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Le fabuleux voyage des 2 guerriers
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- Catégorie : Fictions historiques
- Date de publication sur Atramenta : 22 novembre 2020 à 14h03
- Dernière modification : 6 décembre 2020 à 16h25
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- Longueur : Environ 8 pages / 2 378 mots
- Lecteurs : 34 lectures + 10 téléchargements
- Mots clés : itinéraire d'un chef d'oeuvre
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Le fabuleux voyage des 2 guerriers
Tombe Obscure
Eleuthère, Grèce, V° Siècle A.C.
Alangui à l’ombre la treille d’où pendent les grappes de muscat, MYRON s’offre un moment de détente, en savourant un verre de retzina.
Sa villa surplombe le port d’Eleuthère, où grouillent les bateaux qui desservent toute la Grèce ainsi que les trirèmes transportant le vin, l’huile, les toisons laineuses, les œuvres d’art vers l’Italie et tout le monde romain.
Il goûte au plaisir du farniente, car le succès de son dernier bronze intitulé "Le discobole" lui a apporté notoriété, gloire et beaucoup d’argent. Il a bien mérité une pause, qu’agrémente le plaisir de jouir du corps parfait de Ganymède, qui a servi de modèle. Son bronze du "Discobole" remporte un incroyable succès, qui dépasse les confins de la Grèce. La preuve, certaines reproductions en marbre auraient déjà vu le jour, notamment à Rome.
Un serviteur survient, annonçant l’arrivée d’un personnage important, tout juste débarqué d’une galère luxueuse : il s’agit d’un Romain dans la force de l’âge, que l’on devine habitué à commander ; l’homme salue Myron et se présente : "Je m’appelle Ovide et mon grand empereur Tarquinio dit le Superbe m’envoie vers toi afin de te passer une commande importante !"
Les deux hommes s’installent à l’intérieur, dans la fraîcheur de la grande pièce à vivre, et la discussion peut commencer, après les rafraîchissements d’usage.
Tarquinio désire être représenté pour la postérité par deux bronzes importants, le représentant d’abord dans sa jeunesse et ensuite dans la force de l’âge : chaque statue devra mesurer deux mètres de hauteur, bien plus que le modèle. Il est prêt à payer le prix que Myron demandera, et déjà une bourse gonflée d’or servira de première garantie, ainsi que pour l’achat de la matière première, le cuivre venant de Cupros (Chypre), puis le zinc et l’étain. Sur place, on trouvait sans peine l’argile bien grasse, le crottin de cheval et la bourre de mouton, afin de confectionner la chape dans laquelle on versera le bronze liquéfié.
Que Myron envoie à Rome les dessins préparatoires dès que possible.
La commande est très intéressante, Myron sait qu’il sera bien payé. Il accepte donc et invite Ovide à une visite de ses fonderies, dans le quartier du port où on s’affaire à la fonte d’œuvres de moindre importance, le Romain semble favorablement impressionné par ce qu’il observe ; on se sépare enchantés.
Quelques mois se passent, les ébauches ont plu à Rome et le travail peut commencer. Des dizaines d’ouvriers sont requis, Myron est partout à la fois et le jour, bien des mois plus tard, où les deux bronzes sont extraits de la chape et du noyau et polis des scories, des cris d’admiration retentissent : plus vrais que nature, les deux guerriers semblent vivants !
Le plus jeune, nu, barbu et aux cheveux nattés, possède des globes oculaires en ivoire, le deuxième, le plus âgé, des yeux en pâte de verre ainsi que des dents en argent. Ils mesurent respectivement 1,97 et 1,98 centimètres.
Le plus jeune est muni d’une lance, l’autre d’un écu. Leurs têtes (fondues à part et soudées au reste de la statue) sont coiffées d’un heaume.
Entretemps, le solde du paiement est bien arrivé, et on peut songer au transport, ce ne sera pas une mince affaire : les deux statues, imposantes, pèsent environ 160 Kilos chacune.
Les mois passent, et aucun bateau venant de Rome ne se présente au port : Myron envoie une missive et on lui répond qu’il était bien spécifié dans le contrat que la livraison lui incomberait. Voilà ce qui arrive quand on ne lit pas les petits caractères d’un contrat… Près de ses sous, il enrage, puis se rend au port afin de fréter un bateau.
Le voyage - Mer Ionienne
Hippolyte est le capitaine choisi : son trirème transporte d’habitude jusqu’à 3.000 amphores de vin à destination de Rome, il veut bien se charger des statues et assure qu’en 5 jours de navigation il compte bien arriver au port d’Ostia, avec un équipage de cinq hommes. plus les vingt rameurs.
En avant : nous sommes en septembre, il n’y a pas de tempêtes avant octobre et les vents sont favorables. Hippolyte aurait bien préféré partir en août, mais il a fallu construire deux robustes châssis en bois de cyprès, ensuite trouver le meilleur système pour solidement arrimer les statues, à bâbord et à tribord de sa barcasse. Il a installé une voile carrée toute neuve, en lin, aux anneaux de bronze pour coulisser sur le mât. Sa coque en pin d’Alep est renforcée de minces feuilles de plomb. Ce que le marin a pris bien soin de cacher à Myron c’est qu’il a tout de même chargé 3.000 amphores de vin, au lieu des 2.500 nécessaires pour faire de la place aux statues. Et la barque est donc surchargée… Le navigateur n’a pas bonne réputation : il est violent, mesquin, il traite ses rameurs en esclaves et les paie peu et en retard, et il aime boire. Mais le prix qu’il a consenti à Myron était de loin le plus bas, et le sculpteur étant lui même très près de ses drachmes, il l’a accepté sans barguigner.
Le jour du départ, toute la ville est rassemblée sur le port d’Eleuthère, Myron essuie une petite larme - il est sentimental, le bougre, puis se console vite avec le modèle plus âgé, qui a supplanté Ganymède.
Les deux premiers jours de navigation n’apportent aucune surprise, le vent est favorable, la mer Ionienne assez calme. Le soir venu, après le repas assez frugal d’olives, oignons crus et raisin, le patron part faire un somme, en laissant de quart son fils Egisthe, un grand dadais qui déteste la mer mais qui craint surtout son brutal de père, et qui file doux devant lui.
Le vent se lève, alors qu’ils approchent des côtes de la Calabre : Egisthe décide, comme un grand, de se rapprocher de la côte afin de se protéger. Puis, le vent se renforçant, il se résout à réveiller Papa : celui-ci n’est pas content, il gueule sur tout le monde. La nuit est arrivée, sans étoiles, le vent forcit encore puis c’est le grain inattendu, une véritable tempête. Le bateau est rudement secoué, les vagues passent par dessus le bord.
Les rameurs crient, le patron hurle, Egisthe pleure en appelant maman. On va couler ? Il faut s’alléger. Déjà, certains rameurs commencent à balancer des amphores à la mer.Ce qui déchaîne la fureur d’Hippolyte, qui pense au profit, car la cargaison de vin vient de ses vignes et c’est tout bénef pour lui !
La noyade générale est proche. Et la mutinerie gronde. Soudain, Egisthe sort de sa torpeur, il attaque au couteau les cordages qui retiennent une statue, frénétiquement il les lacère et, aidé par les mutins, jette le chef d’œuvre à la mer. Aussitôt, le bateau gîte de l’autre côté, et force leur est de renouveler l’opération. Le bateau, ainsi allégé, redevient gouvernable.
Les deux guerriers ont coulé à pic, dans huit mètres d’eau, tout près du rivage. Le fond est sablonneux, un nuage s’élève pendant qu’ils roulent puis s’immobilisent. La lance est brisée et part à la dérive, ainsi que l’écu qui se disloque. Les heaumes sont éjectés des têtes. Quand tout s’apaise, on ne voit plus rien, sinon le bras qui tenait la lance et qui se dresse, comme pour maudire le sort.
Il semblerait cependant que, deux jours plus tard, dans le détroit de Messine, au passage des deux rochers de Scilla et Cariddi, ils auraient coulé, ce qui n’est que justice.
Et les jours, les semaines, les mois, les années, les siècles et même deux millénaires passent, tandis que les deux guerriers sont colonisés par les coquillages qui se collent partout, sur les petit pénis au repos, les bras, les torses, les figures immobiles ; l’un des yeux sort de l’orbite et se perd dans le sable, les dents en argent se ternissent, et la lumière, huit mètres plus haut, ne pénètre pas dans la tombe obscure.
Riace, Calabre : 16 Août 1962
C’est une petite ville, en province de Reggio Calabria, située à l’est du talon de l’Italie, celui qui donne un coup de pied à la Sicile. 500 habitants, quelques-uns de plus l’été dans le seul hôtel ou dans les maisons individuelles, le tourisme commence juste à s’épanouir dans cette région isolée. La mer est magnifique, propre, il n’y a pas d’industrie à part la pêche, le bourg est somnolent, les habitants rétifs n’aiment pas causer, surtout avec des étrangers.
Le soleil de cinq heures du matin réveille Stefano qui aurait bien aimé dormir encore un peu, dans le petit deux-pièces qu’un paysan lui loue : c’est sa deuxième et dernière semaine de vacances. Hier c’était jour férié, l’Assomption, et avec sa compagne ils ont un peu abusé du vin calabrais, à la trattoria où ils ont soupé, dans ce village minuscule de la côte calabraise : la mer Ionienne est limpide et Stefano peut exercer sa passion pour la pêche sous-marine, qui le délasse de son métier de chimiste dans un grand groupe de Rome. Samedi il faudra repartir au travail.
Il pose un baiser discret et distant sur l’épaule nue de Donatella, qui lui lance néanmoins : "Essaie de ramener quelque chose pour midi, un beau mérou tiens…". Il est vrai que Stefano ne ramène jamais rien, il préfère batifoler et admirer les évolutions des poissons…
Que le matin est beau, calme, la mer endormie, juste quelques vaguelettes paresseuses lèchent le sable sans bruit. Stefano revêt sa combinaison, se munit de ses accessoires et nage vers le large, communiant avec la nature dans un sentiment de bien-être exquis.
Il a parcouru environ deux-cents mètres lorsqu’il décide de plonger. La visibilité est excellente. La déclivité, modeste, n’augmente que bien plus loin. Ici, le fond est vite atteint, malheureusement recouvert de vase. Soudain, il aperçoit un bras qui en émerge. Stefano panique croyant voir un noyé, il remonte en vitesse reprendre une grande goulée d’air, avant de se résoudre à y retourner.
S’approchant du bras, il l’étudie et s’enhardit jusqu’à le toucher : c’est du MÉTAL ! c’est du BRONZE, reconnait-il, en bon chimiste. De ses mains il fouille frénétiquement le sable, une épaule apparaît, puis un visage, un torse, son cerveau peine à admettre la réalité de ce qu’il touche : c’est une statue énorme !
Que faire ? Qui prévenir ? Comment la remonter ? Garder le secret ou bien dévoiler au monde cette incroyable découverte ?
Stefano revient au rivage, il est bouleversé, il tremble de froid malgré la température qui avoisine les 38 degrés et le soleil qui calcine les rochers. Rentré dans sa location, il raconte tout, en balbutiant, à Donatella, et s’effondre sur la mauvaise chaise de la cuisine. Longtemps, ils se taisent, puis discutent à voix basse, se concertent. Il n’y a pas de poste de police à Riace, et le seul téléphone du village se trouve à la Mairie : pour la confidentialité, tu repasseras.
Ils s’engouffrent dans leur Cinquecento et partent vers Locri, le chef-lieu du canton, à la recherche d’un téléphone public. L’ayant trouvé, Stefano essaie de contacter, à Rome, la Sovrintendenza Alle Belle Arti : naturellement, personne ne répond, l’Italie est en vacances. Fatigué, énervé, la seule solution demeure l’Autorité Publique. Il y a une caserne de Carabinieri, ils s’y rendent.
Je vous épargne le dialogue surréaliste qui s’ensuit, entre le planton somnolent et les deux jeunes gens. Deux heures après, une Fiat Seicento bourrée jusqu’à la gueule de quatre Carabinieri revient vers Riace, un vieux canot pneumatique brinquebale derrière.
L’arrivée dans le petit village est épique : les rares autochtones ont depuis toujours de bonnes raisons de se méfier de la force publique, les volets se ferment, sur la placette c’est le désert. Stefano et l’un des militaires se préparent pour la plongée, le canot est mis à la mer, et l’exploration commence.
Aucun doute, dira le Carabinier en émergeant, c’est gros, il y en a deux ! Il faut avertir les AUTORITÉS : deux des gendarmes resteront en faction au village, les autres repartent, et la machine se met en branle.
Dès le lendemain, les journalistes de toute l’Italie rappliquent, les radios et la télé s’égosillent, le Président de la République écourte ses congés, et la trattoria de Riace ne sait plus comment nourrir tout ce monde. Des tentes sont installés, des moyens de levage sous-marins arrivent en ferraillant, et la remontée commence.
La nouvelle a fait désormais le tour du monde. Malgré l’intervention du Préfet de la Calabre, qui voudrait que les deux géants restent sur place, on les véhicule à Rome, pour la restauration, qui durera deux ans, par les meilleurs experts.
Le Hellénistes s’arrachent les cheveux pour définir l’origine. Grèce, c’est certain, et la datation indique cinquième siècle avant Jésus Christ. Mais c’est tout : impossible de connaître l’auteur de ces merveilles. On continue de rechercher, dans la mer de Riace, la lance, les heaumes, l’écu : peine perde.
On murmure que Stefano, l"inventeur" aurait touché 125 Millions de Lires : mais il a disparu de la circulation.
Plus tard, les deux bronzes seront exposés au Quirinal, à Rome, et chacun pourra venir les admirer : une dizaine de millions d’Italiens feront le déplacement. Quand la furor di popolo s’apaisera, les deux guerriers trouveront leur place définitive a Musée Archéologique de Reggio Calabria, où une salle entière leur sera consacrée. De nos jours, il semble que plus personne n’y vienne (les horaires fantaisistes des Musées italiens, ainsi que les éternelles grèves des fonctionnaires, y sont pour beaucoup).
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je supplie mes quelques lecteurs de pardonner les invraisemblances historiques ou professionnelles dont ce texte est parsemé : j’ai juste voulu écrire une histoire…)
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