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Les Mémoires d'O. Dipe
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- Catégorie : Littérature générale > Romans
- Date de publication sur Atramenta : 2 décembre 2016 à 13h28
- Dernière modification : 19 mars 2018 à 20h39
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- Longueur : Environ 60 pages / 21 066 mots
- Lecteurs : 112 lectures + 22 téléchargements
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Les Mémoires d'O. Dipe (Oeuvre réservée à un public averti)
I
Je vois le jour le huit octobre mille neuf cent soixante-seize. Du moins, c’est ce jour que je suis déposé à la porte cochère de l’orphelinat Citheron, au trente-deux de l’avenue Jules César à Charleville-Mézières. Abandonné à la naissance, je ne vis pas dans un cadre familial classique. Je vais à l’école, bien sûr, mais le matin, le midi et le soir, la nuit, je suis à Citheron. Dans celle-ci, tous les murs sont d’un blanc pur et insipide, la peinture est craquelée par endroit, et l’amour n’est pas à profusion. On s’occupe de nous, on nous nourrit, nous habille, mais ne nous aime pas. Du moins, pas assez.
Dans les premières années de ma vie, avant que je n’aille à l’école, je suis plutôt apprécié par les membres du personnel. Le directeur, qui me donne peu après mon arrivée mon prénom d’Olivier, me porte beaucoup d’affection. Les délices de la nouveauté, sans doute. Car quand je deviens un « ancien », les choses se compliquent. Je suis un petit brun aux yeux bleus.
Dès mon arrivée en maternelle, je me sens mal-à-l’aise. L’institutrice me demande de colorier le loup d’une comptine. Il me fait peur. À la récréation, je ne me fais que très peu d’amis. Je reste le plus souvent avec mon institutrice, le temps que l’on rentre en classe.
Il y a bien François, dans ma classe, que j’aime bien, dans un premier temps. Je le rencontre à la rentrée. On joue parfois aux billes, et on s’échange des dessins. Mais un jour, il me parle de ses parents.
– Moi, mon père, il est « tèche-nicien » en informatique. Ma mère, elle reste à la maison pour faire le ménage. Et toi, y font quoi, ton papa et ta maman ?
– Je n’ai pas de papa. Je n’ai pas de maman, non plus.
– Mais comment c’est possible !? me lance-t-il. Tout le monde a un papa et une maman, c’est obligé !
– Ben, moi, j’en ai pas.
– Beh qui c’est qui vient te chercher à l’école ?
– C’est Brigitte. Elle s’occupe de moi, mais c’est pas ma maman.
– Mais tu habites où, alors ?
– À Citheron.
– C’est où, ça ? C’est chez nous ?
– C’est un endroit où y a que des enfants sans papa et sans maman.
– C’est triste.
L’innocence, malveillante si incontrôlée, faisant son chemin, mon enfer commence après ses mots. La fin de la récréation sonne, on rentre. Là, François raconte à qui veut l’entendre que je n’ai pas de parents.
Ensuite, partout, tout le temps ce sont des « Il a pas de maman ! Il a pas de papa ! » qui me sont lancés, et qui résonnent dans ma tête comme les soubresauts acides de mon abandon. À la récréation, plus personne ne veut jouer avec moi. On me dit que je suis bizarre. Forcément, dirait-on, puisque mes propres parents n’ont pas voulu de moi. C’est qu’il y a nécessairement quelque chose qui cloche.
Pourtant, je suis normal. J’entame une scolarité tout à fait convenable, si ce n’est que la sociabilisation, un élément essentiel de la maternelle, n’est pas à son plus gros rendement.
Un soir, en rentrant à Citheron, je prends mes crayons de couleur et dans un élan, artistique s’il en est, je décide de repeindre les mornes murs blancs de ma chambre. Un éducateur arrive après quelques minutes.
– Nom de Dieu, mais qu’est-ce que t’as foutu, Olivier !? me lance-t-il.
– Les murs sont tristes ! lui reponds-je. Je voulais leur donner un peu de couleur !
Et bam ! C’est la première baffe que je reçois. En vienne d’autres, plus tard, plus régulièrement.
– T’as pas fait ton lit ?
Une gifle.
– T’as pas mangé tes haricots, t’en as mis plein la table !
Une fessée.
J’essaie d’être le plus droit possible, le plus convenable, le plus obéissant, mais à la moindre bévue, j’ai droit à ma claque.
Les belles années sont derrière moi. Du moins, à ce moment, je le crois. Quand les PP (parents potentiels) viennent pour adopter, on me met de côté. Trop âgé, trop « turbulent », je donne une « mauvaise image de l’orphelinat et de son action contre les bassesses de l’humanité » me précise le directeur, pour qui je ne suis plus le chouchou.
À l’orphelinat, des violences. Souvent verbales, parfois physiques mais toujours blessantes.
À l’école, jusqu’en primaire (François et les autres m’ont suivi dans la scolarité, entraînant les nouveaux dans leur manège), je suis harcelé, mis au rancart.
Ma vie est un enfer. Pourquoi suis-je si malheureux, mal-aimé ?
Du moins, jusqu’à mes huit ans.
Un jour de février, un mercredi après-midi (je m’en souviendrai toujours), des PP nous rendent visite.
Pour une fois, je ne suis pas mis à l’écart. Cette fois-ci, le directeur veut donner une image accueillante de l’orphelinat. Il me laisse jouer avec mes camarades d’infortune, dans la grande salle. Pour l’occasion, l’équipe du personnel a garni les murs défraîchis de tous les dessins qu’elle a pu trouver.
Quand je les vois arriver, je tente immédiatement ma chance. Tant pis si ce sont des parents violents ou pacifiques, alcooliques ou pleins de sobriété, toxicomanes ou donneurs de sang, philatélistes ou agriculteurs. Je ne me suis même pas posé la question. Ce jour, c’est mon jour. À moi de faire mes preuves.
– Bonjour, madame. Bonjour, monsieur.
– Bonjour, petit, me répond la dame.
– Je m’appelle Olivier. Je sais que vous êtes là pour chercher un enfant, je suis à vous, tout entier. Je suis bon à l’école, je mangerai tous mes haricots et je ne pleure pas la nuit.
– Pas de précipitation, chuchote l’homme à sa femme. Prenons un enfant en bas-âge, pour parfaire son éducation.
– Alors là, mon vieux ! S’insurge la dame. Je ne suis pas d’accord. Regarde ce petit Olivier. C’est le seul qui est venu nous accueillir !
– Marie-Ange… Ce petit Olivier, comme tu dis, il est déjà grand. Est-ce qu’il saura s’intégrer dans notre famille ?
– Je ne sais pas ce que veut dire « s’intégrer », mais je pourrais vous aimer comme mes vrais parents, interviens-je.
– Dis-moi, mon garçon, me dit la dame, tu saurais me montrer où est le bureau du directeur ?
– Bien sûr, Mariange, c’est au premier étage. Je vais vous montrer. Venez.
Je prends « Mariange » par la main, et la guide jusqu’au bureau en question. Le monsieur nous suit, de loin. À cette époque, je ne saurais dire quelle détermination illuminait le regard de cette femme. Elle vient de choisir, je serai son fils. Mais je ne le sais pas encore.
Je les quitte à la porte du directeur, en leur lançant un « C’est là ! » tout joyeux. Je redescends dans la grande salle, pour jouer aux petites voitures.
Au moins une heure passe avant que les PP d’aujourd’hui ne reviennent. Je ne fais plus attention à eux. C’est bientôt l’heure de manger. Je suis de corvée pour mettre la table pour tous les enfants. Alors que je tiens une pile d’assiette dans les mains, les PP me rejoignent.
– À bientôt, Olivier, me salue Marie-Ange.
– Comment ça, à bientôt ? Vous allez revenir me chercher ?
– Je l’espère, fiston, me dit l’homme.
Je lâche les assiettes, qui se brisent sur le sol en un instant, comme sont effacées de mon cœur toutes les mésaventures passées. L’éducateur dans la salle se retient de m’en mettre une. Mais je suis l’enfant le plus heureux du monde.
Je saute dans les bras de ma future mère, bientôt rejoint par l’homme dont j’ignore toujours le nom.
– Merci ! Merci ! Merci ! hurlé-je, le cœur plein de joie. À bientôt, je vous aime déjà !
Ce soir-là, je mange toute mon assiette. Les jours suivants aussi. Mon lit est fait au carré et j’explose tous les scores à l’école. J’aurai un magnifique bulletin à montrer à… oserais-je le dire ? Maman et papa !
Quelques mois plus tard, en septembre, je reçois cette magnifique visite-surprise. J’étais en train de manger, tranquillement quand, dans mon dos, une voix douce, de miel, me dit de venir.
– Olivier… entends-je. Viens donc par ici…
Je me retourne, et vlan ! Je tombe de ma chaise. Marie-Ange et son mari sont là, prêts à m’enlever de ce cadre infâme. Je saute dans leurs bras, les embrasse et les câline.
– Enfin… Vous êtes là. Alors, c’est d’accord, je pars avec vous ?
– Oui, me dit ma nouvelle maman, tu pars avec nous. Mais finis donc de manger, tu prépareras ton départ ensuite.
En quatrième vitesse, je termine mon assiette, ne prends pas de dessert et fonce dans ma chambre. En guise de valise, deux grands sacs-poubelle. J’y glisse tous mes vêtements, enfile mon cartable sur le dos et fonce au rez-de-chaussée, à la porte d’entrée. De sortie, pour moi.
– Maman ! Papa ! Je suis prêt, on y va !
– Attends, petit filou, me dit mon père. Nous devons avoir une dernière discussion avec ton directeur. Marie-Ange, je m’en occupe. Toi, emmène le gamin à la voiture.
– Entendu, fait-elle, simplement.
– Je ne vous attendais plus, dis-je à ma mère en sortant. Je croyais que vous m’aviez oublié.
– Mais non, nous ne t’avons pas oublié. Seulement, la procédure d’adoption est longue, et compliquée. Mais maintenant, je peux le dire : Tu es mon fils.
– Pardon si ça vous dérange…
– Tu peux me dire « tu », tu sais ?
– D’accord. Je disais, si ça te dérange, mais pourquoi vous êtes venus me chercher ? Je vois souvent des PP, mais je sais pas pourquoi ils viennent.
– Des PP ? C’est quoi ?
– Des Parents Potentiels. C’est comme ça qu’on les appelle, ici.
– Ah, OK. Hé bien, jeune homme, sache que nous ne pouvons pas avoir d’enfant naturellement… C’est pourquoi nous avons fait appel à l’orphelinat.
– Naturellement ? C’est quoi qu’ça veut dire ?
– Que notre cigogne est malade, et qu’elle ne peut pas nous apporter de bébé…
– Une cigogne ? C’est un oiseau, c’est ça ? Mais pourquoi ?
– Tu ne sais pas comment on fait les bébés, n’est-ce pas ?
– Non. Je crois que le papa met une graine dans le ventre de la maman, et que le bébé grandit à l’intérieur. Mais j’y crois pas de trop. J’aime mieux ton histoire de cigogne. Alors comme ça, la tienne est malade ?
– Oui, c’est ça. Mais tu verras, nous serons heureux, tous les trois.
Pendant que nous discutons, nous arrivons à la voiture. À cette époque, je n’y connais rien en automobile, mais je sais lire. « Peugeot 205 ». Elle est grise, aux formes carrés, et comporte un siège-auto à l’arrière. Nous glissons mes affaires dans le coffre, et ma mère m’attache à ma place.
– Attendons ton père, il ne va pas tarder.
En effet, quelques minutes plus tard, il arrive. Sans même prendre le temps d’éteindre sa cigarette, il pénètre dans la voiture.
– Chéri… gronde ma mère.
– Quoi ? lance-t-il, sans comprendre.
– Nous avons Olivier, tu pourrais éteindre ta clope…
– Ah, pardon, s’excuse-t-il en jetant son tube à cancer par la fenêtre.
– C’est quoi une clope ?
– C’est de la cochonnerie, m’explique ma mère. C’est caca.
– Moi, j’aime bien. Ça sent la fumée, comme une cheminée.
– Tu vois la mauvaise influence que tu as déjà sur le petit !? s’énerve ma mère.
– Ouais, ben, j’ai pas fait exprès… Allez, on va pas en faire un drame, si ? Allons-y, plutôt.
– Dis, papa, c’est quoi ton nom ?
– Pierre, Pierre Dipe. Mais tu peux m’appeler papa. Ou Pierre, si ça te dérange.
– Non, j’aime mieux papa. Tu sais, j’ai jamais eu de papa, avant. Alors ça me change… Dites, vous avez une cheminée chez vous ?
– Chez nous, c’est chez toi aussi, Olivier, me dit ma mère. Oui, on a une cheminée.
– Cool, réponds-je alors que mon père démarre la voiture.
Nous faisons quelques kilomètres à travers Charleville, puis dans la cambrousse ardennaise, et nous arrêtons à Daumont-sur-Meuse, chez Marie-Ange et Pierre Dipe. Et chez moi, aussi, à partir de maintenant. Nous sommes au six de la ruelle de Corinthe, à deux pas de la mairie. Après un bref passage à la boulangerie du coin pour m’avoir un éclair au chocolat (je n’ai pas eu de dessert), nous entrons chez nous. C’est une grande demeure, comment dire ? d’époque. D’une époque lointaine. Les meubles ne datent pas d’hier. Mais, là au moins, les murs ne sont pas d’un blanc fade comme à Citheron. Tantôt beige dans le salon, ils prennent une teinte menthe poivrée dans la salle à manger. Dans la cuisine, du papier peint aux motifs floraux décore l’endroit, raccord avec les toilettes du rez-de-chaussée.
C’est ma mère qui me fait visiter. Mon père, lui, va finir de fumer. À l’étage, trois chambres, une salle de bains, et d’autres toilettes. Dans la première chambre, celle des parents, trône un gigantesque lit en bois finement ciselé. C’est du travail fait-main.
– Qu’est-ce qu’il y a, Olivier ?
– Ce lit est magnifique… dis-je, émerveillé.
– C’est ton père qui l’a fait. Il est agriculteur, mais touche sa bille en ébénisterie.
– Waouh. Par contre, les murs blancs, brrr…
– Oui, c’est vrai. Tu penses qu’on devrait changer ?
– Oui. Ça me rappelle l’orphelinat.
– Tu veux voir ta chambre ?
– Oh oui !
Dans la deuxième chambre, la mienne, les murs ont plusieurs teintes de bleu. Il y a un lit plus modeste, en acier, sur lequel est délicatement posée une couette avec un tigre imprimé dessus. Çà et là, quelques jouets.
– C’est pour moi, tout ça ?
– Bien sûr. Tout est à toi, ici.
– Même les jouets ?
– Même les jouets. Tout.
– Trop cool ! Je n’ai jamais eu de jouet à moi seul !
Je fonds en larmes et fonce dans les bras de ma mère. Elle m’étreint, me cajole, me comprend.
Dans la salle de bain, une baignoire ancienne et une panière à linge sale. Je sens alors que ma vie vient de prendre un tournant décisif. Nous redescendons dans le salon, où mon père nous attend.
– Alors ? La maison te plaît ?
– Faudra changer la couleur de la chambre, intervient ma mère. Le blanc, c’est mauvais pour lui.
– Tu peux laisser parler le petit, Marie ?
– Ben, elle a raison. La maison est cool, mais dans votre chambre, ça me rappelle de mauvais souvenirs.
– D’accord. Je changerai ça ce week-end, après le boulot.
– Maman m’a dit que tu étais agriculteur. C’est vrai ?
– Oui, pourquoi ?
– C’est comme fermier ?
– Oui, si tu veux.
– Je saurai quoi dire à l’école, alors. Merci. Papa, maman, au fait, vous pouvez me changer d’école ?
– Tu es où, en ce moment ?
– À Charleville. Mais les autres, là-bas, ils font que de m’embêter. Je veux changer d’école.
– On va en discuter, mais je pense que tu peux venir ici, pour l’instant. L’école primaire y est convenable, explique mon père. Par contre, pour le collège et le lycée, tu devras retourner à Charleville. Mais nous avons le temps avant cela. Tu comprends ?
– D’accord. Et toi, maman, c’est quoi ton travail ?
– Je suis secrétaire chez le médecin du coin, le docteur Pichard.
– Cool !
Je m’en vais dans ma chambre, profiter de mon nouveau lit. Pendant mon absence, mes parents discutent de mon inscription prochaine à l’école du coin, des formalités inhérentes à mon adoption (changement d’état civil, ajout sur le livret de famille) et des prochaines vacances.
Moi, je m’endors presque aussitôt, dans ce nouveau lit douillet. Je ne me réveille que pour le dîner. Au menu, carottes râpées, bœuf bourguignon et mousse au chocolat maison. Je commence par me précipiter sur les plats, tandis que ma mère me suggère de ralentir le mouvement.
– C’est mieux pour la digestion, me dit-elle.
– Oui, mais à Citheron, on n’avait qu’une demi-heure pour manger.
– Tu n’es plus à Citheron. Prends ton temps.
Après le repas, mon père s’allume une cigarette, juste devant moi. Ma mère gronde, il va dehors, devant la maison.
Il lui faudra quelques jours pour s’adapter à ma présence parmi eux. Le rafraîchissement de la chambre, en bleu turquoise, l’y aide fortement. Moi, je n’ai aucun mal à m’adapter. Sauf pendant les repas. Les premières semaines, je mange toujours vite.
Entre-temps, je suis inscrit à l’école. Et même, à la cantine scolaire. Ce que j’y mange est entre l’affreux et le dégueulasse. Mais je m’y fait.
Durant les premiers jours, je crie au monde entier le métier de mes parents. À tous mes camarades. Aux instituteurs.
– Ma mère est secrétaire ! Mon père est fermier ! lancé-je fièrement à tout-va.
Cela n’intéresse personne. Je suis le seul que cela touche. Mais c’est important pour moi de crier ma joie à la face du monde. J’ai des parents, et j’en suis fier. Mon passé est derrière moi. Loin derrière moi.
En octobre, c’est mon anniversaire. L’occasion de rencontrer les autres membres de ma nouvelle famille. Lors de ma première fête en tant que Dipe, tout le monde s’est réuni chez mes parents. Le frère de mon père, mon oncle donc, est boucher à Rethel. Sa spécialité : le boudin.
– Bonjour, jeune homme, me dit-il. Moi, c’est Jean-Louis, mais tu peux m’appeler tonton. Et toi ?
– Je m’appelle Olivier.
– Et alors, ça te fais quel âge ?
– Neuf ans.
– Neuf ans ! Comme tu es grand !
– Et toi, t’as quel âge ?
– Quarante-six. Je suis un fossile, comparé à toi ! rigole-t-il.
– C’est quoi, un fossile ? C’est comme les dinosaures ?
– Un peu. Les dinosaures que nous avons sont des fossiles. Mais je crois que ceci peut t’éclairer davantage… me dit-il en me tendant un paquet cadeau.
Je déballe le cadeau. C’est un livre illustré sur les dinosaures et sur les fossiles. Je lis les premières pages, je ne comprends pas tout mais je suis fasciné.
– Merci, tonton.
C’est au tour de ma grand-mère maternelle. La mère de ma mère.
– Bonjour, mon grand. Moi, c’est Gertrude. Mais je préfère mamie. Voilà pour toi, cent francs. Tu t’achèteras ce que tu voudras.
– Merci, mamie.
Puis vient le tour de ma grand-mère paternelle.
– Olivier, je ne savais pas quoi t’offrir, alors j’ai demandé conseil à ta maman. Mon cadeau est dans le garage.
Nous partons tous vers l’endroit susnommé, et je remarque, devant la voiture, un sublime vélo bleu marine, avec une sonnette noire, qui n’attend que moi.
– Mais mamie, je n’ai jamais fait de vélo. Je sais pas en faire !
– Tu apprendras à en faire. N’est-ce pas, Marie-Ange ?
– Oui, bien sûr, répond-elle. On en fera un peu chaque jour après l’école, et le week-end.
– Merci, mamie. Merci, maman.
– Bon, dit mon père, à notre tour. Olivier, en ce jour spécial, nous tenions à t’offrir quelque chose d’aussi spécial.
– Et c’est quoi ? réponds-je, excité.
– Ton acte d’état civil, tiens.
Mon père me tend un papier. Il y est écrit beaucoup de choses. Mais le principal y est : « Olivier Dipe ». J’ai enfin un nom de famille. Je suis un vrai Dipe, désormais. En larmes, j’embrasse mon père, j’embrasse ma mère, puis le reste de ma nouvelle famille.
– C’est bien beau, tout ça, mais que serait un anniversaire sans un bon gâteau ? intervient ma mère.
Nous rentrons dans la maison, toute lumière éteinte, et rejoignons la salle à manger, sans ma mère. Quelques minutes plus tard, elle arrive avec un immense gâteau, qui pourrait nourrir facilement quinze personnes, sur lequel il y a neuf bougies. Tout le monde chante la célèbre chanson qui commence par « Joyeux anniversaire… » et le gâteau est déposé sur la table.
– Allez, fais un vœu, fais un vœu ! crie mon oncle.
– Je souhaite que…
– Non, dans ta tête !
Je formule le souhait de vivre pour toujours dans cette famille heureuse. Ensuite, je souffle mes bougies, puis nous nous partageons le gâteau. Au bout du troisième morceau, je n’en peux plus.
Nous passons l’après-midi à rigoler puis, le soir venu, chacun rentre chez soi. Une fois le dernier invité parti, je fonce dans ma chambre, cacher mon acte d’état civil sous mon oreiller.
Les premières années, tout se passe bien. Je reçois de l’argent de poche régulièrement, ne le dépense guère et le mets même en banque « pour qu’ils fassent des petits » me raconte ma mère.
Je ne sors pas dans le village, à part pour faire un peu de vélo avec ma mère. Je n’y connais que le maire, le boulanger et le médecin.
Le premier parce que ma mère en est une fervente partisane, le deuxième parce que je vais souvent chercher le pain après l’école, et le troisième parce que je le vois de temps en temps, quand je suis malade.
J’aime bien être malade. Je ne vais pas à l’école, où j’y ai très peu amis, et ma mère prend un congé pour s’occuper de moi. Durant ma « convalescence », mes journées articulent les siennes.
Après la primaire vient le temps du collège, à Charleville, quatre ans sans grande importance, au bout desquelles j’obtiens mon BEPC avec mention. Ensuite, c’est le lycée, avec le Baccalauréat à la clé.
Je prépare un bachot B. Mon père veut que je le rejoigne dans son travail et puis, que je prenne la relève. Mais ce que je voudrais, ce serait devenir cadre dans une entreprise.
En classe de Première, je suis perturbé par une élève que je trouve jolie. Elle s’appelle Jasmine. Une beauté orientale comme on n’en trouve que dans Les Mille et une Nuits.
Un jour, pendant la récréation, je décide de l’aborder. Elle est fumeuse. Je sors du lycée, me place devant les portes et l’attends. Elle arrive peu de temps après. C’est le moment.
– Salut, Jasmine, t’aurais pas une clope ?
– Si, tiens.
Elle me tend une Marlboro et un briquet. J’allume la cigarette et tire une taffe. Je tousse, crache mes poumons et crois mourir.
– Ben alors, t’as jamais fumé ? me dit-elle, hilare.
– Non, je voulais… soufflé-je en toussant. Je voulais essayer…
– Tu tires une taffe, t’avale un peu d’air, pour que la fumée entre dans les poumons, puis tu recraches.
Je réessaie. Même résultat. Je termine quand même la clope, avec du mal.
– Quel clown, dis donc. Olivier, c’est ça ?
– Oui. C’est moi, Olivier Dipe.
Je discute un peu avec elle, et la sonnerie retentit. Nous retournons en classe. Je ne peux m’empêcher de la regarder. Je ne fais plus attention qu’à elle.
De jour en jour, nous nous lions d’amitié. Je me suis mis à fumer occasionnellement, sauf le vendredi, jour où je retourne chez moi (je suis interne au lycée de Charleville et ne rentre désormais chez moi que le week-end). Maman n’accepterait sûrement pas que je fume. Surtout, que je claque mon argent de poche en cigarettes. Je le fais donc en toute discrétion.
Un jour, un mercredi midi, Jasmine me rejoint dans la cour du lycée.
– Hey, Olivier ! Ça va, toi ?
– Ouais, ça va et toi ?
– Tout baigne. Dis-moi, tu voudras venir boire un coup, en ville, avec moi, cet après-midi ?
– Un coup, tu veux dire une bière ?
– Ouaip. Ou autre chose, si tu veux…
– Mais on est mineur ! Personne ne va nous filer d’alcool !
– Parle pour toi, j’ai dix-huit ans.
– Ah. Ben… D’accord, c’est bon pour moi.
– Ça marche. On se retrouve place Ducale, à quatorze heures ?
– Entendu. À tout à l’heure.
Je mange rapidement avec quelques rares amis, puis m’en vais en ville. Treize heures trente, j’arrive à la place Ducale. Je m’assois près de la fontaine, et patiente. Je grille une cigarette, en attendant.
Aux quatorze heures sonnantes, Jasmine arrive, avec un petit pack de bières.
– Voilà de quoi boire un bon coup ! me dit-elle.
Nous nous dirigeons vers les escaliers sous les arches, dans l’impasse menant au théâtre, nous buvons un peu, fumons beaucoup, jusqu’à ce que je sois pris d’une envie pressante. Je laisse donc la demoiselle sur les marches et cours aux toilettes publiques, à quelques mètres de là. Je salue la dame pipi et me dirige vers les urinoirs, où je me soulage.
– Tu l’as déjà fait dans les toilettes ? Me demande une voix dans mon dos.
– Euh… non.
J’ai peur de comprendre. Je termine et me retourne. Jasmine est là, à moitié nue. Nous sommes seuls. Elle me prend par la main et m’emmène dans les toilettes closes. Un préservatif m’est tendu, nous faisons notre petite affaire de filous, et Jasmine s’enfuit. Je la retrouve dehors, à l’endroit où je l’avais laissée.
– C’était cool, lui dis-je. Mais comment t’es passée devant la femme de l’accueil sans te faire voir ?
– Elle lisait un journal. Je suis passée sans problème. Oui, c’était cool. Un peu rapide, mais sympa. On se boit un autre petit coup ?
Elle me tend une autre bière. Nous buvons un peu plus, je retourne aux toilettes. À mi-chemin de la délivrance, je me retourne. Personne. J’étais un peu stressé lors de ma première fois avec elle. De ma première fois tout court. Je ne voudrais pas retenter l’expérience, trop proche de la précédente.
Une heure plus tard, nous nous quittons d’une simple bise. Je rejoins le lycée, pars en étude et sors mes devoirs.
À dix-huit heures, je rejoins l’internat. À dix-neuf heures, je vais manger. C’est au milieu du repas que me vient l’illumination.
– Ça y est, je suis un homme ! m’écrié-je intérieurement.
Tout se passe ensuite dans le meilleur des mondes possibles. De temps en temps, nous nous revoyons en ville, avec Jasmine. Parfois avec du sexe. À d’autres moments, elle vient accompagnée d’une ou deux amies.
L’année s’écoule, je passe les épreuves anticipées, glane quelques points d’avance et chemine vers la Terminale.
Le Bac en poche à la fin de l’année, je vais à Reims, pour des études de droit…
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