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Le bal des chauves-souris
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- Catégorie : SF et fantastique
- Date de publication sur Atramenta : 15 septembre 2019 à 16h49
- Dernière modification : 19 mars 2020 à 19h07
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- Longueur : Environ 8 pages / 2 283 mots
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Le bal des chauves-souris
Le bal des chauves-souris
Un monde où les fées existent…
L’agenda astronomique signale des événements intéressants à ne pas manquer pour cette soirée du 21 décembre et, afin de célébrer le solstice d’hiver, la population s’organise dans la petite ville de Bolac, située à flanc de coteau, en pays cathare. Le programme se montre diantrement alléchant et les réjouissances débuteront dès la mi-journée avec une présentation de mode médiévale, suivie d’un banquet, pour se terminer par des rituels et des danses, au lever des astres, sur le mont Humus, lieu mystique.
Des kilomètres de guirlandes illuminent les boulevards, tandis que des myriades de baies de fées lumineuses courent sur les balcons et habillent les nombreux squares. Les vitrines des boutiques décorées de photophores enluminés diffusent une lumière douce et chaleureuse et, comme pour conjurer les mauvais sorts, chaque entrée d’habitation est protégée par des couronnes de houx mêlé de lierre et de sapin.
Bolac trône en apparat et brille de mille feux.
Malgré le froid glacial de la matinée, une animation exceptionnelle s’empare de la cité et les va-et-vient des habitants deviennent étourdissants ; je n’ai jamais vu pareille agitation. Les tavernes débordent de consommateurs et proposent en terrasse divers breuvages locaux qui réconfortent corps et esprit. Dans le vaste parc des Albigeois, au pied des vestiges de l’ancienne abbaye, le kiosque reçoit un ensemble vocal qui interprète des chansons mythiques du temps passé et sur la Grand-Place, un cercle de badauds s’est formé autour d’une troupe de saltimbanques. Les enfants se tordent de rire et leurs yeux pétillent de bonheur devant les pitreries des clowns Gaspard et Balthazar juchés sur leurs échasses. Un peu plus loin, en dessous d’une arcade monumentale drapée d’un manteau de lumières clignotantes, de nombreux musiciens accompagnent les prouesses des trois frères Doré, surprenants jongleurs, et l’exhibition de la remarquable contorsionniste Ulla.
La cité vibre dans un ravissement de joie.
Je quitte le cœur de ville afin de rejoindre l’avenue du Languedoc, aux pavés bancals, qui borde l’église et le cimetière. C’est jour de marché.
«Allez, Mesdames et Messieurs, plus frais que frais…
Treize à la douzaine… Achetez mes bons œufs, les bons œufs de mes poules heureuses ! »
J’acquiesce d’un sourire.
Dans un décor de fête, les exposants, artistes, producteurs, artisans autochtones et régionaux vantent la qualité de leurs produits. Dans un festival de couleurs, les étals, derrière lesquels disparaissent à moitié les marchands, croulent sous les monticules de fruits et légumes, épices, poissons, fromages, vêtements, vannerie…
À la croisée d’une venelle, des effluves sucrés et amers s’exhalent et mes papilles s’éveillent. Le chocolat mène la danse et ses suaves émanations se mélangent à la cannelle, au gingembre et au girofle. Je hume avec lenteur les parfums subtils des pains d’épices et des viennoiseries…
Dotée d’une certaine finesse d’odorat, je me laisse guider sur la piste des saveurs et m’engage dans un dédale d’étroites rues commerçantes. Des senteurs pénétrantes s’échappent de toutes parts et je mange des yeux toutes les compositions qui défilent devant moi. Bouchers, charcutiers, boulangers, pâtissiers, crémiers s’affairent derrière leurs comptoirs, tandis que l’épicier, barbichette au vent, étale son gros ventre bleu sur le pas-de-porte et lorgne les passants. Chacun a sa spécialité…
L’heure s’avance et ma balade est interrompue par les roulements de tambour du crieur Gazette qui convie la population à se rendre sous l’immense chapiteau, aménagé sur le terrain de sport, pour la suite des festivités.
Le cortège des demoiselles gagne le podium au tempo d’une musique grégorienne adoptant l’allure d’une performance artistique. Fidèles à l’époque, les costumes, dont les riches teintes rouge garance, bleu guède et argent dominent, rayonnent de magie. La représentation, qui obtient un franc succès, se déroule devant des spectateurs admiratifs pour s’achever par une double salve d’applaudissements.
Un agréable fumet flotte dans l’amphithéâtre et titille les narines, puis le son du cor sonne les agapes. Une joyeuse convivialité réunit les hôtes qui prennent place autour de longues tables joliment dressées et réhaussées de ravissantes coupes florales. Les convives absorbent du meilleur appétit le repas servi, si bien que j’entends à peine les couverts effleurer les assiettes. Sitôt le plat principal consommé, un interlude est observé pendant lequel Casper et son compère Triboulet, bouffons aux habits bariolés, surgissent sur une musique traditionnelle catalane en exécutant des danses comiques. Ils débitent des anecdotes amusantes pendant un long moment pour conclure leur numéro par des dialogues burlesques. Monsieur le maire profite de l’arrivée du dessert pour pousser hardiment la chansonnette, remercier de leur présence les participants ainsi que tous les organisateurs, et souhaiter la bonne continuation des réjouissances.
Le jour se meurt.
Les roseaux et les tamaris grincent, fléchissent sous les rafales de la tramontane et le froid s’intensifie.
Une trentaine de personnes passionnées et volontaires s’équipent de plusieurs couches de vêtements et se coiffent d’épais passe-montagnes. La nuit s’annonce sibérienne.
Dans son harnachement de fête, Anaïs, la mule de Justin, secoue énergiquement sa tête empanachée de plumes rouges faisant grelotter son collier de sonnailles ; elle piaffe d’impatience… Elle est chargée de deux énormes malles en osier équilibrées de chaque côté du bât, dont l’une servira pour une légère collation et les présents ; pour l’autre, quelques habits chauds et des couvertures. C’est elle qui ouvrira la piste vers le firmament étoilé.
Dans une incommensurable atmosphère de liesse, Tristan corne le départ pour la virée nocturne, et sous la conduite d’Anaïs, des bodegas, fifres et tambourins, le cortège ascensionne le mont Humus à la lueur des flambeaux. En cadence avec le cheminement, les chants s’allient aux instruments et, sous l’éclat de la lune, les gais troubadours serpentent le versant comme des processionnaires luminescentes.
L’exode est solennel et impressionnant.
Après deux heures de marche, l’arrivée est imminente. Bien que l’orphéon soutienne la troupe, le parcours est de plus en plus laborieux. Le vent redouble de force et entrave la progression. Chéri me talonne et en a plein les pattes. Ses grands yeux emplis de douceur s’informent sur le point d’aboutissement du trajet et, devant son état d’éreintement, je lui tends quelques bribes de gâteau afin de le stimuler : «Allez mon chien, courage, encore un quart d’heure de montée et nous flirterons avec l’énergie cosmique.»
Tout à coup, le son criard et puissant de la corne retentit dans la nuit pour s’évanouir dans le lointain. Le concert cesse. C’est le grand silence…
Nous atteignons le sommet.
Aussitôt, Anaïs est soulagée de son fardeau puis, tels des manchots empereurs, la compagnie adopte spontanément la formation de la tortue, tandis que certains astronomes avertis initient les néophytes peu frileux sur l’immensité et la beauté célestes. Dans le noir de l’espace, ici, Orion dévoile l’incandescente Bételgeuse, star géante de sa constellation et là, le fameux Sirius, placé au pied d’Orion, qui brille comme un diamant au cou de son maître le Grand Chien.
Je reste en extase…
Les lanternes où vacillent les chandelles sont placées sur des pierres plates et un thé fumant est proposé aux amateurs. Jason s’accomode du mince éclairage et érige sommairement un petit autel de pierraille sur lequel chacun déposera un porte-bonheur. Puis on brûle l’encens, médite, prie, rit, chante, danse, échange de menus cadeaux : une cérémonie symbolique des Saturnales. Le mont Humus flamboie parmi les astres et la java se poursuit durant la nuit sous l’arche de la voie lactée.
La fête bat son plein lorsque je remarque d’étranges sphères bleutées, phosphorescentes et versatiles dans le ciel ; sourdent ensuite des gargouillements d’outre-tombe. Chéri et ses congénères se mettent à hurler lugubrement, tandis qu’Anaïs s’effraie, toupille, gratte furieusement le sol de ses sabots et brait à nous perforer les tympans.
Les gais lurons se taisent instantanément et se paralysent dans des attitudes fantomatiques. Sur les visages hagards, les yeux expriment la terreur et les regards s’interrogent.
Est-ce la colère divine ?
Soudainement, la terre gonfle d’une trentaine de centimètres, bourdonne, tremble, se soulève dans un épais nuage de vapeur argentée, puis s’ouvre…
Je n’entends ni voix, ni cris et tel un essaim d’abeilles compact, la grappe est aspirée puis précipitée dans un immense tourbillon.
Je me retrouve seule et, embarquée dans le toboggan de la mort, je suis engouffrée à une allure vertigineuse dans les entrailles de la terre.
J’ai le plus grand frisson de ma vie et je ne sais plus si je respire encore. Je suis en enfer et il est impossible d’échapper à cette situation dantesque. Pantin d’un vilain cauchemar, ma tête chavire, mon corps se disloque ; j’appartiens désormais aux forces occultes…
J’ai froid.
Chéri me manque… Où est-il ?
Et Anaïs ?
Mes amis ?
Je suis dans la confusion totale, enlacée dans cette trombe lumineuse à la couleur bleu glacé, aux vibrations de cristal quasi joyeuses. Je suis dans une euphorie inquiétante lorsque la vitesse de descente s’amorce vers la modération. Je ne parviens pas à réaliser que je puisse atterrir quelque part et, comme dans un tournoyant mouvement de valse, je suis séduite par le rythme. L’arrivée douce, ouatée, envoûtante en territoire inconnu captive tous mes sens.
Après ce long parcours palpitant, le lieu sombre de réception est quiet et apaisant. Ébahie, je gîte dans la cathédrale des abîmes où de géantes et majestueuses stalactites filtrent de fines goutelettes qui perlent dans une enfilade de vasques luisantes.
Je n’ai plus froid et ma vue s’habitue peu à peu au clair-obscur magique.
Je me lève parmi les concrétions pierreuses blanchâtres qui tapissent le sol et j’avance doucement en tanguant. Je longe une cascade pétrifiée lorsque l’écho d’un cri strident déchire le silence des profondeurs souterraines. Un étrange animal, semblable à un aye-aye, pourvu de grandes ailes, arrive sur moi et flotte au-dessus de ma tête, puis s’esquive discrètement dans l’obscurité.
Dès lors, je constate la présence d’êtres vivants.
Après avoir passé plusieurs galeries, je pénètre prudemment dans une immense salle où le travail de l’eau a sculpté de manière spectaculaire une profusion de formes variées. Je plonge mon regard dans cette forêt de stalactites et de stalagmites, aux orgues titanesques, où je m’étourdis de contemplation. Au passage, je tapote quelques colonnes qui entrent en résonance, émettant de jolis sons métalliques. Je dois cette découverte au hasard et, trouvant l’espace acoustique tellement original, je renouvelle mon expérience musicale, pour le plaisir…
Malgré ce divertissement improvisé, je commence à me languir et l’angoisse m’entraîne dans des pensées insencées lorsque je perçois des voix monter d’une lointaine cavité.
Serait-ce l’ombre de la déraison ?
Tout à coup, une colonie de chauves-souris surgit de la jungle calcaire et tourbillonne en d’incessantes acrobaties. Des centaines de petits luminaires éclairent agréablement la caverne et je profite de ce bienfait pour m’aventurer sur les sentiers de la forêt. Les reines des ténèbres ne m’abandonnent pas et, de leur vol agile et précis, me guident parmi les colonnes sur lesquelles je pianote du bout des doigts. Les différentes vibrations provoquent aussitôt chez les paisibles veilleuses un sentiment intense de bien-être, puis elles me répondent par des bourdonnements suivis de gazouillis. J’expérimente d’autres sonorités de la gamme minérale, puis je les admire papillonner et danser.
J’assiste à ma plus belle nuit de bal en la cathédrale des chauves-souris.
L’assourdissante cacophonie, dont les criaillements et les piaillements continus m’interdisent maintenant de prêter l’oreille, m’importune. Le ballet de ces créatures empreintes de mystère semble pourtant m’adresser un message et m’indiquer un chemin à prendre… Ce que je fais. De leur vol adroit aux manœuvres multiples, elles me pilotent à travers les labyrinthes de galeries, où parfois je dois ramper dans d’étroits boyaux, afin d’atteindre d’immenses salles aussi insolites les unes que les autres. Et là, quelle surprise de voir accourir Chéri, aussi guilleret qu’un pinson, tortiller de la queue et japper de plaisir !
Anaïs !
Les amis !
Les chiroptères nous ont tous réunis.
Alors que se terminent les longues scènes d’accolades fraternelles, les miraculés pensent, à présent, au moyen de fuir cette fâcheuse situation. Chacun se demande depuis combien de temps sommes-nous sous terre et pourquoi la faim ne nous tenaille pas ?
Nous n’avons pas la réponse.
Soudain, dans un vol un peu plus lent, mais tout aussi gracile, les trilles des chauves-souris nous incitent à les suivre. Aussitôt, la petite troupe emboîte le pas, emprunte de sombres corridors aux murs lisses entrecoupés d’antres obscurs, encore et encore des nœuds de tunnels qui conduisent à de grandes salles…
Le circuit devient interminable, mais où serions-nous sans nos merveilleuses éclaireuses ?
Sur l’un des murs d’une galerie en légère pente, nous repérons quelques petites fissures par lesquelles coule un rai de lumière…
À ce moment-là, nous présumons la fin du film de l’aventure.
Nous approchons d’une petite grotte baignée de lumière dont l’entrée s’évase vers l’extérieur. Nous sommes éblouis, mais tellement heureux que notre plongée souterraine s’achève dans l’allégresse générale.
Puis nous entonnons des refrains, afin de témoigner une profonde gratitude à notre fidèle escorte.
Les chauves-souris tressent maintenant de grandes boucles, murmurent de douces mélopées, nous quittent en virevoltant dans le ciel et s’éloignent en un long ruban moucheté.
Et le mont Humus se referme sur ses mystères…
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