean. Tu te creuseras les méninges une journée de plus.
— C’est un coup bas que vous me faites. Je cherche depuis le début de l’après-midi.
Apparemment, mon air dépité et suppliant n’eut pas l’air de les apitoyer. Les connaissant, ils prirent cela comme une bravade, et je sus d’avance que je n’arriverais pas à leur faire dire quoi que ce soit ce soir.
— Qui que ce soit, repris-je respectueuse, je vous remercie, très sincèrement.
Aussi peu habitués à recevoir des remerciements de ce genre qu’à manger avec des couverts en argent, ils restèrent quelques instants dans un silence gêné, que je mis sur le compte de leur humilité. J’apprendrais plus tard que j’avais, une fois de plus, fait fausse route.
Je fus surprise, lorsque Jerry me laissa enfin toucher le sol, de découvrir Mark dans la pièce, et qu’il avait sans aucun doute assisté à toute la scène. Si les ranchers ne s’en incommodèrent nullement, je ne pouvais pas en dire autant. Son visage fermé, son regard pénétrant, accentuèrent mon malaise. Pourtant j’étais persuadée qu’il ne reflétait aucune hostilité, uniquement un grand désarroi. Peut-être avait-il découvert quelque chose qui m’avait échappé à la lecture des coupures de presse. Je n’avais eu l’occasion de les parcourir qu’une seule et unique fois chez Charlie. J’avais été troublée et étais probablement passée à côté de quelque chose. Je ne voyais pas d’autre explication. Je brûlais d’envie de le questionner, mais je pris sur moi. Ce n’était de toute évidence, ni le moment ni l’endroit. Avant de replonger dans ce passé, je souhaitais également profiter de ce moment de répit en compagnie de Martha et des ranchers et les écouter raconter leur journée. Me permettre, au travers leur récit, de prendre à nouveau ancrage dans la réalité.
Je fus placée entre Jerry et Tommy. La présence de ce dernier m’était fort agréable. Il émanait toujours de sa personnalité une sorte d’aura apaisante. Martha et Paul, à chaque extrémité de la table, présidaient, à leur façon, l’ensemble de la tablée. Jeremy et Dean encadraient Mark, assis face à moi. J’en profitai pour l’observer. Avec sa stature imposante, il dépassait d’une bonne demi-tête celle de ses voisins. Son visage avait retrouvé ses traits qui m’étaient les plus familiers. Il n’abordait plus cette expression préoccupée, mais détendue. Je savais malgré tout que derrière son air détaché, se cachait toujours ce malaise que je lui avais découvert quelques minutes auparavant. J’en eus la certitude lorsqu’il me surprit à le dévisager. Ses yeux vifs avaient, eux aussi, retrouvé tout leur pétillant. Ils me renvoyèrent, si ce n’était des doutes, des interrogations certaines. Il faisait un effort évident pour prendre un air détaché et jovial, et cela aussi me perturba, car je n’en comprenais pas la raison. J’avais la conviction que c’était lié aux articles de presse.
Les conversations tournaient bien évidemment autour du rassemblement. Paul pensait commencer d’ici une dizaine de jours, juste après les pluies qui étaient annoncées dans la région. Les journées s’accéléraient. Le rassemblement du bétail commencerait d’ici peu dans le ranch voisin. Le marquage, les vaccins, les soins nécessaires seraient distribués, et toute la région entrerait en effervescence. D’ailleurs, à cette occasion, la ville en profitait pour se rencontrer et partager ce moment en organisant des veillées. Une sorte de célébration. Chaque ranch fêtait la fin du rassemblement de leur domaine en organisant d’immenses grillades.
Indiscutablement, partager leur bonne humeur et rire, me firent du bien. J’avais l’impression de me sentir revivre. Lentement. Je croisai le regard de Martha, tout au bonheur d’une tablée enjouée, et celui de mon patron, d’une douceur que je n’avais encore rarement vue. Je lui échappai prestement, portant mon attention sur Paul.
— Pourrais-je vous accompagner lors du rassemblement ?
Ma question pourtant anodine, du moins à mon sens, lança comme un froid et stoppa net les rires des garçons.
— T’es malade ! objecta Tommy.
Je me tournai vers lui, surprise.
— T’es même pas capable de tenir debout et tu veux déjà remonter sur un cheval !
— T’es encore plus barje que nous tous réunis, renchérit Dean.
— Si j’ai bien compris, vous allez commencer d’ici quelques jours. Cela me laisse le temps de récupérer. D’ailleurs, je vais largement mieux, me justifiai-je.
— Pas pour ce genre d’équipée, trancha froidement Mark.
Je lui lançai un regard noir.
— Je vous ai demandé d’arrêter de contrôler ma vie, j’aimerais que pour une fois vous m’écoutiez !
— Et vous, que vous fassiez preuve d’un peu plus de bon sens !
— Ne commencez pas avec ça. On n’en serait pas là si vous aviez pris le temps de me parler plutôt que vous servir de moi !
Je le regardai se lever et faire le tour de la table. Si j’étais en colère et sur la défensive, lui l’était autant que moi. Je me fichais comme d’une guigne que la tablée soit les témoins médusés de notre face à face aussi virulent que soudain. Je me levai à mon tour, attendant cependant qu’il arrive à ma hauteur. Je m’accrochai au dossier de la chaise, déjà pour me soutenir tellement j’avais les jambes en coton, mais aussi pour tenter de cacher le tremblement de mes mains. Je le suivrai uniquement pour épargner à Martha le triste spectacle auquel elle risquait d’assister.
— Pas la peine de m’attraper le bras aujourd’hui et de me traîner de force, ni même de me passer par les armes !
— Nous pouvons continuer cette passionnante conversation ici si vous le désirez !
— Oh, je vois qu’il y a du changement. Vos propos ne risquent-ils pas aujourd’hui de me mettre mal à l’aise face à mes collègues ? Non, suis-je bête, ce ne sont pas les miens ce soir. Vous n’avez pas peur que les vérités que je m’apprête à vous dire vous embarrassent ou les embarrassent ?
Ses yeux étaient brillants de colère. Mais ce qui me tétanisa le plus, fut le ton froid et cassant sur lequel il s’adressa à moi. Le tout de façon suffisamment clair pour que les ranchers entendent.
— Souhaitez-vous que je vous rappelle votre état de fatigue le lendemain de votre périple en plaine et les difficultés avec lesquelles vous avez suivi les membres de votre équipe ?
— Il n’y a rien d’exceptionnel à…
Il me coupa vivement la parole pour reprendre sur le même ton.
— Souhaitez-vous que je vous rappelle l’activité principale des hommes et femme autour de cette table ? Regardez-les ! m’ordonna-t-il sèchement.
J’avais une énorme boule dans la gorge. Je l’avais provoqué devant ses pairs, mon état de fatigue et les tensions des derniers jours m’avaient fait partir au quart de tour. J’avais voulu le défier et la situation se retournait contre moi. Elle m’échappait sans que je n’en aie jamais eu réellement le contrôle. Les regards posés sur moi accentuèrent mon malaise. Je me rendis compte qu’aucun d’eux ne semblait m’accompagner. Le clan défendait un de ses membres, et je n’en faisais pas partie. Je me sentis de plus en plus mal et je m’accrochai d’autant plus au dossier.
— Regardez-les bien ! Martha, Paul, Jerry, Tommy, Dean, Jeremy. Ces personnes ne sont pas là pour vous porter secours en vous sortant de situations difficiles à tout bout de champ et leur créer des préoccupations supplémentaires. Leurs journées et leur vie en sont suffisamment remplies.
J’encaissai autant qu’il m’était possible de le faire son coup bas, incapable de trouver les mots pour me défendre.
— Comme vous l’avez si justement souligné, je suis responsable, peut-être pas de la manière dont vous semblez le penser, mais mon devoir est de faire en sorte que toute l’activité de ce ranch se déroule le mieux possible. Cela s’applique également à vous. Que cela vous plaise ou non !
Il marqua un temps avant de reprendre en me fixant droit dans les yeux.
— Que cherchez-vous à illustrer en agissant de la sorte ? Que vous êtes suffisamment forte ? Ou alors au contraire, que vous ne l’êtes pas assez et que c’est votre façon de nous montrer que vous valez autant qu’une autre ? Ça, vous n’avez pas besoin de nous le prouver !
Je me sentis prête à m’écrouler sous le poids de ses mots, totalement prise au dépourvu par le double sens de ses remarques, à la fois accusatrices, destructrices et rassurantes.
— Je me sens seulement revivre un peu plus lorsque je suis ici, avec eux… avec vous tous, réussis-je à dire d’une voix à peine audible.
Si j’avais pu disparaître, je l’aurais fait sur-le-champ. Ma remarque le perturba visiblement, car sa colère s’évanouit aussi rapidement qu’elle était apparue. Il resta un moment à m’observer, me laissant avec cette impression qu’il parvenait à lire en moi et qu’il donnait un sens à ce retournement de situation pour le moins inattendu. Il s’attendait certainement à ce que notre échange soit légèrement plus envenimé et combatif. Seulement, je m’étais rendu compte un peu trop tard que je ne m’en sentais absolument pas capable. Lui, également visiblement.
— Ce n’est pas vrai…, souffla-t-il résigné.
Il posa ses mains sur mes épaules et exerça une légère pression, m’obligeant à reprendre place sur ma chaise. Il reprit d’une voix profondément douce et chaleureuse.
— Maintenant, vous allez vous rasseoir avant de finir une fois de plus par terre et nous allons finir ce repas comme nous l’avons commencé.
Comme si rien ne s’était passé, les conversations reprirent bon train. Je sursautai en entendant Jerry apostropher Dean de sa voix de baryton, m’écorchant les tympans au passage. Tommy m’adressa un petit sourire réconfortant.
— Sur ce coup, je suis d’accord avec Mark. Nous n’aurons pas le temps de nous assurer que tu vas bien. Ce sont des journées éprouvantes, et pourtant, on est habitués. Tu as assisté l’autre jour à une promenade de santé à côté.
— Merci Tommy. Je comprends, un peu tard, mais je comprends.
Je fis un gros effort pour garder un minimum de dignité et surtout pour ne pas m’enfuir, tant j’étais submergée par la honte. J’avais réagi comme une ado attardée et maintenant j’avais envie de disparaître et de pleurer comme une gamine de cinq ans. Martha qui avait écouté Tommy et souhaitait trouver un compromis qui ne froisse ni les ranchers ni mon émotivité déjà mise à rude épreuve, ajouta :
— Attendez de voir comment vous irez dans quelques jours. Même si vous n’y assistez pas, le travail sur place, une fois toutes les têtes au ranch, est particulièrement intéressant et instructif. Vous verrez, entre la séparation des taurillons, le marquage et la vaccination je suis certaine que vous pourrez même participer. Et pourquoi pas, la fameuse initiation à la prise au lasso, lança-t-elle à l’intention de Mark.
J’osai enfin lever les yeux vers lui.
— C’est envisageable, oui, répondit-il d’une voix calme et posée, sans me lâcher du regard.
Il était sans aucun doute en train de s’interroger sur moi. Je ne savais pas si cela concernait ma pitoyable représentation ou sur mes futures compétences de cowgirl. Je préférai m’y soustraire, toujours mal à l’aise, et porter mon attention sur mon assiette dont je n’avais pas entamé le contenu. Le peu d’appétit qui me restait s’était évanoui au moment même ou j’avais posé la question défendue.
Les voix des ranchers s’éloignaient progressivement. Je m’isolai, mettant entre eux et moi comme une membrane transparente que rien ne pouvait traverser. J’adorais leur présence, mais en cet instant j’avais uniquement besoin de me retrouver seule.
Je m’emmurai dans une citadelle de silence. Elle me permettait de reprendre contenance, lentement. Si elle m’autorisait à établir le vide autour de moi, elle me donnait cette liberté également de le faire avec mes émotions et me protéger du monde.
Je sortis de mon état d’isolement en sentant que l’on me secouait le bras de plus en plus fort.
— Quoi ? lui lançai-je un peu surprise.
— Reviens un peu sur terre ! dit Tommy. Ton téléphone n’arrête pas de sonner depuis tout à l’heure.
Je sortis totalement de ma torpeur en découvrant avec horreur que tous avaient les yeux rivés sur moi. À voir leur tête, j’en déduis que je devais faire peine à voir et piquai mon plus beau fard de la soirée. Je farfouillai maladroitement sous le sweater et les deux couches de pull dont je m’étais recouverte, pour dénicher enfin mon téléphone. Mes mains tremblaient et il m’échappa pour terminer sa course, et pour une fois, ce soir, la chance me souriait, à côté de mon assiette. Par réflexe, je regardai le numéro sans toutefois le reconnaître et décrochai en même temps que je me levais.
— Bonjour ! Tim Delettre, se présenta mon interlocuteur.
— Bonsoir… Vous devez faire une erreur. Je ne connais personne de ce nom.
— Vous êtes bien Samuelle Lookwood ?
— Euh… Oui.
— Alors vous êtes la bonne personne, Mademoiselle, répliqua-t-il avec complaisance. Je vous téléphone concernant votre commande.
— Ma commande ?
— Oui, je souhaitais vous avertir que la stèle était prête. Vous verrez, elle est magnifique !
Cette fois, je sentis le sang quitter mes joues et je me laissai retomber lourdement sur ma chaise les jambes coupées. Cet appel téléphonique sonna le glas. Le coup fatal. Celui qui me manquait pour finir sous cette stèle, qui, elle, m’était entièrement sortie de l’esprit.
— Nous avons cependant un petit… souci d’ordre logistique, reprit mon interlocuteur gêné. Les marbriers seront sur place, demain matin à 10 h pour la pose de la plaque.
Je n’arrivais plus à gérer quoi que ce soit. Toutes sortes de questions se bousculèrent, mais je ne parvins pas à articuler quoi que ce soit.
— Vous êtes là ? demanda-t-il, inquiet par mon absence de réaction.
Je rassemblai mes idées et répondis péniblement.
— Je ne pourrai pas être sur place demain matin. Le délai est trop court. Vous pouvez leur demander de décaler leur intervention ? Et si vous gardez la pierre quelques jours supplémentaires, cela me laisserait le temps de m’organiser. Vous me prenez au dépourvu.
J’eus droit à un « fort malheureusement, il ne pouvait répondre favorablement à ma requête ».
— D’accord ! J’ai bien compris le message. Je serai là demain matin !
— Nous n’avons pas pu faire autrement, sinon, nous nous serions empressés de trouver une solution qui vous convient.
— Je n’en doute pas un seul instant !
Je raccrochai précipitamment. D’entendre ses lamentations et son ton mielleux me lamina encore plus le moral. Comme par un fait exprès, j’avais laissé mon père pendant plus de dix-huit ans, et le jour où je me rapprochais enfin de lui, c’était pour bâcler et expédier en deux temps trois mouvements nos retrouvailles. Je sentis les larmes de frustrations, de dépits et de colère refaire surface. Je me pris la tête entre les mains et exerçai une légère pression sur mes tempes, espérant par ce geste calmer mon mal de tête qui s’était soudainement ranimé. J’avais l’impression d’être face contre terre, comme si une main invisible m’y collait et j’arrivais difficilement à me redresser. Je réfléchis aussi vite que mon état me le permit. À part me rendre à l’aéroport ce soir et prendre le dernier avion, je ne voyais pas d’autre solution. Je devrais quand même pouvoir tenir un volant jusque là. Avec quelques arrêts en cours de route si nécessaire, l’opération me semblait réalisable.
Le silence absolu qui régnait dans la pièce m’interpella. Je découvris avec effroi que j’étais, une fois de plus, le centre de toutes les attentions. Je m’excusai maladroitement, et tout en me levant, leur annonçait, bien qu’ils l’aient compris, que je devais quitter le ranch. Je m’attendais à des réactions, mais pas à celle-ci. Comme s’ils étaient en parfaite communion, tous tournèrent le regard vers mon patron qui en un instant fut le point de convergence de la tablée. Et le regard qu’il posa sur moi ne me plut pas.
Je quittai la pièce aussi vite que mes jambes me le permettaient dans un état de fébrilité élevé, utilisant chaque objet sur mon passage pour me soutenir. Mon élan fut vite stoppé par la série de marches. Je commençai mon ascension et à chaque marche, je m’attendais à voir mon patron surgir dans mon dos. Mais à ma grande surprise, j’atteignis le sommet sans avoir été rattrapée par une tempête.
Je préparai quelques vêtements de rechange tout en cherchant mes clés de voiture que je ne trouvai pas et je décidai d’emprunter un des 4 x 4 du ranch en même temps que j’ouvris la porte à la volée. La tempête m’avait rattrapée et se tenait sur le seuil, s’apprêtant à frapper. Je marquai un arrêt. J’analysai sous quel angle il comptait porter son premier coup, mais c’est comme s’il prenait son temps, jaugeant la force nécessaire dont il aurait besoin pour m’immobiliser.
— Laissez-moi passer !
— Où devez-vous aller ?
— Ça ne vous regarde pas !
— Tant que vous ne serez pas totalement remise, cela me regarde !
— Bah ! tiens. Et qu’a décidé le grand chef du conseil ? Laissez-moi respirer !
Son visage déjà crispé se durcit encore un peu plus.
— Alors, profitez-en. Si vous prenez la route maintenant, vous vivez votre dernier souffle. Je sais déjà dans quel virage on va vous retrouver !
— Et alors ? Vous avez de bonnes assurances, non ? Je changerai de classe. D’investissement, je passerai dans un compte général de pertes et profits. J’aurai eu la joie et l’honneur de visiter tout le plan comptable de votre société.
— Vous avez terminé ? Votre petite crise pubère est derrière vous ?
— Arrêtez de me parler comme si je n’étais qu’une gamine débile !
— Alors, arrêtez de vous comporter comme telle !
— À qui la faute ? Depuis le début de la soirée, vous décidez de tout, jusqu’au nombre de bouchées que je dois avaler.
— On risque à ce rythme d’y passer la nuit. Nous avons ce point commun. Ni vous ni moi n’avons de temps à perde en élucubrations.
Cette conversation m’épuisait. J’étais tendue au possible depuis le début et je sentais que je perdais du terrain. Je préférai abandonner et garder mes forces pour faire la route. Je repris sur un ton qui résonna la résignation.
— Il faut vraiment que j’y aille. Vous ne pouvez pas comprendre. Laissez-moi passer… s’il vous plaît.
— Expliquez-moi, insista-t-il doucement. Il est peut-être temps de faire une trêve, vous ne croyez pas ?
Je le fixai et la réelle compassion qu’il m’envoya me fit flancher et capituler entièrement.
— D’accord. Je dois aller voir mon père. C’est un rendez-vous que je ne peux pas manquer.
Tiens ! Je me mets à parler comme Charlie maintenant, parlant de mon père comme s’il était toujours en vie.
Sans un mot, il me prit le sac des mains et me dirigea doucement vers les escaliers. Je crus un instant qu’il voulait me pousser en bas des marches et par réflexe je résistai, pour me rendre vite compte de l’absurdité de ma réaction.
— Je ne vais pas vous liquider tout de suite, avança-t-il avec un léger sourire.
— Vous l’avez bien cherché. Je n’y peux rien si mon instinct de survie prend le dessus lorsque vous êtes dans un périmètre proche.
Il ne releva pas et annonça d’emblée.
— Si vous avez toutes vos affaires, alors nous pouvons y aller.
— Vous ne savez même pas où je dois me rendre, répliquai-je assez sèchement.
— Que vous croyez ! Vicki m’a parlé de votre visite dans le Wyoming.
— Vous l’avez fait parler sous la torture ou sous la menace ?
— Vous êtes la seule ici qui me considère comme votre ennemi. C’est votre droit. Mais ne transposez pas cet état de fait sur toutes les personnes qui me connaissent. Vicki, cela va peut-être vous surprendre, est mon amie. Oui, que voulez-vous ! Même le plus vil de vos ennemis peut connaître l’amitié, répliqua-t-il sardonique.
Je l’avais blessé visiblement, mais je n’en ressentis aucun remords. À ce jeu, il était beaucoup plus incisif que moi. Il poursuivit sur un ton qui m’incita immédiatement à revoir mon niveau de mauvaise conscience à la hausse.
— Elle m’a parlé, car tout comme moi, elle s’inquiète pour vous. Laissez-moi vous accompagner jusqu’à l’aéroport. C’est bien là-bas que vous souhaitez vous rendre n’est-ce pas ?
Je dus admettre que sa proposition m’arrangeait. Nous devrions nous supporter le temps du trajet. J’étais fatiguée et bien trop sur la défensive. Je devais absolument tempérer mes ardeurs si je voulais récupérer un tant soit peu. J’acquiesçai d’un hochement de tête.
Sa voiture était sortie. Je le regardai avec un mélange de stupéfaction et de respect, mais aussi de gratitude. J’essayai tout de même de ne pas laisser transparaître ce dernier sentiment.
— Vous êtes toujours aussi sûr de vous ?
— Je ne suis jamais sûr de rien avec vous, répliqua-t-il doucement tout en refermant la lourde portière de la Mercedes.
Je le regardai faire le tour de la voiture pour s’y engouffrer à son tour. Je détournai mon regard, l’ignorant de façon ostentatoire et impolie.
Table des matières
- Prologue Env. 2 pages / 389 mots
- Chapitre 1 Env. 19 pages / 6383 mots
- Chapitre 2 Env. 13 pages / 4260 mots
- Chapitre 3 Env. 22 pages / 7208 mots
- Chapitre 4 Env. 19 pages / 6181 mots
- Chapitre 5 Env. 31 pages / 10348 mots
- Chapitre 6 Env. 17 pages / 5879 mots
- Chapitre 7 Env. 20 pages / 6723 mots
- Chapitre 8 Env. 26 pages / 8616 mots
- Chapitre 9 Env. 15 pages / 5159 mots
- Chapitre 10 Env. 15 pages / 4771 mots
- Chapitre 11 Env. 13 pages / 4259 mots
- Chapitre 12 Env. 21 pages / 7061 mots
- Chapitre 13 Env. 27 pages / 9015 mots
- Chapitre 14 Env. 14 pages / 4743 mots
- Chapitre 15 Env. 21 pages / 6913 mots
- Chapitre 16 Env. 16 pages / 5072 mots
- Chapitre 17 Env. 14 pages / 4600 mots
- Chapitre 18 Env. 16 pages / 5161 mots
- Chapitre 19 Env. 16 pages / 5224 mots
- Chapitre 20 Env. 21 pages / 7118 mots
- Chapitre 21 Env. 21 pages / 7094 mots
- Chapitre 22 Env. 18 pages / 6091 mots
- Chapitre 23 Env. 15 pages / 4981 mots
- Chapitre 24 Env. 21 pages / 6845 mots
- Chapitre 25 Env. 13 pages / 4247 mots
- Chapitre 26 Env. 14 pages / 4478 mots
- Chapitre 27 Env. 16 pages / 5253 mots
- Chapitre 28 Env. 19 pages / 6055 mots
- Chapitre 29 Env. 18 pages / 5869 mots
- Chapitre 30 Env. 16 pages / 5111 mots
- Chapitre 31 Env. 24 pages / 8116 mots
- Chapitre 32 Env. 18 pages / 6148 mots
- Chapitre 33 Env. 17 pages / 5492 mots
- Chapitre 34 Env. 24 pages / 8234 mots
- Chapitre 35 Env. 22 pages / 7498 mots
- Chapitre 36 Env. 16 pages / 5169 mots
- Chapitre 37 Env. 15 pages / 4977 mots
- Chapitre 38 Env. 17 pages / 5461 mots
- Chapitre 39 Env. 19 pages / 6272 mots
- Chapitre 40 Env. 18 pages / 6031 mots
- Chapitre 41 Env. 25 pages / 8315 mots
- Chapitre 42 Env. 19 pages / 6024 mots
- Chapitre 43 Env. 18 pages / 5857 mots
- Chapitre 44 Env. 19 pages / 6296 mots
- Chapitre 45 Env. 21 pages / 6836 mots
- Chapitre 46 Env. 23 pages / 7650 mots
- Chapitre 47 Env. 15 pages / 5058 mots
- Épilogue Env. 5 pages / 1462 mots
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