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Le miel des sentiments
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- Catégorie : Littérature générale > Nouvelles
- Date de publication sur Atramenta : 13 septembre 2016 à 17h29
- Dernière modification : 11 octobre 2016 à 10h40
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- Longueur : Environ 24 pages / 8 093 mots
- Lecteurs : 158 lectures + 33 téléchargements
- Coup de cœur des lecteurs (×1)
- Mots clés : Abeilles, miel et angoisse
Cette oeuvre est déclarée complète, relue et corrigée par son auteur.
Le miel des sentiments
Cinquième, et pour tout dire, avant-dernier
Bafouillant des doigts sur son portable, il mit du temps à la trouver dans ses contacts. Quand il lui avait demandé son nom, elle avait d’abord dit : « Tra… Claverie » pour reprendre plus lentement « Claverie ». Il avait écrit « Trav Claverie », en se disant qu’il modifierait plus tard pour ne pas la faire attendre. Aussi chercha-t-il Claverie d’abord dans les C, normal, puis ne trouvant pas, se souvint du « Trav ». Il appuya sur la touche « appel » avec un soupir exaspéré. Parfois, les choses simples peuvent se compliquer à mort.
Plusieurs jours s’étaient écoulés depuis sa visite. Pourquoi ce besoin d’appeler maintenant ? Il patienta sans s’attarder sur le questionnement. Cinq sonneries plus tard une voix féminine lui dit qu’il était bien sur le portable de Lucile Traverse et qu’il veuille laisser un message, qu’elle rappellerait dès son retourclic. Ce qui conforta Alexis dans sa détestation des messageries de tous poils. Il ouvrit la bouche après le bip et ne dit rien. Tout juste émit-il un soupir qu’elle percevrait sans doute à l’écoute, si tant est qu’elle fût disposée à l’écouter. Ce serait bien que je sache pourquoi je l’appelle, insista Alexis auprès de lui-même. Mais comme il ne se répondit pas, la réflexion n’avança guère.
Il soupira de nouveau et appuya sur la touche. Cinq sonneries-Vous-êtes-bien-sur-le-portable-de-Lucile-Traverse-veuillez-laisser-votre-message-et-je-vous-rappellerai-dès-mon-retourclic. S’ensuivit un bruit bizarre puis plus rien. Gagné par un souverain agacement il réitéra, se disant que ce serait la dernière fois. Et ça le soulageait presque : après tout, qu’espérait-il ? La revoir ? Juste ça ? Parce qu’il doutait qu’elle le rappelât au premier vol suspect venant du sous-sol, lui se pointant en Zorro avec à la main un bouquet rond, voire un aspirateur. Elle avait eu besoin de lui /d’un apiculteur/ Il lui avait sauvé la mise / juste conseillé sur ce qu’il fallait faire/ et il lui serait désormais indispensable/insupportable…
— Oui ?
Sa voix le sortit du brouillard et il perdit une bonne seconde à chercher ses mots, tout en se disant qu’il devait parler vite s’il ne voulait pas qu’elle raccroche. Il plongea sans réfléchir avec en tête Voilà j’appelle pour savoir si tout va bien, si vous avez pu boucher l’accès sur le toit ou si vous avez toujours peur et si c’est le cas je peux faire quelque chose et poser moi-même des chiffons pour boucher ou faire ce qu’il faut pour que vous souriiez de nouveau j’aimerais tellement. Mais il s’entendit avec une voix de perroquet de 125 ans formuler :
— Allo ?
— C’est vous qui m’appelez, dit-elle après un silence. Puis, avec un soupçon de sourire dans la voix :
— C’est à moi de dire « Allo ».
Un soupçon, c’est mieux que rien.
Alexis lui demanda donc si tout allait bien, si elle avait pu boucher l’accès. Elle répondit qu’elle attendait quelqu’un qui allait lui faire ça aujourd’hui. Il en eut le foie à l’envers. Le sourire infime dans la voix venait de là. Les abeilles reprendraient leur juste place au jardin, plus jamais elle n’aurait besoin d’un apiculteur. Ça, ça ne le faisait pas sourire du tout, lui.
Je veux que vous ayez besoin de moi, Lucile Traverse, je suis pété de trouille à l’idée que vous raccrochiez et je me sens pathétique parce que je ne sais pas comment vous le dire.
Un hérisson sur la langue, il articula :
— C’est bien, alors.
— Oui, oui.
Et voilà. Le même ton pressé qu’à son départ. « Oui, oui », sous-entendu « barre toi, maintenant, j’ai ma vie à vivre, je voudrais qu’on me laisse tranquille ». Il entendait cela dans son phrasé précipité, dans son souffle un peu court, comme quelqu’un qui parle en faisant autre chose. Peut-être avait-elle le portable calé avec une épaule pendant qu’elle se livrait à une activité quelconque, ce dont il eut confirmation par un bruit métallique sur une note étirée. « Excusez-moi », dit-elle juste à la fin de la note, voilà justement mon… la personne qui vient pour boucher l’accès. Je dois vous laisser. Merci d’avoir rappelé, en tout cas.
Il n’eut pas le courage d’insister. Il s’apprêtait à bégayer un « De rien » robotique quand elle lui demanda de bien vouloir l’excuser pour l’accueil, et l’appel aux aurores. « J’ai dû réveiller tout le monde, chez vous ».
En noyé agrippé - et Alexis Géraud se sentait prêt à sauter sur n’importe quelle bouée fût-ce un lacet - il répondit qu’il vivait tout seul maintenant, que ce n’était pas grave, pas grave du tout, et s’il s’était déplacé c’est qu’il avait tout son temps, et qu’il se tenait à sa disposi…
— Je dois vraiment vous laisser, monsieur, la personne attend.
Bruit de pas. Des pas d’homme, lourds, serrés. Il entendit des mots étouffés, elle devait mettre sa main sur l’appareil il discerna vaguement un jeupozeussala ? auquel elle répondit quelque chose du genre liquide inaudible, un peu comme quand elle était venue lui ouvrir aspirateur en main, par distraction, par peur de l’autre, par timidité. Probablement les trois, et il était l’empereur des débiles de n’avoir pas compris tout de suite à quel point cette maladresse relevant de l’enfance l’avait charmé. Une brève seconde, il se revit petit garçon en train d’attraper un sablé tout chaud dans la cuisine, de la main gauche, talons levés parce qu’il n’était pas assez grand et sa mère qui lui disait : « tu ne peux pas poser ton cartable avant ? ».
Il se dit qu’il aimerait bien lui prendre le cartable des mains.
L’ennui avec toi Alexis, c’est que tu es un vrai lambin. Tu auras mis des jours à comprendre qu’elle t’a plu tout de suite. Combien exactement ? Ça va se finir là, alors, quelle importance.
La réponse est la même à chaque fois : trop.
Tu lui parles, enfin, tu essaies, tu échoues, et dans le même temps il y a un type chez elle qui va monter sur le toit et régler définitivement son problème. Le héros, ce sera lui, elle va peut-être lui tomber dans les bras à la redescente, bon dieu c’est con la vie, enfin non, c’est moi qui le suis mais ce n’est pas une découverte, et en plus, il y a ce foutu possessif, oui, c’est qui ce « mon » Lucile, bon dieu « mon… la personne » … Qui est derrière ce mot qui signe l’appartenance, et à quel titre, ce « mon », pourquoi y-a-t-il eu « mon » des points de suspension, comme pour votre nom, « Trav point de suspension Claverie, comme quelqu’un qui se reprend, ou… se déprend ? D’une habitude ? D’un nom ? La seule circonstance où l’on doit faire les deux c’est quand il y a séparation, j’en mettrais ma main dans la chaudière quand elle marche… Ce « mon » ce « Trav » c’est lui, n’est-ce pas ? Celui qui a embarqué les cadres et laissé ces carrés plus blancs sur les murs, celui qui vous a pointillée, du coup, avec ces traces qui m’ont frappé quand je suis venu, et je suis certain que vous avez vu que je les voyais, et que c’est pour ça que vous m’en voulez
— D’accord ?
Sa voix le sortit du tourbillon, il réalisa que non seulement il n’avait pas raccroché mais qu’elle avait dit quelque chose avant, et il n’avait pas écouté.
Mais alors, pas du tout.
— D’accord pour quoi ? Excusez-moi, je…
— Je vous demandais si vous pourriez revenir pour… Pour voir.
— Voir quoi ? Si c’est pour vérifier ce qu’a fait votre ex-mari, Lucile Trav Claverie, je vous jure que c’est avec joie, pourvu qu’il ait salopé le boulot c’est minable comme souhait mais j’assume.
— Mais… s’il n’y a pas de danger qu’elles reviennent, voyez…
— Vous avez bien quelqu’un qui vient pour ça, là, maintenant ? demanda-t-il avec une ingénuité de faussaire. Il n’y a pas de raison que…
— Non. Enfin, si. C’est que voyez-vous, c’est un amateur éclairé…
Elle avait appuyé sur le dernier mot. Alexis se dit que le type au pas lourd (un gros, certainement) devait déjà être à l’œuvre. En tout cas pas à côté.
— … mais pas un professionnel. Je ne veux pas que ce cauchemar reprenne, et je suis incapable de monter sur le toit. J’ai… une peur panique du vide.
— Presqu’autant que des abeilles ?
Elle eut un silence éloquent, celui des gens qui ne veulent pas mentir.
— Autant.
Combien d’autres peurs, Lucile ? Combien en plus de la première de toutes, celle de la solitude ?
Il n’avait pas parlé. Jamais il ne se serait permis une telle remarque à voix haute. A sa stupéfaction, elle répondit. Et oui, décidément, la réponse était la même à chaque fois.
— Trop.
A SUIVRE
Table des matières
- Premier. Env. 3 pages / 965 mots
- Le miel des sentiments. Et de deux. Env. 4 pages / 1247 mots
- Et de trois. Env. 4 pages / 1297 mots
- Quatre. Ou quatrième, comme on veut. Env. 5 pages / 1384 mots
- Cinquième, et pour tout dire, avant-dernier Env. 5 pages / 1515 mots
- Sixième et dernier, donc fin. Env. 5 pages / 1685 mots
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