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Le barman
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- Catégorie : Littérature sentimentale
- Date de publication sur Atramenta : 15 mars 2011 à 12h17
- Dernière modification : 26 juin 2018 à 2h56
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- Longueur : Environ 215 pages / 79 404 mots
- Lecteurs : 4 923 lectures + 2 641 téléchargements
Cette oeuvre est déclarée complète, relue et corrigée par son auteur.
28 – Et alors ?
Je croyais que ce serait plus facile si les choses étaient claires entre Matt et moi, mais non. Je suis maussade et le masquer est plus compliqué que je ne l’aurais cru. Je fais même retarder l’enregistrement d’un album pour que les choses se prolongent, ce qui me permet d’annuler notre séance de création. C’est enfantin, mais ça vaut mieux que de le voir.
Évidemment, je ne peux pas retarder indéfiniment nos rencontres, mais je prépare celle de jeudi avec soin : j’y apporte deux chansons pratiquement terminées que je fais mine de composer devant lui. Au moins, il croira que je vais bien et que j’ai toujours une certaine dose de créativité. Ce qui est faux, bien sûr. Je refais des gestes banals : je change quelques petites choses au texte, je me concentre sur les arrangements pendant qu’il écrit dans son carnet sans dire un mot. Quand je termine la chanson, je me retourne vers lui :
— Tu veux proposer un texte ?
— Non.
Il referme son carnet, se lève avant de poser les yeux vers moi :
— Je crois que je devrais changer d’équipe.
Ça me blesse qu’il le dise avec un ton aussi froid et je prends tellement de temps pour répondre qu’il a le temps d’ajouter :
— Je vais aller voir ton père pour lui en parler.
— C’est que… c’est à moi de… de juger de ça.
— Ah. Bien… change-moi d’équipe.
— Pourquoi ?
Il fronce les sourcils :
— Tu sais pourquoi. On n’arrive plus à travailler ensemble.
— C’est une phase, c’est tout.
— On ne peut pas composer ensemble ! Je n’ai pas ni envie de te montrer mes textes, ni de te faire confiance. Je veux changer d’équipe.
Ses paroles me frappent. Qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce qu’il compose des chansons pour moi ? Ça me touche juste d’y songer, mais je me refuse de le lui montrer. J’essaie de trouver une solution, mais je n’ai pas l’esprit clair en ce moment, probablement parce que j’ai une boule de feu de coincée dans le ventre et que je dors très mal depuis deux jours. Tout ce que j’arrive à me dire, c’est que mon père ne sera pas content d’apprendre ça. Surtout que, dimanche dernier, il n’a pas cessé de me répéter à quel point il était heureux du travail de Matt. Qu’est-ce que j’allais bien pouvoir lui dire, maintenant ?
— Si c’est moi le problème, tu peux travailler avec Frann, suggéré-je.
— C’est plus simple si je change d’équipe.
— Je ne veux pas que tu changes d’équipe.
— Pourquoi ?
Sa question résonne sans hésitation. Elle m’étonne, mais comme je ne sais pas quoi lui répondre, je jette simplement :
— C’est comme ça, c’est tout.
Je le suis du regard pendant qu’il marche vers son sac. Je sais que ma réponse est idiote, mais c’est tout ce que je suis parvenue à trouver. Je me lève et je me place devant lui pour l’empêcher de sortir.
— Matt, mon père est content que tu sois dans mon équipe. Il n’arrête pas de me le dire.
— On ne compose plus rien !
— Pourquoi tu n’essaies pas avec Frann ?
— Tu préfères que je démissionne ?
— Quoi ? Non ! Qu’est-ce que tu racontes ?
Il fait un geste pour me contourner et je me replante devant lui :
— On n’a pas fini, dis-je.
— Et alors ? T’as pas besoin de moi. Ta chanson est presque finie…
— Si tu veux, on en écrit une autre…
Il me fusille du regard et je comprends que je l’énerve à insister de la sorte. Je me tasse de là et il reprend ses pas jusqu’à la porte. Il sort pendant quelques secondes, puis il revient comme un coup de vent avant de se remettre devant moi :
— Qu’est-ce que tu veux de moi ? Pourquoi tu ne le dis pas ?
Je fige, mais je ne détourne pas les yeux. Que veut-il que je dise ? Il baisse la tête, se met à chercher quelque chose dans son sac, sort un carnet, en arrache des feuilles d’un geste brusque et les tend vers moi :
— Tiens.
— Qu’est-ce que… C’est quoi ?
— Tu veux qu’on compose ensemble ? Voici mes textes. Maintenant, tu n’as plus besoin de moi.
Il bouge les feuilles avec énervement jusqu’à ce que je les prenne, puis il repart en claquant la porte derrière lui. Je reste là, éberluée par sa réaction. Je ne comprends pas ce qu’il fait. Je jette un coup d’œil aux feuilles qui sont entre mes doigts et mes genoux plient à la seconde où mon nom apparaît.
Je tombe sur le sol et ma vue se brouille. Je ne sais même pas ce que révèlent les mots, je sais juste que mon prénom est inscrit partout autour de ses écrits. Mon premier réflexe est de bondir sur mes pieds et de le retenir, mais mon corps est plus lourd que la pierre. Je plie les feuilles sans même les lires. J’ai peur de pleurer. C’est idiot, mais je n’ai pas envie que Frann ou Isa me trouvent ici et me demande pourquoi je pleure. Je ne saurais même pas quoi leur répondre.
Je regarde l’heure : il reste encore quarante minutes à ma séance. J’attends que ma vue revienne, déplie les feuilles de Matt et récupère quelques mots au passage. Merde ! Les larmes tombent dès que je vois « Tu me manques ». Oh bon sang ! Pourquoi m’avait-il donné ça ? Je referme les feuilles, puis je cède : à être dans cet état, il vaut mieux que je lise tout. Je ne suis pas certaine de pouvoir comprendre, mais tout ce qui parle du chagrin, des espoirs envolés et du manque, ça, je comprends. C’est l’histoire de ma vie.
Quand la porte s’ouvre derrière moi, je sursaute. Je me dépêche d’essuyer mes larmes, mais je ne me retourne pas. J’agrippe mon sac pour y cacher les mots de Matt.
— Qu’est-ce que tu fais là, toute seule ?
Je ne sais pas pourquoi, la voix de Frann augmente le débit de mes larmes et je l’entends refermer la porte pour nous redonner un peu d’intimité.
— Qu’est-ce qui se passe ?
Il est déjà là, derrière moi, à me prendre contre lui. Je tremble, mais les mots ne sortent pas.
Je le laisse me cajoler, sans rien dire, comme une enfant qui pleure et qui ne se souvient plus pourquoi.
— Tu t’es disputée avec Matt ? demande-t-il soudain.
Je fais oui de la tête.
— Pourquoi tu pleures ?
— Parce que je suis bête.
— Ah. Oui. Ça, je sais !
Il rit alors que mes larmes ne sèchent pas. En plus, je sens que ça lui plaît de se moquer de moi.
— Si t’es trop bête pour lui dire qu’il te plaît, pourquoi tu ne lui écris pas une chanson ?
— C’est déjà fait, soufflai-je.
— Et ça dit quoi, cette chanson ?
— Des choses.
— Hum. Et tu lui as fait entendre ?
Je fais non de la tête et son rire reprend, moqueur :
— Qu’est-ce que t’attends ?
— Rien. Je suis trop bête, je te dis.
Il n’arrête plus de rire et cela ne fait qu’amplifier mon sentiment. Je gronde :
— T’as fini, oui ?
Je m’essuie les yeux et je tente de lui jeter un regard noir pour qu’il arrête de rire, mais dès que le bruit cesse, sa question fuse aussitôt :
— Tu me racontes ?
Je soupire avec bruit. La dernière chose dont j’ai envie, c’est de lui raconter tout le bonheur que j’ai perdu. Je vais donc à l’essentiel :
— C’est fini.
— À qui la faute ?
— À moi, probablement.
— Il ne t’a pas donné d’explications ?
Je secoue la tête.
— C’est quoi cette histoire ? Il t’a dit : « c’est fini » et puis c’est tout ?
— Non, je… c’est moi qui… qui l’ai dit.
Là, il ne comprend plus rien et je m’explique, très vite :
— Mais il allait le faire, alors…
— Qu’est-ce que tu racontes ? Je ne comprends rien à ton histoire !
Je souffle avec bruit, mais je suis bien obligée d’admettre :
— Moi non plus. On dirait que… je ne sais pas ce qu’il veut.
— Demande-le-lui.
— Mais pourquoi ce ne serait pas à lui de… de me demander ce que je veux ?
— Qui est malheureux, en ce moment ?
J’ai envie de pleurer devant sa question, mais je ne doute pas que le sentiment est partagé. Après tout, Matt m’a bien laissé ces feuilles. Est-ce que ses mots n’indiquent pas que je lui manque autant qu’il me manque ? Je ferme les yeux, étourdie :
— Pourquoi ça doit être aussi compliqué ?
— Va donc le voir. Expliquez-vous.
— Je ne sais pas quoi dire.
— C’est vrai que, pour la communication, tu n’es pas douée.
J’ai l’impression de perdre mon temps à l’écouter plaisanter. Je me détache de lui, cherche à récupérer mon sac pour partir de là, mais sa voix me retient dans la pièce :
— Dire les choses, ce n’est pas si compliqué, Élisa.
— C’est facile pour toi, de dire ça.
— Qu’est-ce que tu risques ?
— Il va se moquer de moi.
— Et alors ? Je le fais bien, moi ! Tu n’en meurs pas pour autant !
— Pourtant, ça m’énerve !
Ma réponse me fait rire et j’ai l’air d’une idiote à pouffer entre les larmes.
— T’as pas l’air d’en souffrir beaucoup, se moque-t-il.
Je ne dis rien. Pourquoi est-ce aussi difficile de faire confiance à Matt ? Je sais bien que je ne comprends rien aux relations de couple, mais il n’a pas fait beaucoup d’efforts pour me retenir, non plus. Est-ce que je ne lui rends pas service, au fond, en restant terrée dans mon coin ? À attendre que ça passe ?
— Laisse tomber, finis-je par dire.
Je récupère mes choses et je sors du local, un peu amère des moqueries de Frann. Je songe que, bientôt, Matt finira bien par quitter mon équipe et peut-être même le studio, ou Montréal. Tout ça pour quoi ? Parce que je n’ai pas dormi chez lui, l’autre soir ? Je ne sais pas. Quelque chose m’échappe. Est-ce que je suis vraiment aussi nulle pour les relations de couple ? Peut-être qu’il aurait mieux fait de tenter sa chance avec Isa. Avec elle, au moins, il aurait su à quoi s’en tenir.
Table des matières
- 01 – La chasse Env. 4 pages / 1129 mots
- 02 – Le karaoké Env. 5 pages / 1567 mots
- 03 – Charmant Env. 3 pages / 804 mots
- 04 – Promenade Env. 3 pages / 1002 mots
- 05 – La douche Env. 5 pages / 1501 mots
- 06 – La nuit Env. 5 pages / 1748 mots
- 07 – Réalité Env. 7 pages / 2343 mots
- 08 – L’annonce Env. 3 pages / 980 mots
- 09 – Les rumeurs Env. 4 pages / 1310 mots
- 10 – Papa Env. 6 pages / 1908 mots
- 11 – Les alliés Env. 3 pages / 757 mots
- 12 – Bryant Env. 6 pages / 1784 mots
- 13 – Le piano à queue Env. 4 pages / 1306 mots
- 14 – C’est lui Env. 4 pages / 1102 mots
- 15 – L’équipe Env. 6 pages / 1939 mots
- 16 – Le Drive in Env. 5 pages / 1840 mots
- 17 – Premières Chansons Env. 5 pages / 1506 mots
- 18 – Le veto Env. 5 pages / 1671 mots
- 19 – Arrangements Env. 5 pages / 1753 mots
- 20 – Résultats Env. 2 pages / 681 mots
- 21 – L’intérêt Env. 5 pages / 1853 mots
- 22 – La raison Env. 6 pages / 2216 mots
- 23 – Explications Env. 6 pages / 1910 mots
- 24 – Reprise Env. 6 pages / 2001 mots
- 25 – Le Matin Env. 5 pages / 1788 mots
- 26 – Découvertes Env. 6 pages / 1922 mots
- 27 – Rompre l’incertitude Env. 4 pages / 1154 mots
- 28 – Et alors ? Env. 5 pages / 1773 mots
- 29 – Dire Env. 6 pages / 2188 mots
- 30 – Deux Env. 7 pages / 2340 mots
- 31- Confidences Env. 6 pages / 1950 mots
- 32 – Le poids du chagrin Env. 6 pages / 1986 mots
- 33 – L’idole Env. 6 pages / 2102 mots
- 34 – Le voyage Env. 4 pages / 1237 mots
- 35 – Statut particulier Env. 4 pages / 1256 mots
- 36 – Retour Env. 5 pages / 1615 mots
- 37 – L’invité Env. 4 pages / 1327 mots
- 38 – Suppliques amoureuses Env. 3 pages / 899 mots
- 39 – Les nerfs à vif Env. 5 pages / 1768 mots
- 40 – Éclats de rumeur Env. 6 pages / 2322 mots
- 41 – Les Conséquences Env. 5 pages / 1562 mots
- 42 – Le silence Env. 3 pages / 934 mots
- 43 – La peur au ventre Env. 4 pages / 1212 mots
- 44 – Rien ne va plus Env. 4 pages / 1238 mots
- 45 – Faire ce qu’il faut Env. 5 pages / 1627 mots
- 46 – Perdue Env. 5 pages / 1615 mots
- 47 – malentendus Env. 5 pages / 1640 mots
- 48 – Chez Frann Env. 4 pages / 1397 mots
- 49 – Contretemps Env. 6 pages / 1924 mots
- 50 – L’amour Env. 6 pages / 2017 mots
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- L’hôtel du temps qui passe (Métaphysique de la fin du monde)
- Jean-Pierre Chatot
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