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Le miel des sentiments
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- Catégorie : Littérature générale > Nouvelles
- Date de publication sur Atramenta : 13 septembre 2016 à 17h29
- Dernière modification : 11 octobre 2016 à 10h40
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- Longueur : Environ 24 pages / 8 093 mots
- Lecteurs : 158 lectures + 33 téléchargements
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- Mots clés : Abeilles, miel et angoisse
Cette oeuvre est déclarée complète, relue et corrigée par son auteur.
Le miel des sentiments
Le miel des sentiments. Et de deux.
Lucile contempla l’aube par la fenêtre. Le rouge-gorge avait honoré le rendez-vous. Chaque mauvaise nuit - autant dire toutes – elle le voyait se pointer dès la fenêtre ouverte. Il sautilla de sous les feuillages et son plastron joyeux lui sourit d’en bas. Trois, quatre bonds encore et il s’envolerait pour revenir dans l’après-midi. Elle songea soudain à l’énorme quantité d’abeilles du sac à aspirateur. Tu aurais eu à bouffer pour dix ans songea-t-elle à l’adresse de l’oiseau. Dommage que toi et les tiens vous n’en viviez que deux ou trois. Après quoi elle stoppa ses considérations ornithologiques en réalisant qu’elle mourait de faim et entreprit le petit déjeuner avec l’impatience habituelle. C’était son repas préféré au point qu’en s’endormant l’idée des tartines du lendemain lui arrachait parfois une légère montée de bave. Elle mit l’eau dans la bouilloire, sortit la théière en fonte de son placard, coupa de belles tranches de pain. Un petit déjeuner ne se réduit pas à la perspective d’un juste comblement d’estomac : comme en amour, l’avant compte au moins autant que le reste. A commencer par le sifflement tendre de la bouilloire, le parfum de noisette du pain grillé qui vient danser le twist à l’intérieur du nez puis gagne la tête, le cou, le ventre, les jambes, orteils et racine des cheveux compris.
Choix de la confiture (maison, bien sûr) capital dans l’humeur du jour. Fraises : joie de vivre, patate d’enfer. Abricot : cocon hivernal, lecture et bon fauteuil. Melon : envie de dépenser, faire la belle, talons aiguilles. Cerises : besoin de campagne, coin du feu, vaches dans les prés. Le souvenir de la perplexité de Marc à l’exposé de sa théorie confiturière arracha un sourire à Lucile. Il lui avait répondu que pour lui, fraises signifiait envie de fraises, abricot envie d’abricot, et qu’il s’en contentait. Ils avaient ri tous les deux. Ça remontait forcément très loin parce qu’ils avaient cessé de rire ensemble depuis… combien d’années ?
Trop.
Pourquoi se remit-elle à penser aux abeilles ? Avait-elle jamais cessé d’y penser ? Les minuscules cadavres tordus lui revinrent avec une netteté redoutable. Dans un élan qu’elle ne contrôla pas, Lucile ouvrit son ordinateur. D’ordinaire, rien ne venait interférer avec l’Heure Sacrée. Mais là…
Après divers tâtonnements, elle trouva ce qu’elle ne cherchait pas : une liste d’apiculteurs par région. Elle s’aperçut que le plus proche de chez elle se trouvait à près de soixante kilomètres. Pas la porte à côté, pas non plus le bout du monde. Alertée par une note aiguë elle se rendit compte que l’eau bouillait, chose incompatible avec un thé digne de ce nom. Elle éteignit donc le gaz, et décida d’attendre que l’eau fût revenue à des sentiments moins agités. Elle se rassit devant son écran, nota soigneusement les coordonnées du type sur un post-it qu’elle contempla avec une intensité florentine. La dernière fois qu’elle s’était ainsi figée devant quelque chose, c’était là-bas, devant une peinture de Fra Angelico. Ce qui semblait un poil excessif, mais voilà : elle avait des monceaux de cadavres d’abeilles dans son sac poussière et peut-être, un essaim vivant sortirait de son propre sous-sol, pour la dévorer comme elle le faisait avec ses tartines.
La faim la tenaillait de plus en plus, une de celles qu’on a la chance de pouvoir apaiser sans attendre. Mais il fallait qu’elle tente de régler ça d’abord. Elle s’empara de son téléphone sans réfléchir et surmontant sa bonne vieille copine de toujours dont le nom botanique commun était « timidité » elle composa le numéro d’un certain Géraud Alexis, et compta huit sonneries avant que ça décroche. Ce qui l’agaça parce qu’elle avait mal dormi, peur des abeilles, qu’elle crevait la dalle et que son mari était parti. Attendre au téléphone n’entrait donc pas dans les limites, ça allait bien comme ça.
Une voix grave la surprit en flagrant délit d’exaspération. Il y eut un déclic pile au moment où elle formulait pour elle-même, mais tout près de l’appareil : « Ça roupille, ou quoi ? »
— C’est bien ça, dit la voix. À… (Silence bref, bruit de glissade d’objet) 6 heures 20 du matin, c’est ce que font beaucoup de gens.
Lucile aurait voulu se transformer en lapin, précaution inutile au téléphone. Mais on peut rêver.
— Je suis…confuse réussit-elle à articuler. Je n’ai pas réalisé. C’est les abeilles.
Il y eut un silence au bout du fil. De plus en plus paniquée, Lucile reprit en se précipitant
— Elles sont mortes.
— C’est triste, dit l’homme. C’est toujours triste, une abeille qui meurt.
Il se paye ma fiole, se dit–elle. Et franchement, à sa place…
— Mais pas qu’une ! Il y en a plein, dans mon sous-sol. Des… des centaines de milliers.
— Ouhaou, continua-t-il sobrement. Tout ça ?
— Ecoutez, je sais que vous ne me croyez pas, et que vous me prenez pour une…
Silence long et douloureux.
— Une… reprit-elle.
Mais rien ne vint. Rien ? Mais si. D’un coup, un sentiment de solitude infinie, si pesant qu’elle faillit tomber sur sa chaise. C’était là, sur les épaules, et l’impression d’avoir avalé des briques. Marc parti, elle gisait. Debout, mais elle gisait quand même comme une épluchure, dans une maison d’où tous les souvenirs devenus des armes de destruction massive avaient cramé la veille, par ses soins. Perdue dans une salle à manger où un bol dérisoire et trois tartines l’attendaient. Elle voyait le jardin, de sa place. Avant elle ne le voyait pas, parce que Marc était en face d’elle et donc lui bouchait la vue. Plus personne désormais ne lui boucherait la vue. Un bien ? Pas sûr.
— Vous êtes là ?
La voix grave la sortit de sa glu.
— Oui, pardon.
— Bon, avançons, dit-il. Elle se fit la remarque que sa voix semblait plus nette : il devait être complètement réveillé.
— …vous préférez chez moi ou chez vous ?
Un instant, elle suffoqua.
— Je vous parle de votre problème d’abeilles, dit-il avec une ombre de sourire dans la voix.
Lucile de plus en plus submergée seigneur mais je suis nulle, nulle ne put articuler un mot.
Il ne la laissa pas continuer et prit la décision pour elle. Ça l’arrangeait tellement qu’elle en conçut une énorme honte.
— Je viens chez vous la semaine prochaine. Votre adresse ?
Elle la lui donna.
— Mardi, ça ira ?
Lucile fit « oui » de la tête, pour se rendre compte la seconde suivante qu’au téléphone… Mais quand elle articula un « oui » étranglé et qu’elle voulut lui demander à quelle heure, il avait déjà raccroché en lui précisant d’un ton de colonel :
— Mardi prochain, neuf heures. Je vous laisse.
Ni « au revoir », ni « à mardi ».
Elle l’avait sorti du lit, aussi.
Un partout.
L’eau était maintenant à température idéale. Elle la versa dans la théière, après l’avoir chargée d’un thé vert au parfum subtil, légèrement pointu qui fit soupirer d’aise les poils vibratiles de ses narines. Elle les entendait d’ici. A table, le pain doré à souhait n’attendait plus que le beurre, la confiture du jour (abricot) et, le mieux de tout…
Elle arrêta son geste.
Le miel serait pour plus tard.
A SUIVRE
Table des matières
- Premier. Env. 3 pages / 965 mots
- Le miel des sentiments. Et de deux. Env. 4 pages / 1247 mots
- Et de trois. Env. 4 pages / 1297 mots
- Quatre. Ou quatrième, comme on veut. Env. 5 pages / 1384 mots
- Cinquième, et pour tout dire, avant-dernier Env. 5 pages / 1515 mots
- Sixième et dernier, donc fin. Env. 5 pages / 1685 mots
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