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L'Art, le progrès et le marché
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- Catégorie : Savoir, culture et société > Histoire et Actualité
- Date de publication originale : 27/10/2009
- Date de publication sur Atramenta : 1 avril 2011 à 0h00
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- Longueur : Environ 7 pages / 2 012 mots
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L'Art, le progrès et le marché
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Internet tuerait la création. Le piratage mettrait l'art en danger. Il est urgent d'agir, avant que les industries culturelles, face à ce média bon marché, ne s'écroulent, alors qu'elles sont les seules à pouvoir fournir des oeuvres inédites et de qualité. Qu'en est-il vraiment ?
En quelques phrases, il semblerait que le bon équilibre entre art, économie et culture soit perturbé par l'apparition d'un nouveau média, produit de nombreuses innovations, mal maitrisé et destructeur.
Au cours des siècles, le progrès technique a permis l'amélioration du niveau de vie général, en subvenant mieux aux besoins humains comme l'alimentation, le logement et le temps libre. Et pourtant, ce progrès, localement, temporairement, a très souvent bouleversé des pans entiers d'économies locales, ruiné des personnes, des pays même. Ceux qui dépassés technologiquement n'étaient plus rentables en l'état pour faire face à la concurrence. Ils ont du s'adapter ou disparaître en des temps plus ou moins courts.
Les Arts ont aussi bénéficié des inventions ou des innovations du progrès. Mais tant que les Arts restaient distincts entre eux, et ne se faisaient pas concurrence, ils ne pouvaient qu'économiquement progresser grâce à l'enrichissement général, et évoluer grâce à des techniques mieux maitrisées, des composants plus fiables, plus précis et plus variés, une diffusion plus vaste et un renouvellement plus fréquent grâce aux éléments nouveaux fournis par la technique, la mode ou la connaissance du monde. Malgré tout, les revenus d'un artiste restaient modestes, puisque dépendants de ceux de ses protecteurs ou mécènes qui payaient les oeuvres.
La révolution industrielle, par l'accélération des découvertes, et surtout leur application dans la vie quotidienne, allait finir par inquiéter tous les secteurs de l'Art, dès lors qu'une innovation majeure permettait de diffuser, soit une représentation, soit une copie, d'une oeuvre initiale.
La photographie concurrença rapidement économiquement les peintres et les portraitistes. Néanmoins, sans la photographie couleur, les riches continuèrent de se payer des peintres, et les portraitistes changèrent de métier sans qu'on dise que l'Art était atteint. De même, le cinéma devait tuer le théâtre, la radio tuer la musique et les journaux, la télévision tuer la radio et le cinéma, et aujourd'hui, internet doit mettre tous les arts précédents au fond du trou. Pourtant, force est de constater l'ampleur mondiale de la création cinématographique et télévisuelle, les milliers de chaines de radios, les millions de revues vendues chaque jour, les centaines de nouveaux livres en septembre...et la survie des théâtres, des salles de concerts, de l'opéra, des spectacles de rue mais aussi l'existence des poètes, des sculpteurs, des peintres et des ...architectes.
Au 19 ème siècle, Hegel classe les arts selon une double échelle de matérialité décroissante et d'expressivité croissante. Ce classement permet de comprendre les effets de la technologie sur l'art et de répondre à ceux qui prétendent qu'une technologie peut compromettre la création, en particulier dans certains arts. Il détermine précisément dans l'ordre cinq arts, qui sont l'architecture, la sculpture, la peinture, la musique et la poésie.
Selon lui, pas de place dans son classement pour la littérature, la fiction, le théâtre ou même la danse, en tant qu'expression corporelle.
Il faut dire que Hegel est un philosophe, qui, en digne penseur, a su ainsi déterminer les arts qui comme les trois couleurs primaires dessinent l'arc des arts potentiels. Ils prennent en compte nos sens (or goût et odorat ou aurait-il dû classer en sixième art l'art culinaire ?), notre faculté de construire et notre faculté d'exprimer.
Les autres arts ne seraient donc que des dérivés de ces cinq là. Ce qui est intéressant dans leur ajout, c'est qu'ils tendent à englober les arts précédents mais aussi à s'éloigner de la matérialisation.
Le théâtre, la danse et la photographie se disputent la sixième marche. C'est normal. On y retrouve des composantes des cinq arts précédents, mais aucun ne peut prétendre englober l'autre. Il s'y rajoute aussi quelque chose de particulier, que nous verrons plus loin. L e 7 ème Art est le cinéma. C'est un art qui phagocyte tous ceux qui sont situés en dessous. Le huitième art est la télévision et l'art dramatique. On ne parle pas de la radio, car il y manque l'effet visuel et ne peut donc recouvrir les niveaux 6 et 7. Elle ne peut non plus être au niveau 6 car elle serait en conflit avec le théâtre. Finalement, la radio serait un sous-art de l'art télévisuel.
Le neuvième art serait la bande dessinée car par la succession de dessins, on peut reproduire tous les états cinématographiques et tous les agencements dramatiques de la télévision. On devrait rajouter un niveau pour les dessins animés, voire la création 3D non interactive avant de passer à ce qu'on appelle aujourd'hui le 10ème art : le jeu vidéo.
Le 11 art serait l'art numérique, qui ajoute à l'interactivité permanente et la liberté totale une notion de partage quasi spirituel puisque on peut partager les univers numériques par invitation ou copie instantanée, mais aussi en fournir les règles, et permettre de les modifier et de les diffuser à d'autres qui en feront de nouvelles oeuvres. Il s'agirait de l'art le plus dématérialisé et proche de l'esprit qui soit, mais...
Pour comprendre les peurs de délitement de l'art, et de conflits entre eux, il nous faut nous tourner vers Walter Benjamin, et son essai de 1935 sur «l 'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique ». Dans son ouvrage Benjamin effectue sa réflexion autour de trois axes, la reproduction technique et ses conséquences sur l'art, l'image cinématographique et enfin le cinéma, art de masse à dimension politique et sociale.
Pour lui, l'art est reproductible, et les moyens de reproduction peuvent être assimilés à des moyens de création, donc des nouvelles formes d'art. Si l'art d'un objet est reproductible, cette reproduction peut être différente de l'original (en matière plastique plutôt qu'en pierre, une affiche plutôt qu'une peinture). Néanmoins, l'aura de l'objet original se perdrait, (son hic et son nunc). Le pirate informatique le sait, et quand une oeuvre lui a vraiment plut, il achète un produit original, qui même sans être le master est quand même plus proche de l'artiste , grâce au support physique et à son emballage que le fichier dématérialisé qu'il a téléchargé. Pour cette raison, le livre a lui aussi encore de beaux jours devant lui.
Néanmoins, Benjamin est un adepte de la reproduction. Dans son analyse de l'image cinématographique, il y voit une reproduction du réel qui « tue l'aura du réel » tout en redonnant toute sa valeur à cette aura. Cette aura, tributaire de l'unicité initiale, lui semble être la marque d'une sorte de domination pour celui qui possède l'objet initial la contenant. Mais finalement, l'oeil moderne peut voir cette aura malgré la destruction subie au moment de la reproduction. La reproduction pouvant être infinie, et l'oeil moderne pouvant appréhender l'aura de l'oeuvre dupliquée, les masses peuvent alors s'approprier l'art. Ne connaissant pas les progrès techniques actuels, Benjamin ne pouvait connaître cet accès à l'art pour les masses que par l'intermédiaire de la marchandisation. Libérée de son emprise politique ou religieuse, l'oeuvre devenue marchandise s'affadit (elle devient quelconque, elle obéit à de nouvelles règles qui n'ont plus rien d'artistiques).
Voilà pourquoi aussi les anciennes formes d'art subsistent. Plus proches de l'artiste, elles sont plus appréciées par les quelques privilégiés qui peuvent la découvrir. Les expositions d »oeuvres d'art dans les musées attirent toujours les vrais amateurs d'art qui veulent se confronter à l'aura de l'original. Le théâtre, le concert qui permettent d'être en contact direct avec les artistes ont toujours leur public malgré les enregistrements sonores ou filmés.
L'industrie de la musique prétend cependant souffrir énormément du piratage sur internet. Les industries du cinéma et de la télévision, qui constatent en ligne de nombreuses copies s'émeuvent aussi. Vont-elles péricliter à cause de ce vol rendu possible par la reproductibilité à l'identique des oeuvres numérisées ?
Pour la musique, les chiffres semblent parler d'eux-mêmes. Et pourtant...
Cette fois, c'est l'analyse de Schumpeter sur l'impact du progrès technique sur l 'économie d'un secteur qui peut expliquer cette baisse. Une invention ou une innovation va, après un petit temps de latence permettre une croissance exponentielle du secteur, qui pourra être prolongée grâce à des innovations complémentaires avant de subir un effet de tassement, et risquer d'être chassée par une autre innovation. Néanmoins, le progrès technique est à l'origine d'un processus de destruction créatrice. Le marché de la musique a bénéficié de l'invention du transistor qui a permis à chaque foyer de pouvoir s'offrir un poste de radio, mais surtout des tourne-disques. Au lieu d'attendre une diffusion, il devenait possible à tout un chacun d'acheter de la musique sur disque et de la consommer à la demande. Puis vinrent la cassette et le CD. Les acheteurs alors étaient tributaires d'un support industriel incopiable dans la qualité d'origine. Ce qui a permis une expansion sans précédent du secteur.
Avec l'avènement de l'informatique, il est devenu possible de copier ces oeuvres et de se passer de support. Néanmoins, la consommation de musique peut être quasi perpétuelle, entre radios et télévision pour qui il n'est pas possible d'acheter un original pour une écoute à la demande. Malgré tout, le temps de chacun n'est pas extensible, et la culture numérique (internet, jeux vidéos) prend de plus en plus d'espace temps, réduisant le temps passé pour d'autres secteurs de l'industrie des loisirs.
Le secteur de la musique serait-il alors condamné ? Oui et non. Oui, le marché industriel lié à la musique va reprendre un volume plus raisonnable. Mais non, il ne risque pas de disparaître, car il n'y a jamais eu autant de musique qu'aujourd'hui. Grâce aux technologies de l'informatique, il est devenu très facile pour chacun de créer sa musique, ses chansons et de se diffuser avec des moyens amateurs. Ce sont donc des millions de créations qui aujourd'hui circulent sur Internet, créations non recensées car non commerciales, avec des licences libres. Le buzz, un bouche à oreille amplifié par « la toile » permet d'opérer une sélection correspondant au goût du plus grand nombre tandis que des pépites peuvent chaque jour être découvertes. Mais l'art musical semble perdre de sa valeur pécuniaire. Enfin les artistes retrouvent le chemin de la scène, encore une fois pour que les spectateurs puissent ressentir pleinement l' « aura ».
A la différence des produits industriels classiques, qui à chaque génération sont renouvelés et qui tombent dans l'obsolescence (Qui porte des braies aujourd'hui ?), l'art quant à lui prend de plus en plus de place dans notre société où l'individu dispose de plus en plus de temps de loisirs, de consommation et de culture. Chacun des arts quant à lui se perpétue, malgré l'apparition de nouveaux, grâce à la conservation des oeuvres et des techniques associées, quand ces techniques, trop jalousement gardées, ne se sont pas bêtement perdues, et grâce à la passion de plus en plus d'hommes qui y sont sensibles et qui ont le loisir de s'y initier. La place de l'art dans le développement intellectuel comme pour le confort est telle qu'aucun ne peut disparaître vraiment tant qu'il correspondra à un besoin.
Le danger ne réside finalement que dans le dégoût que peuvent inspirer des oeuvres trop fades à force d'être répétées sans originalité et donc dans l'exploitation commerciale effrénée d'une oeuvre, ou d'oeuvres proches technologiquement, trop répliquées et trop diffusées aux dépens des autres. La survie de l'art dépend essentiellement de sa diversité et de toutes ses formes. Le 11° art ne sera vivant que si les dix niveaux précédents le restent. Mais l'art est-il dépendant de la marchandisation systématique comme au siècle dernier ? Cela n'est pas prouvé. Une société qui donne à chacun du temps libre et un moyen de gagner sa vie tout de même permet aussi une création en dehors du professionnalisme, avec laquelle il faudra compter aujourd'hui car elle se bat pour exister aux côtés des systèmes commerciaux et dispose des moyens techniques pour cela. C'est une révolution culturelle qu'il sera bien difficile d'étouffer car elle s'organise un peu plus chaque jour, sans pour autant souhaiter la disparition des systèmes classiques, à condition qu'eux aussi acceptent la cohabitation au lieu de prétendre poursuivre indéfiniment une croissance expansionniste et destructrice, comme n'importe quel secteur dit compétitif.
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