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Le miel des sentiments
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- Catégorie : Littérature générale > Nouvelles
- Date de publication sur Atramenta : 13 septembre 2016 à 17h29
- Dernière modification : 11 octobre 2016 à 10h40
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- Longueur : Environ 24 pages / 8 093 mots
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- Coup de cœur des lecteurs (×1)
- Mots clés : Abeilles, miel et angoisse
Cette oeuvre est déclarée complète, relue et corrigée par son auteur.
Le miel des sentiments
Quatre. Ou quatrième, comme on veut.
Alexis regardait sa tasse moche, son café triste, sa salle à manger sans âme. Le jour entrait en toussant dans la pièce ; ce début d’automne dégageait une lumière malade qui lui donnait envie de courir loin. Ce qu’il fit avec un mépris affiché pour le petit crachin qui lui fouettait la face. Comme toujours, après une heure - soit sept kilomètres dans les jarrets, autant dire rien - il se sentit mieux. Il entra dans la maison d’un pas allègre, finit de s’euphoriser sous la douche, l’eau d’une chaleur idoine régénérant ses membres las et son dos qui le tiraillait. Après quoi, changé et fleurant bon, il s’attaqua au repas.
Dans l’univers d’Alexis trois choses au monde figuraient au compte de ce avec quoi on ne plaisante pas : les abeilles, le sommeil, et la cuisine. Ce jour-là, une pâte à pizza faite le matin même n’attendait que son déploiement, le coulis de tomates maison entamé pour la soupe de la veille ne demandait qu’à habiller la belle d’une robe écarlate pointillée de basilic. Après quoi, de fines tranches d’Aoste et quelques oignons viendraient habiter là en compagnie de champignons frais émincés avec des délicatesses d’amant. Quelques feuilles de roquettes, un rien de parmesan, un temps de bronzette au four et le tour serait joué.
Elle est marrante, songeait-il en ouvrant grand ses narines aux parfums commençant à envahir la pièce d’une suavité méditerranéenne. Il revoyait son arrivée, la sonnette qu’il avait eu du mal à trouver, elle se précipitant, repartant… Bien des choses l’intriguaient chez elle, à commencer par un attachement aussi visible qu’inexplicable pour l’aspirateur. Tout à ses pensées, il n’en perdait pas moins de vue l’importance de la tâche en cours : sauce de salade à base d’huile de noix, un filet de jus de citron, un nuage balsamique, sel, poivre et deux pincées de cumin. Quelques graines de sésames, pour le goût. Il nappa la roquette restante d’un geste de danseur, dessinant une spirale quasi parfaite de vinaigrette sur les feuilles dentelées. Des croûtons à partir de son propre pain grillé, frottés d’ail alors qu’ils exhalaient encore un rien de tiédeur ne dépareraient pas… Alexis Géraud s’en garda, estimant que la pizza apportait son comptant de pâte à pain. Son nombril en avance sur sa ceinture lui disait des choses, depuis quelque temps, avec la dernière sournoiserie.
Seul depuis des années, s’en trouvant bien, sa propre esthétique ne lui importait guère. Mais il mesurait les limites de cette quiétude à un vague regret au moment de la rentrée des classes. Les gosses, leur cartable trop lourd au dos, cou en avant sous le poids de la fin des vacances. Les cris sourds à l’heure de la récréation, car l’école ne se trouvait guère éloignée, et pour peu qu’il fasse beau, il discernait les notes pleines de vie, les sonorités d’enfance, une joie gratuite d’être là et de pouvoir brailler. Quel genre de père aurait-il fait si…
La nostalgie n’encombrait pas l’homme qu’il était d’ordinaire. Sa vie était ainsi faite, et il l’aimait. Tout en posant sur la table la pizza au bord moelleux comme un oreiller, la salade luisante et un verre à pied ventru pour son unique verre de vin, un Cahors ensoleillé, il repensa à la femme, à la façon dont ils s’étaient quittés. Elle lui avait serré la main, bafouillé des excuses pour ne pas le raccompagner, bref, marqué sans le vouloir son soulagement qu’il s’en aille. Il en avait éprouvé… quoi ? De la peine ? Mais non, rien d’aussi net. La peine, c’est pointé, quantifiable, c’est un sentiment citoyen, ça a une carte d’identité, des papiers en règle. Comme le chagrin ou la colère.
Il avait beau chercher, il ne voyait pas en quoi il avait failli, encore moins pourquoi sa façon de le congédier l’avait chatouillé à ce point. Mais c’était agaçant comme cette impression qu’il avait lors de moments horribles où juste avant d’éternuer il sentait dans sa narine un ramoneur microscopique agiter son balai dans le conduit de ses narines, jusqu’à ce qu’il explose en en foutant partout.
Voilà. Elle lui avait rappelé le ramoneur.
Pourquoi semblait-elle si pressée ?
Tout en savourant son œuvre avec une lenteur épicurienne, il revit avec un pincement au cœur la maison de Lucile. À côté la sienne semblait une coque sans mémoire. Ici des murs improbables, des meubles fonctionnels, un je ne sais quoi de morne et d’efficace. Là-bas, l’immaculé des murs, les couleurs vives des rideaux, du canapé. Aussi, les carrés plus blancs que le reste, à certains endroits. Ces taches contrastées d’une géométrie implacable qui signaient le tableau, la photo ou le cadre enlevés. Les signes d’une absence, la pire de toute, celle qu’on ne choisit pas. Mais il se trouvait de la vie quand même, dans le soin apporté aux détails, les boites à thé multicolores sur une étagère, les livres qui traînaient.
Une vie aux côtés d’une absence, c’est quand même une vie.
Les murs d’Alexis Géraud ne portaient aucune histoire, parce qu’il avait toujours vécu là ; ses compagnes parties, lui restait, inamovible comme ses murs sans tache parce qu’ils n’avaient jamais accueilli aucun tableau. Comme son cœur, son corps à lui. Sans tache, parce qu’aucune blessure. Ses ruptures étaient calmes, comme lui.
Le Cahors eut un drôle de goût, soudain.
Il revit la jolie maison, le jardin qui prenait doucement un désordre automnal au milieu des impatiens, des dahlias, des roses de saison. C’était d’une grande douceur, beau de la beauté des choses qui fanent, mais dont on sait que ça reviendra. L’automne est un printemps qui s’endort. Pas de drame là-dedans. Pourtant Jamais vu quelqu’un d’aussi paumé se dit-il en avalant une seconde gorgée de son Sud personnel, histoire de mettre un peu de sourire dans tout ça. Un printemps qui s’endort n’est pas une tragédie, non. C’est juste un peu triste, sur le moment.
Il se demanda où elle était pendant ce temps et l’imagina figée sur son canapé, guettant le moindre petit bourdonnement. Sa peine sur des insectes détestés l’avait touché. Il avait vu aussi, quand elle l’avait suivi pour répondre à ses questions, les petites perles de sueur sur ses tempes. Il les voyait d’autant mieux que ses cheveux étaient plus blancs juste là. Phobique, il en était sûr. Dans sa vie d’apiculteur il en avait croisé un paquet.
Il se leva soudain et chercha son téléphone qu’il avait dû flanquer là où ça lui chantait, comme toujours. Il finit par le trouver trois bons quarts d’heure plus tard après un échantillon représentatif de jurons à frémir. Avantage inappréciable de la solitude : pouvoir meugler des grossièretés à s’en péter l’arrière-gorge. Quand il le retrouva sous le linge à repasser (?) il resta en suspens, le contact affiché, prêt à appuyer sur « Appel ». Il n’appuya pas. Resta un temps indéfini avec ce bon dieu de nom de dieu de merde de téléphone de mes deux à la con posé dans sa main comme un gros cafard mort, un cafard métallisé. Il haïssait les cafards au moins autant qu’il aimait les abeilles. Mais là n’était pas la question.
Parce que pour l’heure, des questions, il en avait plusieurs. Et pas des plus logiques, à franchement parler. Et il allait les lui poser de vive voix, pas au téléphone.
Pourquoi s’être fait à moitié jeter après avoir conduit soixante bornes suite à un réveil à l’aube et au clairon, et répondu sur place à ses demandes ?
Pourquoi malgré un désarroi visible comme une carotte sur un bonhomme de neige avait-elle une maison aussi vivante ? Malgré les taches d’absence au mur ?
Et la sueur sur ses tempes, le tremblement léger de sa main quand elle lui avait montré l’endroit… Il lui en avait coûté de redescendre à sa demande.
Alors, pourquoi l’avait-elle fait ?
A SUIVRE
Table des matières
- Premier. Env. 3 pages / 965 mots
- Le miel des sentiments. Et de deux. Env. 4 pages / 1247 mots
- Et de trois. Env. 4 pages / 1297 mots
- Quatre. Ou quatrième, comme on veut. Env. 5 pages / 1384 mots
- Cinquième, et pour tout dire, avant-dernier Env. 5 pages / 1515 mots
- Sixième et dernier, donc fin. Env. 5 pages / 1685 mots
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