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La confession de Claude
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- Catégorie : Littérature générale > Romans
- Date de publication sur Atramenta : 10 mars 2011 à 13h29
- Dernière modification : 20 juillet 2014 à 9h59
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- Longueur : Environ 155 pages / 53 650 mots
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La confession de Claude
XV
Nous mangeons au jour le jour, vendant de vieux livres ou quelques haillons. Ma misère est telle que je n’en ai plus conscience, et que je m’endors le soir presque satisfait, lorsqu’il me reste une vingtaine de sous pour les deux repas du lendemain.
Je suis allé dans plusieurs administrations solliciter une place. On m’a reçu fort brusquement ; j’ai cru comprendre que j’avais le tort d’être pauvrement mis.
J’écris mal, dit-on ; je ne suis bon à rien. Je les crois sur parole, et je me retire, honteux d’avoir eu un instant la pensée de voler l’argent de ces honnêtes gens, en mettant à leur service mon intelligence et ma volonté.
Je ne suis bon à rien, telle est la vérité que j’ai retirée de mes démarches. Je ne suis bon à rien, si ce n’est à souffrir, à sangloter, à pleurer ma jeunesse et mon cœur. Ainsi, me voilà seul au monde, repoussé et misérable, n’osant mendier et me sentant plus affamé que le pauvre qui tend la main. Je suis venu, bercé en un songe de gloire et de fortune ; je m’éveille en pleine boue, en pleine détresse.
Heureusement, le Ciel est doux et bon. Il y a dans la misère une sorte d’ivresse lourde, une somnolence voluptueuse qui endort la conscience, la chair et l’esprit. Je ne sens pas nettement mon degré d’indigence et d’infamie ; je souffre peu, je sommeille dans ma faim, je me vautre dans mon oisiveté.
Voici quelle est ma vie.
Le matin, je me lève tard. Les matinées sont brumeuses, froides, blafardes ; le jour entre, gris et triste, par la fenêtre sans rideaux ; il se traîne mélancoliquement sur les carreaux et sur les murs. J’ai une sensation de bien-être à sentir la chaleur tiède des vêtements que j’entasse sur le lit. Laurence dort à mon côté d’un sommeil de plomb, la face renversée et muette. Moi, les yeux ouverts, le drap au menton, je regarde le plafond noir que traverse une longue crevasse. Je tombe en extase devant cette crevasse ; je l’étudie, j’en suis amoureusement, du regard, les lignes brisées ; je la contemple des heures entières, sans songer à rien.
C’est là le meilleur instant de la journée. J’ai chaud et je dors à moitié. La chair est contente, l’esprit court mollement dans ce beau pays du demi-sommeil, où la vie a toutes les voluptés de la mort. Puis parfois, lorsque je suis complètement éveillé, je m’abandonne au bras de quelque songe. Frères, que mon pauvre cœur doit être enfant, pour que je puisse encore lui mentir ! Eh ! oui, je rêve toujours, j’ai toujours cette puissance étrange d’échapper à la réalité, de créer, de toutes pièces, un monde et des êtres meilleurs. Là, entre deux draps sales, au côté d’une femme laide et honteuse dans son écrasement, au milieu d’une chambre obscure, je vois souvent de mes yeux un palais, tout marbre et tout argent, une amante blanche, lumineuse, qui me tend les bras, m’appelle à sa droite sur la couche de soie où elle repose.
Onze heures sonnent, je saute du lit. Le froid humide des carreaux, qui me glace brusquement la plante des pieds, me tire de mon rêve. Je me sens grelotter, je me couvre à la hâte. Puis je marche dans la chambre, allant de la fenêtre à la porte, jetant un coup d’oeil sur la muraille qui est tout mon horizon, et revenant regarder Laurence sans la voir. Je fume, je bâille, j’essaie de lire. J’ai froid et je m’ennuie.
Laurence s’éveille. Alors, commencent les souffrances. Il faut manger. Nous tenons conseil. Nous cherchons par la chambre quelque objet à vendre.
Souvent nous renonçons à déjeuner, quand le problème est trop difficile à résoudre, et tout est dit. Lorsque nous avons trouvé un vieux chiffon, du papier, n’importe quoi, Laurence s’habille et va offrir la déplorable marchandise à un revendeur qui lui donne huit ou dix sous. Elle rapporte du pain et un peu de charcuterie que nous mangeons debout, sans nous parler.
Les journées sont longues pour les misérables.
Quand il fait trop froid et que nous n’avons pas de feu, nous nous recouchons. Lorsque le temps est plus doux, j’essaie de travailler, me donnant la fièvre à vouloir faire une besogne qui ne veut plus de moi.
Laurence se renverse sur le lit ou se promène à pas lents. Elle traîne sa robe de soie bleue qui semble pleurer en se froissant aux meubles. Cette guenille est toute jaune de graisse, toute déchirée, craquée aux coutures, usée aux plis. Laurence la laisse se pourrir et tomber en loques, sans la nettoyer ni la raccommoder.
Elle la met dès le matin, n’ayant qu’elle, et elle se promène ainsi le jour entier dans cette chambre misérable, les cheveux dénoués, portant une robe de bal largement décolletée, qui montre son dos et sa gorge. Et cette robe, cette soie douce d’un bleu pâle, qui brille encore par endroits, est un haillon infâme, tordu, fané, lamentable. Il y a je ne sais quelle angoisse poignante à voir ces lambeaux d’un riche tissu, ce luxe traîné dans la misère, ces épaules nues rougies par le froid.
Toujours je me rappellerai Laurence marchant ainsi vêtue dans le bouge de mes vingt ans.
Le soir, la question du pain revient terrible et pressante. Nous mangeons ou nous ne mangeons pas.
Puis nous nous couchons, las et endormis. Le lendemain, la vie recommence, pareille, plus cuisante et plus âpre chaque jour.
Je ne sors plus depuis une semaine. Un soir — nous n’avions pas mangé la veille — j’ai ôté mon paletot sur la place du Panthéon, et Laurence a été le vendre. Il gelait. Je suis rentré en courant, suant à grosses gouttes de peur et de souffrance. Deux jours après, mon pantalon a suivi le paletot. Me voici nu. Je m’enveloppe dans une couverture, je me couvre comme je puis, et je prends ainsi le plus d’exercice possible, pour ne pas laisser se roidir mes jointures. Lorsqu’on vient me voir, je me couche, je prétends être un peu indisposé.
Laurence paraît souffrir moins que moi. Elle n’a pas de révolte, elle ne tente pas de se soustraire à l’existence que nous menons. Je ne puis m’expliquer cette femme. Elle accepte tranquillement ma misère.
Est-ce dévouement, est-ce nécessité ?
Moi, frères, je vous l’ai dit, je suis bien, je m’endors. Je sens mon être se fondre, je me laisse aller à cette prostration douce des mourants, qui demandent pitié d’une voix faible et caressante. Je n’ai aucun désir, si ce n’est de manger plus souvent. Je voudrais aussi être plaint, être caressé, être aimé. J’ai besoin d’un cœur.
Table des matières
- Émile Zola (1840-1902) Env. 8 pages / 2382 mots
- À mes amis P. Cézanne et J.-B. Baille. Env. 2 pages / 573 mots
- I Env. 4 pages / 1146 mots
- II Env. 3 pages / 831 mots
- III Env. 2 pages / 433 mots
- IV Env. 6 pages / 1806 mots
- V Env. 4 pages / 1118 mots
- VI Env. 2 pages / 403 mots
- VII Env. 5 pages / 1646 mots
- VIII Env. 1 page / 259 mots
- IX Env. 4 pages / 1170 mots
- X Env. 4 pages / 1235 mots
- XI Env. 9 pages / 2979 mots
- XII Env. 6 pages / 1927 mots
- XIII Env. 3 pages / 917 mots
- XIV Env. 9 pages / 2887 mots
- XV Env. 4 pages / 1164 mots
- XVI Env. 1 page / 182 mots
- XVII Env. 1 page / 36 mots
- XVIII Env. 6 pages / 1852 mots
- XIX Env. 6 pages / 1859 mots
- XX Env. 7 pages / 2164 mots
- XXI Env. 12 pages / 3913 mots
- XXII Env. 5 pages / 1606 mots
- XXIII Env. 5 pages / 1612 mots
- XXIV Env. 14 pages / 4584 mots
- XXV Env. 13 pages / 4533 mots
- XXVI Env. 2 pages / 638 mots
- XXVII Env. 4 pages / 1195 mots
- XXVIII Env. 10 pages / 3152 mots
- XXIX Env. 9 pages / 2920 mots
- XXX Env. 2 pages / 528 mots
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