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Le djinn bleu
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- Catégorie : Contes, légendes et fables
- Date de publication sur Atramenta : 23 décembre 2019 à 13h31
- Dernière modification : 3 janvier 2020 à 21h04
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- Longueur : Environ 8 pages / 2 470 mots
- Lecteurs : 14 lectures + 7 téléchargements
- Mots clés : Maroc magie humour
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Le djinn bleu
Le djinn bleu
Dans ce pays – le Maroc – il y avait une ville.
Dans cette ville – Fès – il y avait une maison.
Dans cette maison, il y avait Asmaa.
Dans sa main, il y avait une lampe.
Et dans cette lampe, il y avait un djinn.
_ _ _
Il apparaît soudainement, dans un flash lumineux et un grand tourbillon d’air qui fait flotter un chouia le voile d’Asmaa. Celle-ci vient de commencer à astiquer une des lampes disposées sur l’étagère de la mezzanine. Suite à quelques frictions avec son chiffon, un djinn sort de la lampe qui atterrit par terre en bon équilibre sur son socle. Surprise par le grand courant d’air lumineux, Asmaa atterrit également au sol, en bon équilibre sur les fesses. (à Fès, logique !)
Un djinn bleu… Ce n’est pas un pantalon, mais bien un génie ; un esprit magicien de l’ancien temps, en orient.
Oh, ce n’est pas un djinn de dessin animé aux oreilles pointues et au torse musclé, non. Ce djinn en réalité a l’air parfaitement humain et tout à fait normal si ce n’est… qu’il est bleu et peut apparaître ou disparaître à volonté quand et où il le veut.
Et ce djinn-là ressemble comme un frère jumeau à… votre bourgmestre ! Oui, à votre bourgmestre actuel ! Rappelez-vous son sourire avenant sur les dernières affiches électorales. Le djinn adresse le même rictus en ce moment à Asmaa.
Autant dire qu’il n’a pas le physique habituel des habitants du rif marocain. Costume cravate en cachemire bleu nuit, tout à fait inédit pour l’époque, chaussures en cuir noir, ciré et brillant.
D’entrée, ce djinn ne lui plait pas trop, à Asmaa.
« Qu’est-ce qu’il vient faire ici celui-là ?! » s’écrie-t-elle.
« Je ferai ce que tu m’ordonneras, maîtresse ! Demande moi ce que tu voudras et ton rêve je réaliserai. Tout désir je peux combler ! » Dit le Djinn d’une voix grave et solennelle.
« Non. Répond Asmaa.
- Non ?
- Non merci, je ne veux rien.
- Mais, mais… C’est impossible ! Tout le monde désire quelque chose ! »
« Non merci, vraiment. Je n’ai besoin de rien. » dit Asmaa. « Tu peux t’en aller. Merci et bonne journée ! »
Le djinn est abasourdi par cette réponse et fort décontenancé de se voir ainsi remballer comme un vulgaire marchand de tapis.
« Mais enfin, te rends-tu compte de ta chance ? » insiste-t-il « Je peux, te dis-je, réaliser tous tes souhaits ! »
Asmaa le calcule du regard et dit : « Et qu’est-ce que tu voudrais que je te demande ? Des montagnes de pierres précieuses ? Une couronne de reine ? Des pouvoirs surnaturels ? Que ferais-je de tout ça ? Je n’ai besoin de rien d’autre que ce que j’ai pour le moment. Merci et bonne journée ! »
Le génie ne se laisse pas décourager.
« Des pierres précieuses ? C’est bien trop peu ! Je peux faire pleuvoir l’or sur toi et sertir chacun de tes doigts d’une bague luxueuse ! Je peux remplir ta cave de dirhams et changer chaque brique de ta maison en lingot ! Je peux transformer les pistaches que tu vois dans ce panier en autant de diamants ! »
« Et qu’est-ce que je ferais avec ces pierres précieuses ? Les regarder briller ? J’ai déjà les étoiles du ciel nocturne pour ça, ou bien les reflets du soleil dans les vagues de la mer. De l’argent, j’en ai assez. Tu peux disposer. Merci et bonne journée ! »
Asmaa prend un seau d’eau et une éponge, grimpe sur une chaise et se met à nettoyer les fenêtres de la mezzanine.
A travers la vitre, elle peut apercevoir la ville en contrebas : les maisons rectangulaires aux façades blanches et les palmiers dépassant çà et là entre les toits plats.
A travers la vitre, elle voit aussi le djinn qui lévite dans les airs à sa hauteur.
« Que cette position a l’air inconfortable pour toi, ma pauvre dame. Un mot et je fais apparaître un serviteur qui finira cette tâche à ta place. Ou trente, quarante, cinquante serviteurs ! Et encore cent domestiques pour se mettre à ton service. Tu n’auras plus rien à faire que te reposer et profiter de la vie ! »
« Et m’ennuyer, et bailler, et poireauter ! Cent domestiques ! Allah ! Lla Lla et Lla ! Ce n’est pas comme ça que j’ai été éduquée ! Un travail bien fait est toujours satisfaisant. La maison sera bien présentable pour la venue de nos invités ce soir. Ils seront contents. Mon mari sera content aussi et il me dira merci. À moi. Parce que c’est moi qui l’aurai mérité ! »
« Tu mérites du repos, voilà ce que je pense. Allez, cinquante domestiques ? Quarante ? Trente ? »
« Que dalle ! Nada ! J’ai deux jambes et deux bras, voilà qui suffit ! » Le coupe Asmaa. « Voilà, j’ai fini les vitres regarde, c’est nickel-nickel ! Allez, Bonne journée ! » Asmaa chasse le djinn d’un revers de la main et celui-ci disparaît.
Asmaa sort alors et s’engage dans la rue en direction du marché. Arrivée au souk, des monticules d’épices colorées et odorantes lui flattent les yeux et lui caressent les narines. Poivre noir, Safran jaune, paprika rouge…
Asmaa se dirige vers l’étal de Farid le boucher car elle a besoin de viande pour le repas du soir.
Farid sourit, comme à son habitude.
« Bonjour Madame Asmaa.
- Bonjour Farid.
- Comment allez-vous aujourd’hui ?
- Bien merci…
- Et la famille ?
- Ça va, ça va…
- Qu’est-ce que je vous sers ?
- Six petites côtes d’agneau, s’il vous plait.
- Voilà, voilà. Le vendeur fait une pause. Mais pourquoi de petites ? Je pourrais vous en donner de bien grosses ! Tenez, celles-ci par exemple. Elles sont magnifiques et je viens de les découper. Il n’y en a pas de meilleures dans tout le marché. Vous allez vous régaler !
- Merci Farid mais ce n’est pas dans mon budget.
- Pas question de supplément, Madame Asmaa ! Vous m’arrachez le cœur de penser ça ! C’est pour vous faire plaisir ! Il faut se faire plai-sir ! Tiens, si je vous donnais en plus une belle côte de bœuf ? C’est un morceau pour un Sultan, ça ! Ça comble un palais !
- Mais… »
La conversation prend une tournure étrange. Asmaa remarque que Farid fait de grands gestes en parlant, lui d’ordinaire si posé et que sa voix sonne un peu différemment : un peu… plus grave.
Le commerçant continue sur sa lancée : « je peux aussi vous proposer de divines huîtres pour l’entrée ! Des fruits de mer et un beau homard pour une tajine de luxe ! »
Bizarre, Farid vend à présent des produits de pêche. Sa peau commence à changer de teinte et sa djellaba vire au bleu de plus en plus foncé.
Il poursuit sa liste, extatique : « du pain doré, de la soupe de fèves au cumin, du poulet aux lentilles, des escargots aux épices ! »
Et au fur et à mesure que le vendeur déblatère, les aliments apparaissent sur l’étal. Ce n’est plus Farid qui gigote dans la djellaba bleue, mais bien évidemment le djinn.
« Des loukoums au miel, des crêpes au sucre, des baklava aux amandes, du thé à la menthe, de la salade d’orange à la cannelle… »
Asmaa saisit le petit paquet de côtes d’agneau, jette quelques dirhams sur l’étal et s’enfuit, laissant le djinn gesticulant, si bien qu’il ne remarque même pas son départ. Elle court à toutes jambes dans les rues et, arrivant à sa maison, s’enferme à double tours et reste un instant plaquée contre la porte.
« Il va me rendre folle ce djinn ! Heureusement, ce soir je suis accompagnée ! »
Asmaa se met alors aux fourneaux pour préparer un royal couscous à ses invités du soir. Elle tient la recette de sa mère qui elle-même la tenait de sa grand-mère. Le plat sera délicieux, comme à chaque fois.
Kader, son mari, rentre au domicile. Sur le chemin du retour, il a cueilli dans la montagne quelques pistils de safran qu’Asmaa plonge dans le bouillon.
Arrivent ensuite les invités. Hassan accompagné de Nejma, radieuse dans sa robe orange aux coutures dorées. Hamid accompagné d’Aïcha, somptueuse dans sa robe verte aux motifs argentés.
La soirée commence dans la bonne humeur. Les convives sont heureux de se revoir - ça fait longtemps – et les conversations vont bon train.
Vient le moment du repas et Asmaa sert son fameux couscous.
Chacun s’émerveille dès la première bouchée.
« Délicieux ! »
« Succulent ! »
« Merveilleux ! »
Pourtant, Nejma, elle, fait la moue : « moui, il est bon ce couscous. » Dit-elle. « Pas mal. Mais ma famille connaît une recette bien meilleure ! »
Asmaa n’en croit pas ses oreilles. Une telle grossièreté est impossible de la part de son amie. En particulier dans ce pays où l’hospitalité est sacrée et le respect entre hôtes primordial !
Pourtant, aucun des autres convives ne réagit. Ils continuent tous de manger, l’air serein.
Nejma poursuit d’un air provocateur. Sa robe orange a soudain changé de couleur ; elle est à présent bleu foncé, mais personne à table ne semble s’en rendre compte.
Elle siffle : « tu n’as qu’à me demander ma recette et je te la donnerai. Fini de servir un petit couscous fadasse ! Plus de grimaces de dégout sur le visage des invités ! Fais-en le vœu et je te révèle la meilleure recette de couscous… du monde ! »
« À l’occasion. » rétorque Asmaa en s’efforçant de rester calme.
« Ton couscous est dégueulasse ! Demande-moi ma recette SUR-LE-CHAMP, empoisonneuse ! »
« A L’OCCASION ! » hurle Asmaa.
Alors, la robe de Nejma reprend sa couleur d’origine et les convives, émergeant de leur torpeur, fixent Asmaa un instant, bouche bée.
Kader est le premier à reprendre la parole.
« Quelqu’un reprendra de l’eau ? » dit-il en interrogeant son épouse du regard.
« Je vais vous resservir ! » se précipite celle-ci et, voulant rattraper son emportement ajoute, « vous avez de très belles robes aujourd’hui les amies ! »
Nejma et Aïcha sourient à nouveau. Et alors que la première boit une gorgée d’eau, la seconde fixe Asmaa d’un air étrange. Sa robe verte se change en une éblouissante robe bleu foncé cousue dans une soie magnifique dont les motifs, à présent pailletés, scintillent comme toutes les étoiles du ciel dans une nuit d’été.
Elle envoie : « as-tu vu comme ma robe est belle ? La tienne aussi bien sûr, mais comparons ce qui peut l’être. N’as-tu pas envie d’en avoir une comme la mienne ? Tu n’as qu’à demander et ton vœu sera exaucé ! »
Alors là, c’en est trop ! Le djinn ne prend même plus la peine de dissimuler son identité ! Si les convives continuent à ne pas moufter, Asmaa, elle, explose et jette son verre à la figure du démon en criant : « ça suffit, monstre ! »
Son amie reprend son apparence d’origine et sa figure, tant mouillée que choquée, se fige.
Asmaa se confond en excuses mais malgré tout les invités s’enfuient.
Elle se retrouve seule avec Kader qui la considère d’un regard interrogateur.
« Mais qu’est ce qui t’a pris, mon épouse ? »
« Kader, dis-moi que tu as entendu ses vilaines paroles ! » implore-t-elle.
« Je n’ai rien entendu de déplacé… » répond-il d’un air presque désolé.
« C’est ce djinn qui a pris possession de mes amies ! Il me suit depuis tout à l’heure ! Ya Allah ! Il ne me lâche pas ! »
Et Asmaa se met à pleurer.
« Je ne comprends pas trop ce que tu racontes. Mais si tu veux nous irons voir le vieil herboriste demain matin. Il saura sûrement quoi faire. » Dit Kader d’un ton apaisant. « Allons nous coucher maintenant. »
Rassurée, Asmaa acquiesce. Elle va dans la chambre, s’écroule sur le lit et tombe de suite dans un sommeil profond.
Le lendemain matin, Asmaa bondit du lit et, pressée d’aller voir l’herboriste, se rend à la salle de bain pour faire une rapide toilette.
Ouvrant la porte à la volée, elle entre dans la pièce. Elle constate alors stupéfaite qu’au lieu de la petite baignoire habituelle s’étend à présent à ses pieds un immense bassin rempli d’eau fumante et mousseuse.
Dans celui-ci, une dizaine de jeunes hommes se baignent et se savonnent le corps. Leur peau est dorée comme le soleil et leurs muscles se tendent sensuellement. Tous lui sourient, lui font des clins d’œil ou l’invitent d’un signe du doigt à les rejoindre.
Accroupi sur un des coins du bassin, le djinn ne portant qu’un slip de bain bleu foncé, joue un air de cithare lancinant et chante d’une voix suave : « ton désir, ton désir. Dépêche-toi de succomber, à ton désiraaah… »
Alors, Asmaa se met à rire de manière incontrôlée.
« Haaa ha ! Lla Lla et Lla ! N’importe quoi ! Ces coquelets pourraient être mes petits-enfants ; ils ont tous le tiers de mon âge ! Pour qui me prends-tu, djinn ? »
Le djinn cesse de chanter et une corde de sa cithare lui casse dans les doigts.
Ensuite, Asmaa est prise d’une colère cataclysmique.
« Ainsi, même dans mes rêves tu viens me harceler ! MAUDIT SOIS-TU ! LAISSE-MOI TRANQUILLE ! » hurle-t-elle. « TU M’ÉNERVES ! JE VAIS TE… JE VOUDRAIS… »
« Voilà ! » la coupe de djinn. « Qu’est-ce que tu voudrais ? Demande et j’exaucerai ! »
« JE NE VEUX RIEN ! Je te l’ai déjà dit ! »
« Alleeeez ! » geint le djinn en piétinant le sol. Et il fracasse sa cithare sur le carrelage du bassin.
« Calme-toi, calme-toi ! Mais enfin, pourquoi est-ce si important pour toi de réaliser mes vœux ? »
« Parce que c’est pour ça que j’existe ! C’est à ça que je sers ! C’est mon taf, quoi ! » gémit le djinn. « Rien qu’un vœu et je te laisse tranquille, promis ! »
- Bon, d’accord. Mais un petit vœu raisonnable alors. Pas un truc invraisemblable ; devenir une sultane, être millionnaire ou je sais pas quoi !
- Je m’en contenterai…
- Je voudrais. Je voudrais… Je voudrais me réveiller.
- Que ton vœu soit exaucé !
Dans la seconde, Asmaa se réveille dans le lit de sa chambre. L’aube pointe à l’horizon quand elle ouvre la fenêtre. Plus de djinn en vue. Elle va vite dans la salle de bain pour vérifier que tout est revenu à la normale. C’est le cas.
Alors, Asmaa soupire, rassurée.
_ _ _
Asmaa rejoignit son mari, et plus tard sa famille ; ses amis.
Elle vécut le reste de sa vie sans pluie de diamants, sans armée de domestiques, ni banquets pantagruéliques. Ni gloire pour elle, ni convoitise pour ses pairs. Asmaa vécut ne cédant ni à des désirs ahurissants ni à des colères démesurées.
Elle vécut le reste de sa vie sans trop faire de bruit.
Et ça lui « Allah » très bien ainsi !
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