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La belle illusion
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- Catégorie : Littérature générale > Romans
- Date de publication sur Atramenta : 13 juillet 2020 à 15h30
- Dernière modification : 20 janvier 2021 à 18h24
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- Longueur : Environ 166 pages / 56 878 mots
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La belle illusion
Le jour où plus rien ne sera pareil
Le jour où plus rien ne sera pareil. Cela doit arriver à beaucoup d’entre nous, mais quand cela ne nous concerne pas, on n’y pense pas, on s’imagine que les jours vont se succéder indéfiniment et que si le bonheur est là, il va demeurer pour toujours. On aimerait préserver ce degré de stabilité surtout quand les choses ne tournent pas trop mal, ce qui était le cas pour moi depuis quelques mois. Je remontais doucement la pente avec l’espoir d’en atteindre enfin le sommet. Mais ce n’est pas comme ça que ça marche ! Le monde est dur et gare à celui qui n’y est pas préparé ! Au réveil tout se déroulait normalement. J’étais réveillé comme d’habitude, j’ai déjeuné comme d’habitude et comme d’habitude, je suis parti me promener. C’était une belle matinée d’Avril, la luminosité était intense avec le reflet du soleil dans l’eau. La température était clémente, je ressentais la douceur de la chaleur à travers mon survêtement. Quelques discrets nuages étaient en formations mais rien qui semblait vouloir venir perturber cette belle journée. J’étais encore loin d’imaginer ce que le destin allait encore m’affliger. Cela ne faisait pas très longtemps que j’étais rentrer. Je lisais le journal quand à 11h 27 ; je me souviens de l’heure précisément, j’ai une horloge en face de mon téléphone et j’ai l’impression qu’à ce moment-là, le temps s’est arrêté. J’aurai voulu ne pas répondre, faire comme si ce coup de fil n’avait jamais existé mais je ne pouvais pas me dérober. Une voix grave que je ne connaissais pas me demanda ;
- Mr Girard ?
- Oui
- Vous êtes bien le fils de Mme Girard Chantal ?
- Oui, oui c’est bien moi, pourquoi ?
A ce moment là, j’étais encore loin d’imaginer la suite, d’ailleurs je ne pensais encore à rien, comme si mon cerveau voulait créer le vide pour n’avoir rien à entendre et se protéger de ce qu’on pouvait lui annoncer. Après avoir eu confirmation de mon identité, il m’annonça que maman avait eu un grave problème de santé et qu’elle avait été transférée en urgence sur l’hôpital de Besançon. C’est Lisa qui avait contacté les secours, elle dormait ce jour-là chez maman. Cela lui arrivait de temps en temps pour éviter de la laisser tous les jours seule à la maison. Rapidement je me suis changé et j’ai pris le bus. Je ne me souviens plus du trajet, j’avais l’impression de ne pas vivre cet instant présent, d’être extérieur à moi-même. Je voyais les autres comme les images d’un mauvais film que vous ne voulez pas regarder et encore moins pour lequel vous voulez participer. Quand je suis arrivé aux urgences, j’étais encore tout abasourdis, je ne réalisais toujours pas ce qui se passait, j’étais pas sûr d’avoir bien entendu. Au téléphone, le médecin de la régulation n’avait pas voulu m’en dire plus. Lisa se trouvait déjà aux urgences avec Jean. Quand je suis arrivé elle était en pleurs. Je ne voulais encore pas imaginez le pire. C’est Lisa qui a voulu m’annoncer la nouvelle ; une toute petite phrase, trois petits mots. Trois petits mots qui suffisent à faire basculer une vie, toute la vie d’une famille ;
Maman est morte .
Je crois bien que sur le coup, je n’ai eu aucune réaction, j’étais comme pétrifié par l’incohérence de ce que je venais d’entendre. Nous étions chez elle encore tous ensemble il y à peine deux jours. Elle n’avait donné aucuns signes d’un quelconque problème de santé. Je l’avais eu au téléphone avant hier soir. Elle aimait me téléphoner presque tous les jours depuis ma convalescence, pour vérifier je pense, que tout allait bien. Après une courte conversation et quelques banalités échangées, on s’était dit au revoir et souhaité bonne soirée. Je ne savais pas à ce moment-là, que ce serait nos derniers mots. Si j’avais su, j’aurais aimé lui dire combien elle comptait pour moi, combien elle m’avait donné, combien je l’aimais. Je n’ai jamais pu lui dire tout ça, il y a des sentiments que j’ai du mal à exprimer. Bien souvent mon cœur ne demande qu’à le dire, mais rien ne sort de ma bouche. Il y a quelque chose qui bloque et je ne sais pas pourquoi ? C’est terrible d’avoir le sentiment de ne pas avoir pu dire adieu à une personne qu’on aime, à maman. Je n’ai pas eu le temps de me préparer à l’éventualité de la voir partir, comme ça, si rapidement. Aussi brutal que le diagnostic donné par le médecin ; mort subite dû à une rupture d’anévrisme. Je m’étais persuadé que je partirais le premier, même si cela lui aurait brisé le cœur. Oui c’est égoïste, mais j’aurais préféré ça. Et là, il fallait gérer son absence que je vivais déjà comme une injustice. Un châtiment de Dieu pour me punir. Mais me punir de quoi ? J’avais déjà tellement perdu et voilà qu’il m’enlevait l’être le plus cher qu’il me restait avec Lisa. Pour Lisa, ce n’était pas tout à fait pareil, elle n’avait besoin de personne. Elle avait toujours su gérer tous les obstacles qui se présentait à elle, contrairement à moi. La personne forte de la famille, c’est elle ! Pour les obsèques, j’étais bien incapable de m’occuper de quoi que ce soit. C’est elle qui a contacté l’ex-mari de maman et sa grande sœur Marthe. Il ne lui restait plus qu’elle comme famille proche. L’oncle Claude était mort tragiquement il y quelques années en allant faire son bois. Une branche d’arbre lui était tombé bêtement dessus en voulant l’abattre. Triste sort, pourtant ce n’était pas un débutant. Cela faisait plus de quarante ans qu’il allait faire ses affouages tous les ans. Il avait commencé avec grand père quand il était enfant. Quand le sort décide de s’acharner contre vous, il n’y a rien à faire. La faucheuse semble désigner chaque jour son nombre de candidats et quand c’est l’heure, rien ne peut faire reculer l’échéance. Je pense que cet accident, même si elle n’en parlait jamais, avait profondément affecté maman. D’ailleurs en n’y repensant, c’était à peu près à cette période-là, qu’elle a commencé à beaucoup déprimer. La séparation plus cette mort brutale cela faisait beaucoup. Dans ces années-là, j’étais tellement accaparé par mon ami Jack, que je n’avais pas conscience de tout ce qui se jouait. C’était après ma rupture avec Laurence, bien trop centré sur mon propre malheur pour me soucier de toutes autres personnes. Je ne m’étais même pas rendu aux obsèques, j’en n’étais sûrement bien incapable. Maman ne me l’a jamais reproché, ni même fait la moindre remarque.
Le jour de l’enterrement, fut je crois un des pires jours que j’ai eu à vivre. J’avais tellement pleuré que je me sentais vidé, à sec. Quel triste paradoxe pour un alcoolique, ça y est, je peux le dire librement. Il aura fallu que ce soit ce jour-là, pour que je puisse enfin l’assumer, me libérer de ce poids comme si cela n’avait plus d’importance. La cérémonie à l’église fût interminable, j’ai cru que j’allais m’effondrer à plusieurs reprises. Heureusement qu’il y avait la présence réconfortante de Lisa et Jean. A côté se tenait tante Marthe, son fils Jacques et sa grande sœur Lucie, les seules personnes qui me semblaient réellement proches. J’avais gardé beaucoup d’affection pour Jacques, même si on ne se voyait plus depuis longtemps. Il vivait sur Paris et travaillait à la SNCF où il avait passé le concours pour être cadre. Contrairement à moi, il avait fini par bien réussir ses études et trouver une belle situation. Il était là avec sa femme et ses deux filles de cinq et trois ans. Ça me faisait très plaisir qu’il ait pris la peine de venir après tous nos beaux souvenirs d’enfance. Il y avait aussi son père, Georges. Je ne l’aime pas, il est bourru, vulgaire. C’est un homme violent qui ne se gêne pas pour tromper sa femme et en plus, sans la moindre discrétion, comme pour un peu plus humilier tante Marthe. Jacques m’avait dit une fois enfant, qu’il le frappait et qu’il faisait de même avec sa mère. Maman ne l’appréciait pas non plus. Je pense que c’est pour cela que maman et Tante Marthe ne se voyaient pas plus souvent. Tante Marthe était de cette génération de femme prête à toute accepter, pour garder l’illusion d’une unité familiale, quitte à se sacrifier.
Cousine Lucie avait été comme ma grande sœur. Elle était tout le contraire de son père, très douce et prévenante. Je me souviens qu’elle m’emmenait à l’école avec Jacques. En chemin parfois quand elle avait quelques centimes, nous nous arrêtions à la petite épicerie de la mère Yolande ; le yoyo qu’on l’appelait, tellement elle semblait vieille et désarticulée. Je me souviens très bien qu’elle nous achetait généreusement quelques friandises, qui étaient à nos yeux comme un véritable petit trésor. Mes préférés étaient les carambars au caramel mais il y avait aussi le super chewing-gum malabar, le bâton de réglisse, les sucettes aux fruits et j’en passe. Ces petits instants de bonheur sont restés gravés dans ma mémoire et je le dois à Lucie. Nous n’avions pas comme aujourd’hui à disposition tous les bonbons que nous souhaitions. Ils étaient rares et nous les savourions le plus lentement que nous pouvions, pour faire durer ce moment aussi longtemps que possible. On a partagé tous nos jeux d’enfants comme les parties de loup, de cachette, de marelle, de billes … Elle nous aidait aussi à faire nos cabanes dans les bois et couvraient nos bêtises quand elle le pouvait. Elle était toujours aussi jolie ; enfant j’en n’étais amoureux. Un de mes premiers amour d’enfant, cet amour pur et innocent qui nous fait croire que tout est possible, que tout est beau. Elle était mariée à un agriculteur du coin et avait un garçon de huit ans. Je ne connaissais pas son mari, il avait la réputation d’être pas très sociable. Si c’était le cas, j’avais du mal à les imaginer ensemble et pourtant, la vie est parfois curieuse. C’est peut-être elle que j’aurais dû épouser, si nous n’avions pas été cousin.
Il y avait aussi mes trois autres cousins dans le rang derrière, les enfants de Claude ; les deux garçons, pierre, jean Luc et la fille Julie. Je n’avais pas tellement d’affinité avec eux. Non pas que je ne les aimais pas, mais je les avais peu connus. Mon Oncle Claude et ma Tante Louise habitaient en Alsace et on ne les voyaient que deux ou trois fois dans l’année. En plus ils étaient tous plus âgés que moi et avions partagés peu de chose ensemble. Je me souviens quand même de quelques parties de Monopoli qui finissaient souvent en disputes. J’étais étonné qu’ils soient tous là, à l’exception de tante Louise. Apparemment elle ne s’était jamais remise du décès d’Oncle Claude et son état de santé était fragile.
L’ex-mari de maman était là aussi. Je me demandais bien pourquoi. Je pense que c’est Lisa qui l’avait appelé. Elle gardait des contacts avec lui. Elle semblait lui avoir pardonné ce que je ne pourrais jamais faire. Il avait quand même eu la décence de venir seul ! Même ce jour-là, je n’ai pas pu lui parler, faire semblant que nous étions réconciliés. Je l’ai tout bonnement ignoré et il a eu l’intelligence, j’en conviens, de ne pas insister. Puis il y avait une grande partie de la population du village, ses collègues de travail et ses deux meilleures amies, Martine et Françoise. Elles étaient allées à l’école ensemble, certainement partagés les premiers flirts, les premiers amours ainsi que certains obstacles de la vie. Elles ont eu une belle amitié et maintenant, elles l’accompagnaient dans sa dernière demeure. La mise en bière fut l’épreuve la plus dure. Je devais être livide, ressembler moi-même à un cadavre en sursis. J’avais l’impression que mon corps était encore là, mais que mon esprit s’en était allé. Des personnes venaient me présenter leurs condoléances mais j’étais absent. J’étais le vent qui jouait entre les tombes pour fuir, m’éclipser le plus loin possible. J’étais aussi cette petite hirondelle, qui regagnais son nid pour donner la vie et sûrement pas, finir dans un trou. Et puis il y a quelque chose ou plutôt quelqu’un, qui m’a fait revenir dans ce monde. C’était bien elle, c’était Laurence, qui s’approchait de moi. Elle était toujours aussi belle. Ces traits de visage n’avaient pas changé comme sa silhouette d’ailleurs. Elle s’était approché lentement de moi, avait dit les quelques mots de circonstances que l’on dit dans ces cas-là ;
-Toutes mes condoléance Marc ; puis m’a fait la bise et s’en est allée.
Je n’ai pu dire que merci. Je n’ai pas bien réalisé sur le coup qu’elle était bien réelle mais j’ai senti la chaleur de son corps, tout proche de moi et à la fois si lointain et inaccessible comme se sommet de montagne à porter de main mais qu’on ne peut atteindre. Elle avait toujours le même parfum, Angel, si enivrant et envoûtant. Il me rappelait l’espace d’un trop court instant, d’autres circonstances bien plus intimes. Le temps de comprendre que ce moment n’était pas imaginaire, qu’elle s’en était déjà allée. Elle me tournait le dos, j’aurai aimé l’appeler, la retenir délicatement d’une voix douce, qu’elle se retourne, qu’on se sourit, qu’elle revienne … mais rien de tout cela n’est arrivé. Je l’ai vu partir avec ses beaux cheveux blonds, qu’elle avait attaché d’un beau chignon, ses belles courbes et sa marche légèrement déhanchée, qui semblait me narguer, pour mieux me faire regretter ce que j’avais à tout jamais perdu.
C’est la dernière fois que je l’ai vu en dehors de mes rêves. Les jours après, j’ai essayé de l’appeler dans un dernier acte désespéré, pour m’accrocher à une branche saine de ma vie. Malheureusement, le numéro que je possédais n’était plus attribué. J’ai essayé de retrouver son numéro dans l’annuaire mais je ne connaissais pas son nom de femme. Je n’avais jamais eu la curiosité de lui demander le nom de son petit ami. Les seules personnes qui auraient pu m’aider, étaient ses parents mais vous imaginez bien qu’il m’était impossible de leur demander.
Ma sœur m’a dit plus tard, qu’elle avait entendu dire qu’elle avait déménagé sur Dijon et qu’elle travaillait bien comme infirmière en libérale. Elle avait réalisé son projet d’avoir un cabinet et avait une petite fille qui devait avoir aux alentours de quatre ans. Je ne pouvais pas m’empêcher d’avoir mal au bide en y pensant.C’est moi qui devait avoir cet enfant avec elle. Au lieu de cela, un usurpateur ne s’était pas gêné pour prendre ma place. Puis depuis quelque temps un doute m’assaillait, il se faisait de plus en plus insistant, de plus en plus fort. Elle avait l’âge qui concordait à la période de notre liaison. Et si elle était de moi ? Et si le soir où elle m’a appelé avec son ton grave que je lui connaissais chaque fois qu’elle avait quelque chose de très important à me dire, elle voulait me parler de ça, me dire qu’elle était enceinte ! Le lendemain, j’ai bien ressenti qu’elle ne m’avait pas tout dit mais si vous vous souvenez bien, je n’étais pas très lucide ce soir-là pour faire face à tout ça. Non je ne pense pas que je délirais mais je n’avais aucune certitude. J’aurais dû me battre, chercher à savoir la vérité, au lieu de laisser ce doute grandir et venir me torturer chaque jour un peu plus. J’aurai voulu être dans ce film, un jour sans fin et revivre indéfiniment le moment où on est sortie pour la première fois ensemble. Je crois, non je suis sûr, que c’était le plus beau jour de ma vie. Réaliser qu’une fille comme Laurence puisse s’intéresser à moi, était alors inenvisageable. J’avais l’impression que c’était un rêve que j’ai vite transformé par la suite en cauchemars. Je voudrais juste m’arrêter à ce bel instant ou alors changer la suite. Mais changer quoi et comment ? Je semble avoir ce don très particulier de tout rater et voir partir toutes les personnes que j’aime. Il n’y a que Jack que je n’arrivais pas à faire fuir et ces derniers jours, il redevenait de plus en plus présent dans ma tête. Je savais que je n’avais pas la force ou l’envie de le rejeter encore bien longtemps.
Après le décès de Maman, Lisa et Jean ont bien essayé de me soutenir du mieux qu’ils ont pu. Ils ont continué à m’inviter, à venir me voir. J’y suis allé au début mais rapidement j’ai abandonné. Jean essaya de continuer à me motiver pour jouer au Tennis, mais un ressort au fond de moi c’était cassé. J’avais plus la force, j’étais vidé, autant physiquement que moralement. J’étais ce fantôme errant, perdu, recherchant la lumière pour retrouver son chemin. J’ai abandonné et arrêté rapidement mon suivi avec le psychiatre au grand désespoir de Lisa. Il m’a fallu à peine une semaine pour de nouveau partager ma vie avec Jack. Au début, j’allais au café pour passer du temps avec lui, voir des personnes inconnues, peu importe cela me faisait du bien. Les regarder s’illuminer par leur énergie de vie, rejaillissait un peu sur moi. Je ne supportais toujours pas la solitude même si elle, elle m’aimait bien et s’accrochait fortement à moi. J’avais comme ça l’impression moi aussi de voir du monde et en plus, personne ne s’opposait à ma relation avec Jack. Rapidement, il est redevenu de plus en plus présent et les quantités devinrent de nouveau vite importante. Je n’avais plus les moyens financiers d’aller au café et d’y rester de longues journées. Les patrons de toute façon me tolérait qu’un certain temps. Ils finissaient par ne plus me supporter. Un ivrogne fait vite tâche au milieu des gens « biens ». Ils croyaient quoi, que je n’avais pas été comme eux, que j’étais né épave, qu’on m’avait lobotomisé et que j’étais incapable de voir le mépris qu’on me lançait parfois. Ah si Laurence pouvait venir s’asseoir à côté de moi, j’aimerais bien voir la tête que ferait tous ces cons !
Je m’enfermais des journées entières dans mon appartement à boire et j’essayais tant bien que mal, de continuer à survivre. Lisa m’avait prévenu ; elle n’hésiterait pas à me faire enfermer dans un service de psychiatrie si cela s’avérait nécessaire. Je ne lui en voulais pas de réagir comme ça, elle voulait m’aider mais le pouvait-elle encore ? Au fil des semaines, je m’isolais de plus en plus dans un monde imaginaire ou dans mon passé beaucoup plus rassurant que le présent ou l’avenir. Je me revoyais au CP avec ma toute première petite copine. Elle s’appelait Sophie, elle était dans la même classe que moi. Elle avait de longs cheveux blonds vénitien, souvent attachés avec des couettes. Des petites tâches de rousseurs sur tout le visage, qui lui donnait un petit air espiègle, ce qu’elle était d’ailleurs. Elle était très bonne élève et je ne me privais pas, parfois, de copier sur elle. Cela l’agaçait mais elle finissait toujours par me laisser guetter sa copie. On se retrouvait souvent à la récréation ; on partageait notre goûter, on se donnait des bonbons et quand on pouvait, on jouait ensemble. Enfin, quand les autres garçons nous laissaient tranquille, car souvent on avait droit aux éternels ricanements « oh les amoureux, oh les amoureux… », ce qui avait le don de m’énerver et je cédais alors au code de rigueur de l’époque ; les garçons avec les garçons, les filles avec les filles ! Les garçons jouaient aux billes, aux gendarmes et aux voleurs, au foot quand la maîtresse le permettait, à la balle au camp où certaines filles étaient autorisées à jouer avec nous. Sinon elles jouaient à la corde à sauter, à la marelle, à l’élastique… et par moment, certaines venaient nous ennuyer. Sophie faisait partie de cette catégorie. Elle aimait bien bousculer l’ordre établi et le faire savoir et cela pouvait tourner en chamaillerie surtout avec Victor, qui était le plus virulent des garçons. A la fin des cours, quand sa mère ne venait pas la chercher, on faisait ensemble le petit bout de route qui la ramenait chez elle. Elle habitait juste après la ferme du Marcel, à peine à 600 mètres de l’école. Je ne me souviens plus du contenu de nos conversations mais je me rappel très bien qu’elle était très bavarde et j’ai encore son visage et son sourire lumineux en mémoire. A la rentrée précédente, ma déception fût grande de ne plus la voir, elle n’était plus là. Ces parents avaient déménagé et je ne l’ai plus jamais revu. Personne ne m’avait prévenu. Cela m’avait bien interpellé, de voir les volets de chez elle fermés 15 jours avant la rentrée, mais je m’étais imaginé qu’elle était repartie en vacances. Cela était semble-t-il, la première séparation brutale de ma jeune vie.
Maman et papa poursuivaient le parfait amour et nous continuions à former la petite famille idéale. Papa était toujours très occupé par son travail la semaine mais le week-end il était là. Il aimait nous emmener à la pêche en été et j’adorais ces moment-là. Les repas autour d’un pique-nique, les moments où maman nous racontait une histoire, les explorations pédestres à la campagne, où nous faisions parfois la rencontre avec de drôles d’insectes comme le scarabée. Il m’intriguait ; j’avais l’impression qu’il sortait tout droit de l’ère des dinosaures et par je ne sais quel mystère, il avait rétréci. Il me faisait pensé au Tricératops avec son allure massif, trapu et ses cornes sur la tête.
Même si j’étais effrayé à l’idée de devoir toucher un poisson, je savais que papa se chargerais de le faire à ma place. Ça me rassurait. Plus que pêcher moi-même, j’aimais bien le regarder et j’étais fier quand il en prenait un. J’étais persuadé qu’il était le meilleur pêcheur du monde et comme beaucoup d’enfant, je pense ; le meilleur papa !
Pendant mon enfance, Jacques et sa sœur Lucie étaient mes meilleurs amis, voir comme un frère et une sœur. Pendant l’été nous passions une grande partie de nos vacances dehors. On jouait à la guerre, on faisait du vélo, on allait se baigner dans la petite rivière à l’entrée du village et surtout, on passait notre temps dans la forêt toute proche à construire des cabanes. Ça nous demandait beaucoup d’énergie mais nous mettions beaucoup de cœur à l’ouvrage. Je me souviens de nos petites expéditions pour nous rendre à la petite bergerie située à un kilomètre du village après le cimetière. Nous les préparions avec minutie, pour aller chercher ou plutôt chaparder un peu de ficelles ce qui nous aidait à les construire. Lucie faisait le guet, pendant que moi et Jacques rentrions par l’arrière de la bergerie. Il y avait de la place pour permettre à un petit enfant de se glisser entre deux blanches. On jubilait quand on revenait avec notre butin ; nous avions l’impression d’avoir réalisé un véritable exploit. On a eu la chance de ne jamais se faire prendre, ce qui nous laissait penser qu’on était très doués. Mais la menace était ailleurs. On devait faire attention aux deux garçons de l’agriculteur du village, un peu plus âgés que nous, qui se faisait un malin plaisir de venir nous les détruire. Le jeu consistait à ce qu’ils ne les découvrent pas. Quand cela arrivait, nous passions alors à l’étape des représailles, on allait marauder des fruits dans leurs vergers, lancer quelques pierres contre leur hangar …Nous nous sentions dans notre bon droit, dans un bon western spaghetti nous aurions été les bons et eux les méchants. Leur exploitation agricole comptait une multitudes d’arbres fruitiers dispersés sur tout le domaine villageois ; c’était le paradis des fruits, on y trouvait des pommes, des cerises, des prunes, des mirabelles et quelques poires qu’ils distillaient. Certaines poires étaient misent à l’intérieur de bouteille en verre avant que la fruit ne soit formé et le dispositif était soigneusement fixé à l’arbre. On se faisait un malin plaisir d’essayer de les casser avec des cailloux, on en faisait même un jeu, à celui qui arrivait à en casser le plus. Vous me direz que pour les gentils de l’histoire c’était pas très sympa, mais ne l’avait-il pas cherché ? Gare s’ils nous apercevaient. Dans ce cas-là, nous n’avions pas d’autres recours que d’appliquer notre plan favori ; le repli stratégique qui se résumait, à sauve qui peut. Il y avait aussi les batailles de cailloux pour les laisser à distance et gare à celui qui en prenait un. Par chance nous étions tous pas très adroit, sauf la fois où Jacques en a pris un derrière la tête avec un beau petit trou qui lui a valu un passage chez le Docteur Faure et quelques points de sutures. En prime il a été privé de sortie pendant quinze longs jours en plein mois d’Août ; cela s’appelle la double peine.
Quand il pleuvait, on adorait avec Jacques aller aux champignons. Avec nos yeux d’enfants on voyait ça comme une aventure. Le bois qui se situait à environ 1 km à la sortie du village, semblait être au bout du monde. On aimait bien y aller avec Alain, un autre copain de classe qui connaissait mieux que nous la forêt et surtout, les places sercètes où ils poussaient. Son père était un expert, tous les ans il ramenait des quantités impressionnantes de cèpe, jaunotte, pied de mouton, pied rouge, trompette de la mort… et il connaissait même des coins de morilles. Mais là, impossible de savoir où ils les trouvaient, même Alain n’en savait rien. Il en cueillait tellement qu’ils les vendaient. Nous on allait surtout chercher des jaunottes ou plus communément appelées girolles ou chanterelles. On pouvait y passer des après-midis ou se lever très tôt le matin, pour avoir plus de chance d’en trouver, avant que quelqu’un ne passe avant nous. Quand je revenais avec une bonne cueillette, j’étais fier de la ramener à la maison. Maman et papa adoraient ça et j’avais droit à tout plein de compliments, quand ce n’était pas la petite pièce. En fin de cinquième, Jacques a été mis par son père dans une école privée pour qu’il soit beaucoup plus sérieux dans ces études. Finalement ça lui a bien réussi. Toute la semaine, il était à l’internat et rentrait que le samedi midi, puis faisait ses devoirs et allait jouer au foot. Il venait de s’inscrire dans le club du village voisin. Ses copains de foot m’ont vite remplacé ce qui m’avait beaucoup blessé à l’époque. Je m’étais senti pour la première fois, rejeté comme un torchon qu’on se débarrasse après avoir bien servi. Curieusement, j’ai pardonné à Jacques. Je crois que je le dois à ma rencontre à ce moment-là avec Fabien. On est vite devenu inséparable.
Après les cours au collège, on se retrouvait mais pour tout autre chose que les devoirs. Fabien était un passionné de photo et avait monté son petit laboratoire pour développer ses photos noir et blanc. C’est lui qui m’a appris à faire mes noir et blanc et qui m’a vendu mon premier et dernier réflexe. Je l’ai toujours, mais je ne l’ai jamais retouché depuis le soir de son accident. Je n’en n’ai pas le courage et plus l’envie. On allait souvent au petit café du village de la vieille Camille, pour faire des parties de baby foot quand on avait un peu d’argent. Je me souviens en 82, Fabien était fou de rage ; « arbitre de m… » qu’il criait à voix haute. Il ne décolérait pas contre l’arbitre du match France /Allemagne de la demi-finale de coupe du monde en Espagne. Il trouvait inadmissible que le gardien Allemand n’ait pas été expulsé après l’agression contre Battiston. Il ne s’était toujours pas remis de l’élimination de la France aux penalty après qu’il ait mené 3-1 à dix minutes de la fin des prolongations. Il voulait prendre sa revanche au baby foot et je devais tenir évidemment le rôle de l’équipe d’Allemagne. Il s’appliquait avec beaucoup de pugnacité à m’infliger de sévères défaites ; 1,2,3,4 parties à zéro. Ça commençait par ressembler à un score de tennis. Il était bien meilleur que moi comme dans beaucoup d’autres domaines. Plus tard, toujours avec Fabien, on a fait nos premiers bals, bu nos premières canettes et sorties avec nos premières copines. Je me souviens ce soir de fin d’été au bal du village, c’est encore lui, qui avais eu le courage t’inviter cette fille pour un slow et m’avait demandé de le suivre pour faire de même avec sa copine. Je me rappelle son prénom, c’était Brigitte. J’étais intimidé, c’était la première fois que je dansais un slow. J’avais l’impression d’être aussi à l’aise qu’un manche à ballet. Après la série on a retrouvé Fabien, sa copine et avec le bagou habituel de mon ami, il a vite détendu l’atmosphère puis on s’est éclaté sur la piste de danse. C’est ce soir-là, en sortant du bal, le noir aidant à me sentir à l’aise, que j’ai embrassé pour la première fois une fille sur la bouche. On a dû sortir quelques semaines ensemble, puis elle m’a quitté pour un joueur de foot. Encore le foot qui venait m’enlever un être cher ; vous comprenez mieux pourquoi pendant longtemps, je n’ai pas trop aimé ce sport. Bien sûr que ce n’est pas la principale raison. Je dirais que je n’ai jamais été très habile avec un ballon dans les pieds et que je m’en suis vite aperçu ou qu’on me l’a vite fait remarquer. C’est pour cette raison que lorsqu’on jouait, je me suis très vite retrouvé au but et certainement pas, pour mes qualités de gardien, comme vous devez bien vous en douter.
Je revois toute la bande du lycée ; dans mon autre monde, on n’a jamais été séparé. Nous vivons tous à Besançon. Il y a Fabien, toujours passionné de photographie. Il a même réussi à transmettre son virus à Céline. Après leur séparation au Lycée, ils se sont remis ensemble. Ils ont travaillé chacun de leur côté dans un labo photo puis depuis peu, ont acheté leur petit labo. Ils se sont spécialisés pour le moment dans la photo scolaire et de mariage. Fabien voudrait se lancer dans l’événementiel, mais il faut trouver les partenaires ce qui est loin d’être facile.
Gaétan a finalement renoncé à travailler chez son père et a préféré suivre Nathalie. Il a facilement trouvé un emploi dans une entreprise d’électricité en ville. Nathalie a arrêté la coiffure et a réussi comme Laurence son concours d’infirmière. Elles sont dans la même école et sont devenues les meilleures amies. Tout est prétexte pour sortir ensemble comme faire du shopping, aller à la gym, prendre rendez-vous chez la même coiffeuse… Inséparable je vous dis.
Christophe c’est bien engagé dans l’armée. Il est dans le 19eme Régiment du Génie qui est situé en ville et ne semble pas déçu de son choix. Ils nous l’ont pas trop changé pour le moment, si ce n’est qu’il apparaît beaucoup plus sûr de lui. Christine a poursuivi ses études en BAC Gestion et comptabilité. C’est une fille qui reste discrète, qui nous apprécient bien et c’est réciproque. Elle sort aussi quand son planning lui permet avec Laurence et Nathalie, ce qui soude bien le groupe. Ils parlent d’avoir un enfant ; ce serait cool, ça serait le premier de la bande. Christophe m’a déjà prévenu que je serais le parrain. Je suis assez fier qu’il est pensé à moi.
On essaye de se voir le plus souvent possible le week-end pour faire des sorties restaurants, aller en boite de nuit, en concert, au bowling… Fabien est toujours resté fidèle à lui-même. On ne peut pas aller au bowling sans qu’il essaye de gagner par tous les moyens, quitte à tricher en nous déconcentrant quand on doit jouer. Cela met de l’ambiance. Céline n’hésite pas à le remettre en place et pour se faire pardonner, il offre une tournée générale. En boite, quand la bande des quatre est constituée, on se déchaîne. On aime bien danser et faire les fous. D’autant que notre ami Jack est toujours présent parmi nous, ce qui a le don d’énerver les filles quand on en abuse. La fête sans Jack n’est pas une fête ; on se sent transporté dans l’ambiance, plus sûr de soi, plus détendu. Quand arrive la série des slows, on se fait pardonner ; on va se câliner, se blottir contre nos belles princesses. On se sent transporté dans un élan de bonheur que l’on voudrait figer pour l’éternité et qui ne dure que le temps de quelques danses. On a tous gravés dans notre mémoire, nos cœurs, un de ces moment-là. Comme si on y était encore, vous voyez de quoi je parle ! Bien sûr, et vous savez tous comme moi, que cela ne dure pas. Ce soir-là, en sortant de boite, nous avions pris deux voitures. Moi et Laurence étions avec Fabien et Céline et roulions devant. On n’avait pas beaucoup de kilomètres à faire, même pas une dizaine et Fabien se sentait bien pour conduire. Nous roulions assez tranquillement, joyeusement, encore bercée par la bonne ambiance de la soirée. Subitement, un chien sorti de je ne sais où nous coupe la route. Fabien surpris donne un violent coup de volant qui nous fait dévier de notre trajectoire et nous projette sur la gauche de la chaussée. A ce moment-là, j’entends un bruit effroyable, les cris de Laurence, Nathalie, le visage tout ensanglanté de Fabien, il devient méconnaissable…
Puis j’entends une voix qui parait lointaine, qui semble venir d’ailleurs. Non elle ne sort pas de mon cauchemar, elle vient d’ici, de chez moi. Il me semble que c’est Lisa qui me secoue, me crie dessus. Elle me demande si je l’entends, comment je vais… Je réponds mais elle semble ne rien comprendre à ce que je lui dis. J’ai du mal à réaliser où je me trouve, j’ai la sensation d’être transporté hors de cet espace-temps, puis un grand trou noir.
Table des matières
- Les années Lycées Env. 17 pages / 5775 mots
- Le début d’une relation passionnelle Env. 11 pages / 3648 mots
- Douce descente Env. 5 pages / 1428 mots
- Quand revient l’amour Env. 12 pages / 4011 mots
- A vouloir courir deux lièvres… Env. 16 pages / 5355 mots
- Inéxorable chute Env. 10 pages / 3283 mots
- Lente convalesence Env. 10 pages / 3274 mots
- Le retour à l’emploi Env. 12 pages / 4065 mots
- Le retour des vieux démons Env. 9 pages / 2859 mots
- Ce qui devait arriver… Env. 5 pages / 1661 mots
- Le retour des beaux jours. Env. 12 pages / 3937 mots
- Le jour où plus rien ne sera pareil Env. 18 pages / 6077 mots
- Au fond du trou Env. 13 pages / 4526 mots
- La belle illusion Env. 5 pages / 1486 mots
- Je crois qu’après avoir vu ça… Env. 7 pages / 2229 mots
- L’épilogue Env. 9 pages / 3264 mots
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