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La malédiction
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- Catégorie : SF et fantastique > Fantastique
- Date de publication sur Atramenta : 20 juillet 2015 à 16h57
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- Longueur : Environ 4 pages / 1 097 mots
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La malédiction
La malédiction
Ils n’eurent que le temps d’apercevoir une gerbe d’étoiles. Ils sentirent le sol vibrer et un grondement qui s’amplifiait sembla monter des entrailles de la terre. Et ils se jetèrent dans la poussière.
Au matin, leurs yeux étaient devenus gris.
Quelque chose avait changé. Quelque chose d’indéfinissable mais d’essentiel. Comme une touche de flou sur le contour des choses. Un soleil froid perçait hypocritement la brume, un soleil sans or, sans rayons. Plutôt une sphère de pierre pourpre, sans joie, comme un remords tardif. Et les hommes détournèrent leur regard de l’astre malade.
Les choses ne semblaient plus être que leur propre reflet. Et pourtant… Les fleuves serpentaient dans les vallées, l’océan frappait les falaises, les sommets des montagnes se perdaient dans les nues… C’est le charme qui était rompu, comme si le sourire des choses était figé.
Les êtres eux-mêmes étaient touchés par la malédiction et la grâce d’une femme, l’innocence d’un enfant ne faisaient plus briller les regards.
Et on s’habitua à la froideur.
L’un après l’autre, les musées nationaux fermèrent leurs portes et les araignées tissèrent des arantèles sur les chefs-d’œuvre piqués de moisissure et d’indifférence. Les châteaux les plus prestigieux se couvrirent du lierre de la mélancolie et la poussière se déposa lascivement sur les boiseries. Et les théâtres, les salles de spectacles donnèrent honteusement leurs dernières représentations sous l’œil désabusé de quelques désœuvrés charitables.
Et l’art agonisait, feuilles mortes balayées par le vent du quotidien.
Et l’on s’habitua au morne de la vie.
C’est alors qu’on vit les prophètes sortir de leurs tanières et harceler la foule de leurs sentencieuses imprécations. « Une fois encore, nous avons offensé le Ciel ! Dans le passé, il nous envoya les plaies d’Egypte, le déluge ; il détruisit Ninive l’assyrienne et Gomorrhe l’impure. A chaque fois, notre repentir fut éphémère et nous relevâmes le front avec insolence. Aujourd’hui, il nous frappe plus effroyablement et de façon irrémédiable. Il a tué la Beauté ! Il a glacé le sourire des choses ! »
Et les diseurs d’Apocalypses, pénitents noirs et arrogants, prirent la route pour prêcher la mauvaise nouvelle.
Et l’on en vint à penser que si la Beauté était morte, l’homme ne lui survivrait que de quelques saisons.
Du coup, on réagit. Les musées, qui depuis de longs mois n’étaient plus hantés que par la figure famélique d’un conservateur fataliste, furent pris d’assaut dès potron-minet par une foule consciente d’accomplir un devoir sacré. Le Prado, le Louvre, le British Muséum connurent des records d’affluence. Les monuments publics, restaurés en grande hâte, se virent l’objet d’une curiosité inespérée. Une foule poussiéreuse d’une érudition surannée envahit les théâtres, les salles de concerts qui durent improviser des spectacles grossièrement charpentés. On réédita à la hâte des œuvres jadis vouées à l’immortalité et depuis tombées dans la fosse commune de l’oubli. Et des étoiles ternies retrouvèrent leur place au firmament : Shakespeare et Molière, Cervantès et Rabelais, Goethe et Chateaubriand…
Les étudiants s’inscrivirent en masse dans les conservatoires, les écoles des Beaux-Arts et on vit dans les rues des peintres sans renom, des musiciens sans gloire.
Ce furent des jours d’extase.
L’heure était à l’admiration. On louait le faire du maître, le génie du virtuose, l’imagination du poète. Un océan de dithyrambes se déversait sans nuance sur tout ce qui émanait de la plume, du pinceau ou de l’âme du violon. Le moindre barbouilleur était un Michel-Ange, le moindre rimailleur un Pindare, un Virgile. Les médias se lancèrent dans la croisade. Aux heures de grande écoute se succédaient émissions littéraires ou artistiques. Des revues poétiques que plus personne ne lisait depuis longtemps, et que d’ailleurs plus personne ne songeait à publier, renaquirent de leurs cendres à la grande satisfaction d’un vaste public de néophytes acharnés. Les couloirs du métro se couvrirent de reproductions de Picasso, de Goya, de Rembrandt. Et sur les pelouses stupéfaites s’érigèrent à la hâte de fausses statues grecques et des dieux de carton. Et les érudits commentaient savamment les œuvres éternelles. Et le badaud s’enivrait de formules éclatantes. Il regardait le Beau comme on regarde Dieu. Avec foi et espoir. Mais sans comprendre.
Ce furent des jours de folie où l’humanité suppliante lança ses appels les plus désespérés. Une religion était née dont le Beau était Dieu et l’Art une prière. Elle eut bien sûr ses prêtres : prêtres froids, prêtres sans enthousiasme, techniciens de marbre, analystes de la forme, compilateurs en ronde-bosse, dénicheurs de structures, décrypteurs de phylactères, tisseurs d’exégèses, silhouettes dérisoires levant leurs bras sans amour vers le néant.
Et le Beau se dérobait au regard des humains.
L’enthousiasme fit place à la révolte. Des poings comminatoires se tendirent vers les ciels des cathédrales, tandis que de mille poitrines montait une rumeur incendiaire : « Le Beau n’existe pas ! »
Et dans l’immobilité sépulcrale du temps, accrochés à leurs perchoirs gothiques, les diables de pierre s’interrogent perplexes. Et dans les cryptes indignées, se dressent les gisants de marbre. Et des guerriers équestres sautent de leur monture. Et la Joconde, usée, abandonne la pose. Et les fruits de Cézanne pourrissent sur la table. Les danseurs de Lautrec se figent en silence et l’inlassable Bach se tait de confusion.
Sur la dune océane, le poète mêle sa voix à la rumeur du vent… « Le Beau est mort ? A qui la faute ? Qu’est l’objet sans le mot ? Qu’est le mot sans l’idée ? C’est l’homme qui est mort. Sans lui, la Venus devient pierre, et l’opéra n’est pas moins bruit que le bruit du torrent. Le Beau, c’est l’homme. C’est la rencontre harmonieuse entre un objet qui s’épanouit et une conscience qui l’éclaire. C’est un certain regard posé sur les choses et qui va au-delà des choses. Un regard qui voit l’arbre dans l’écorce, qui voit l’âme dans le corps. Le Beau est mort, dites-vous ? A qui la faute ? »
Et les hommes, honteux, baissaient leurs yeux de nuit.
Et plus loin, bien plus loin, là où le ciel ressemble à du cristal, un enfant solitaire embrase le soleil de ses yeux de lumière.
Et le torrent devient musique.
Et la pierre devient statue.
Et le silence devient poésie.
Et moi…
Je ne suis pas très sûr de n’être pas devenu beau.
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