L’éveil…

« […] Deviens sans cesse celui que tu es,

sois le maître et le sculpteur de toi-même. »

Friedrich Nietzsche

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Il n’est guère toujours aisé à l’homme d’enrichir ou d’instruire son âme. S’il néglige de considérer sa vérité pour des futilités ou par manque d’éveil, une malaisance peut s’emparer de tout son être.

Comme notre monde d’agitation et d’incertitude l’éloigne de ses profondeurs, peut-il néanmoins se façonner ? Et surtout, comment entreprendre cette noble tâche ? Bien inconsciemment, il erre sous l’emprise de ce qui le meuble ou de ce qui le sculpte depuis le berceau. Puis, trop souvent et fort tardivement, il réalise que son existence se révèle en substance le puits ou l’origine de ses chimères et de ses malheurs. Qu’il n’a jamais vraiment su maîtriser sa propre vie, concrétiser ses rêves ou admettre sa réalité. Or, il demeure toujours concevable de se découvrir et de se modeler au fil de ses expériences.

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Tant d’individus galvaudent leur existence en idées creuses ou en glamoureuses frivolités, incapables de se définir et refusant d’accepter ou d’assumer l’image qu’ils projettent. Ils accusent le sort, ignorant qu’ils détiennent le pouvoir de forger leur parcours, de modeler leur destinée. Certains implorent Dieu de leur fournir les outils pour mieux comprendre ou guider leur vie. Pour atteindre cette puissance, cette compétence qu’ils possèdent déjà en eux. D’autres, les dubitatifs ou les plus incrédules, préfèrent utiliser leurs propres moyens pour réaliser leurs nobles desseins, convaincus que leurs méthodes outrepassent tout ce qui leur semble fort illusoire ou que l’on ne peut guère élucider ou prouver ici-bas.

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Friedrich Nietzsche soulevait les controverses. C’est bien connu. Puis, il ne libérait pas toujours les propos les plus intelligibles au regard des profanes, des non-initiés. J’en conviens. Mais il était assurément l’un des philosophes, l’un des libertaires les plus érudits, les plus profonds de son époque. Dans son ouvrage intitulé « Le Gai Savoir », je retiens les points culminants de sa pensée. Soit le nihilisme — qui me hante d’ailleurs depuis toujours, tel qu’en témoignent mes divers écrits relatifs aux nombreuses profondeurs insolubles —, l’instinct du troupeau en nous, ou encore nos forces vivantes toujours inconnues de nous-mêmes.

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Sa doctrine épouse la thèse d’Emmanuel Kant, au sujet de notre instinct du troupeau. Mais leurs théories se distinguent subtilement en ce qui cloître l’humain dans sa minorité ou qui l’empêche de devenir celui qu’il est. Alors que Nietzsche déplore le désert intellectuel ou spirituel des hommes, Kant estime que la faute ne repose pas uniquement sur eux, mais aussi sur les veilleurs du troupeau depuis leur mirador, en leur but d’endiguer leur éveil, de les confiner dans leur ignorance ou leur docilité. Ce qui les porte à s’abandonner au quelconque et désertique cortège prisonnier de sa génuflexion.

Emmanuel Kant

« Qu’est-ce que les lumières ? »

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Cela dit, à force de garder les êtres dans leur minorité ou dans leur état de servilité, c’est toute l’humanité qui se voit privée de ses moyens évolutifs au profit des gardiens désireux de dominer le monde. Or, en général, les hommes semblent se complaire en leur inscience. Ils la jugent moins pénible à supporter que la charge et la volonté requises pour s’en libérer. Nous remarquons que la nécessité et la difficulté se soudent lorsqu’il s’agit de prendre conscience de la sombre hégémonie spirituelle qui nous empaume, et surtout d’y résister.

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Nous pourrions conclure cette analyse en retenant les pensées unissant ces deux théories relatives à la minorité des hommes, à savoir qu’ils demeurent prisonniers d’eux-mêmes à cause de leur « manque de conscience intellectuelle ». Mais, bien que leur éveil puisse sembler utopique à grande échelle ou dans un vague avenir, j’ose croire en une puissance salvatrice délivrant les nations de cette domination, tel que l’exprime fort adroitement Voltaire dans son œuvre intitulée « Réflexions pour les sots » :

« […] Plusieurs nations qui longtemps n’ont eu que des cornes,

et qui ont ruminé, commencent à penser. »

Voltaire

« Réflexions pour les sots »

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Or, la servitude est plus sournoise et plus profonde que l’on daigne bien le croire, comme l’énonce si justement Sénèque :

« Quelques-uns sont tenus en servitude,

un plus grand nombre y tiennent. »

Sénèque

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