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Hors cadre
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- Catégorie : Action, aventure, polars > Policier et Roman noir
- Date de publication sur Atramenta : 18 mars 2016 à 7h09
- Dernière modification : 3 avril 2020 à 20h07
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- Longueur : Environ 209 pages / 70 383 mots
- Lecteurs : 277 lectures
- Mots clés : nouvelles
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Hors cadre (Oeuvre réservée à un public averti)
Pour un canard
I
Il faisait froid et l’air était électrique. Quick Média 24, nouvelle chaîne d’actualités rapides, crachait l’info et exonérait sa diarrhée d’images où alternaient les avis doctes d’anciens soldats avec ceux de vieux agents de la DGSI. Des images-chocs zoomées étaient censées montrer là un gendarme masqué du GIGN armé jusqu’aux dents, là, en tout petit, au travers d’une fenêtre, un autre individu pareillement équipé et camouflé, le présumé Abou Rebeu, un dangereux djihadiste. Un bandeau d’infos écrites défilait parfois sous un triptyque de plans fixes et muets de lieux différents, sous le commentaire d’un journaliste paumé, semblait-il.
— Un individu de race arabe… Heu, d’origine maghrébine, heu français originaire des Marais-sur-Seine dans la Corrèze comme en atteste la carte d’identité oubliée dans son véhicule.
Une actualité brutale, brûlante et prioritaire qui ne manquait pas de s’interrompre pour un spot publicitaire interminable. Du sang cathodique pèze en boutiques !
C’en était trop pour Bakar, il sortit sans mot dire et claqua la porte en laissant Farie à son plateau télé. La violence des événements l’avait laissé sans réaction quand elle l’avait appelé en pleurs, quelques heures plus tôt, pour lui annoncer la nouvelle. L’humoriste Cobra, le plus célèbre pamphlétaire du pays et qui revendiquait haut et fort son athéisme, avait été agressé. Ses écrits et satyres radiophoniques qui égratignaient les religions et les institutions du pays avaient marqué et inspiré plusieurs générations d’écrivains et d’humoristes. Dieu, Jésus, Mahomet, mais aussi de Gaulle à ses débuts puis les Le Pen et l’extrême droite depuis toujours enfin tous les monarques élus de la Ve République, en avaient pris plein la gueule. C’est Mahomet qui fut le plus rancunier. Les mises en scène du Prophète avaient déclenché une fatwa contre Cobra. La fatwa lui inspira d’autres pamphlets satiriques sur l’islam qui n’avaient qu’amplifié sa gloire.
C’est dans les bras de Farie que Bakar avait entendu, ensuite, la sinistre nouvelle. L’humoriste était mort mitraillé en pleine conférence de rédaction du plus grand journal satirique du pays, Coincoin hebdo. L’assassin aurait crié « Allah est grand ».
La majorité des musulmans du monde se foutait bien de Cobra, mais en découvrant le journal et les satires de Mahomet à cette occasion, abondait silencieusement à l’indignation des extrémistes.
La télé crachait des micros-trottoirs puants où l’on interviewait des Français d’origine maghrébine à chaud qui pour l’essentiel n’avaient jamais lu Coincoin :
— C’est la liberté, oui, mais… C’est horrible oui, mais… oui, mais on ne doit pas… Oui, mais chez nous, le Prophète…
Même Farie, indignée pourtant par le carnage, ne pouvait s’empêcher d’y abonder.
Oui, mais non ! Bakar devait respirer pour échapper à la lucarne et ses vomissures, au « oui, mais » et la colère qui montait.
Oui, mais l’air glacial que le mistral trimbalait n’était pas plus respirable. Pas plus que n’était supportable le regard suspicieux du buraliste quand il acheta son paquet de tabac. La capuche qui sortait de son blouson noir au col relevé laissait apparaître le teint mat du visage de Mohamed quand il passait sous la lueur d’un lampadaire, dans l’œil d’une caméra de vidéosurveillance, puis dans celui d’un surveillant devant son écran.
Il était sorti en claquant la porte. Ses frères maghrébins pouvaient comprendre la haine ! Lui non, même si sa peau brûlait des sourires torves, des yeux froncés et des plaisanteries racistes de nombreux de ses concitoyens. Bakar était athée, les pamphlets de Cobra l’apaisaient parce qu’ils riaient du dieu commun à bon nombre des racistes de son pays, qu’ils soient musulmans, juifs ou chrétiens.
Une voiture banalisée passa à sa hauteur et stoppa. Quatre hommes armés en sortirent. L’un portait un brassard. Bakar le reconnut, mais ne bougea pas.
— Sors les mains de tes poches et pose-les sur la voiture !
Bakar s’exécuta.
— Écarte les jambes ! Quel est ton nom ?
— Mohamed.
— Ha ! ils s’appellent tous Mohamed ! fit l’homme au brassard marqué de trois sinistres lettres majuscules : BAC.
— Salaudard ! Ton nom !
— C’est sur ma carte d’identité qui est dans la poche de mon blouson.
— C’est ça, fais le malin !
S’ensuivit une fouille au corps. Le flic en sortit un portefeuille, une pipe, un paquet de tabac et une boîte pleine de beuh. La joie éclaira le visage jusqu’alors renfrogné des trois autres pandours.
— Voilà de quoi te faire passer une nuit au chaud, Mohamed de mes couilles !
Un éclat de rire général anima les quatre hommes. Un bon gros rire imbécile, collectif et entendu, presque un cri de guerre avec les zygomatiques tendus et les sourcils froncés. L’un des flics en civil fit sauter la capuche de Bakar et commença à fouiller dans son portefeuille. Il en sortit une carte plastifiée blanche barrée de tricolore. Son visage se pétrifia, il fit pivoter son suspect en le saisissant vertement par l’épaule.
— Où as-tu volé cette carte ?
Il ne faut pas toucher Bakar, là, précisément sur l’épaule. « C’est une faute professionnelle », pensa-t-il, en serrant la main du flic pour le conduire d’un geste ample, mais prompt, face contre sol. Il s’empara de son arme et la posa sur la tempe du policier avant que ses collègues médusés n’aient le temps de dégainer.
— Brigadier Favier ! qu’avez-vous lu sur la carte ?
— Commissaire Bakar !
— Plus fort, Brigadier !
L’homme terrorisé cria :
— Commissaire Mohamed Bakar !
— C’est bien, tu vas dire à tes bleus que la guerre contre les Arabes n’a pas commencé officiellement et qu’ils se calment et attendent les ordres.
— Oui, Chef ! Les gars, calmez-vous, ne tirez pas, c’est un collègue.
C’est dans l’action que les problèmes philosophiques ou de société portent un autre éclairage. La BAC arrête un jeune homme d’origine maghrébine banal pour un banal contrôle et trouve banalement quelques grammes de shit qui le conduiront en prison si par bonheur c’est un récidiviste. Ils le sont parfois, seulement c’est comme à la pêche, ils n’ont pas toujours le bon profil pour les coffrer. Alors, il faut faire des contrôles fréquents et ciblés sur des faciès ou des tenues suspectes. Parfois, avec un peu de chance, l’interpellé s’agite et insulte. C’est un jeune, un peu vert, il va vite comprendre le tarif. L’outrage à agent dépositaire de l’autorité publique, l’insulte, la voie de fait, tiens, là une égratignure sur le bras, ça fera quelques jours d’ITT. Il y aura toujours un toubib compatissant au dur métier de flic, et les juges n’aiment pas les insultes à fonctionnaire de police, surtout dans les procès expéditifs en comparution immédiate. Mieux, ce dernier touche des indemnités pour sa blessure, mieux il recevra des dommages et intérêts lors du jugement. De quoi arrondir les fins de mois.
C’est ainsi depuis une bonne décennie, mais la BAC et ses flics racistes ont largement banalisé la méthode dans les « quartiers », le vivier à Maghrébins jeunes et retors. Des générations de « Oui, la République c’est bien, mais… » ont grandi là, en se disant : « Le poulet est un fils de pute et je nique sa mère, puis je nique sa République après un séjour en prison où j’apprends à prier pour mieux apprendre à tuer en Bosnie tout d’abord puis en Afghanistan, en Irak, Libye ou Syrie, partout où les bombardiers et les drones des blancs tuent des musulmans. » « Comme la BAC humilie et pousse chez nous nos petits frères dans la spirale de la haine puis du djihad », pensa soudain Bakar. Le commissaire hors cadre Mohamed Bakar était le plus jeune pensionné de la police française pour avoir mis son nez trop souvent dans un slip bleu-blanc-rouge, mais jaune devant et brun derrière.
Ils sont entrés penauds dans leur Renault banalisée, Bakar a rendu son arme au brigadier Favier qui avait déjà écopé d’un rapport, classé sans suite, pour propos racistes dans l’exercice de sa fonction.
— On se reverra Favier, un de tes collègues enregistrera ma plainte pour ton comportement dans quelques jours. C’est une récidive, Brigadier, ça va payer cette fois, on est en République laïque, connard et ta blonde n’a pas encore gagné les élections.
Mohamed, soulagé, retourna plus léger auprès de Farie. Elle avait éteint la télé, mais à la vue de Bakar ses yeux s’illuminèrent. Ils s’enlacèrent.
— J’ai compris, Farie, je suis Cobra oui, mais… j’ai aussi la même peau que toi dans notre beau pays, chuchota-t-il à son oreille.
Un soupir, une expiration bruyante de Mohamed. La jeune femme s’écarta soudain. Les yeux du commissaire étaient remplis de larmes.
Ils allaient s’allonger tendrement sur le canapé quand on frappa vertement à la porte.
II
Quatre coups brefs, c’était plus fort que lui. Un vieux réflexe qui, de coutume, modifiait le cours d’une perquisition ou d’une arrestation ; entraînait la cascade des interrogations et des réactions d’un présumé coupable, parfois l’usage ou non d’un flingue d’un côté comme de l’autre de la porte. À cinquante balais, Carrière ne changerait pas ses réflexes issus de trente ans d’exercice, même en frappant à la lourde d’un ami.
Farida était terrorisée, Mohamed sourit enfin.
— Vous pouvez entrer, Lieutenant, la porte est ouverte !
L’imposante carrure du vieux flic apparut au fond du couloir. Il avait le visage grave et une démarche traînante.
— Bonjour, Patron, fit l’officier un peu gêné.
— Assoyez-vous, Carrière, je vous connais trop pour ne pas deviner que quelque chose de grave vous a conduit ici.
— C’est un peu ça, Patron.
Son visage se décomposa soudain.
— Je n’en peux plus, Commissaire, je me suis fait porter pâle. Des mois, soumis à des écoutes, surveillé et mis à l’écart de tout, à gratter du papier à longueur de journée, puis ces attentats avec les loups de la BAC sur les crocs, leurs allusions racistes à peine retenues, j’ai craqué. Je n’étais qu’un boulet pour le service et le commissaire Edmond l’a bien compris. Il n’a présenté aucune objection quand j’ai déposé mon arrêt.
— Venez-en aux faits, Carrière. Qu’est-ce que nous vaut l’honneur de votre visite ?
— En passant, j’ai entendu parler de votre altercation avec la BAC. Ces mecs ont la rage, ils sont capables de tout. Mieux, v’là-t-y pas qu’ils ont lancé une fatwa contre vous ! Vous connaissez leur humour.
— Je connais en effet, ils vont connaître le mien, fit Mohamed qui avait retrouvé son calme.
— Je pense qu’il serait bon de faire comme moi, partir de Nîmes. Les scores du FN dans le Gard ont été brillants aux dernières élections. L’air va devenir irrespirable, il l’est déjà. Commissaire, je vous le conseille, il vous faut partir comme j’en ai pris la décision. Madame Michu a vendu son magasin et elle a acheté un truc dans le Massif central. Un peu loin de tout…
Farie et Mohamed se regardèrent et arborèrent un large sourire.
— Je ne pensais pas que votre histoire ait survécu à l’affaire du pot-au-feu
— Le doigt d’honneur (Le flic qui n’aimait pas les flics).
, fit Bakar.
— On s’est revus, il y a quelques mois…
— Et vous avez conclu ? fit le commissaire en retenant un rire.
— Heu ! Oui entre autres, fit-il d’un air agacé, elle a surtout pardonné à son fils et voit avec plaisir son petit-fils d’adoption.
Carrière n’eut pas de mal à convaincre Mohamed de le rejoindre dans le « truc » de la mère Michu, désormais Françoise pour les intimes. Cette dernière ne lui en voulait pas, elle était prête à le recevoir avec Farie. Il y avait de la place !
Bakar n’était pas loin d’être dans l’état de son lieutenant. Un peu de repos sans secrets et loin de la pression de la ville feraient à Farie comme à lui beaucoup de bien.
Rendez-vous fut pris au Puy-sur-Morbak, au cœur du Massif central.
Ce fut en fin d’après-midi, le lendemain, que le vieux Volkswagen de Bakar arriva dans un village, au pied d’un dôme comme il y en a des dizaines autour de Clermont-Ferrand.
— C’est facile, quand vous arrivez à Morbak vous y êtes. C’est à l’écart, vous montez cinq cents mètres, vous ne pouvez pas vous tromper, il n’y a qu’une église et la maison, avait expliqué Carrière.
En effet, une église, un virage qui contournait le sommet du puy et… un château XVIIIe avec, sur un angle, une tour carrée monumentale en pierres noires qui écrasait la bâtisse.
— Ah, OK, fit Bakar, voici le truc à la mère Michu. Ça paye une quincaillerie en plein centre-ville !
Le parc qui entourait le « palais » était clôturé d’une barrière en PVC blanche qui tranchait avec l’architecture XVIIIe. Elle donnait, en somme, un aspect branché XXe. Mais la tour carrée en basalte noir, qui fut probablement le donjon du château fort d’origine, malgré ses fenêtres et leur cadre peint en blanc qui remplaçaient les meurtrières, donnait à l’ensemble un caractère austère, voire sinistre en cette fin de journée nuageuse.
Le porche d’entrée ouvrait sur une vaste cour interne qui distribuait les trois ailes du château. Des poules, quelques coqs et même un canard l’occupaient, ils se poussèrent nonchalamment en propriétaires des lieux au passage du fourgon. Carrière apparut, encadré par deux dobermans féroces probablement, mais aux ordres et qui se couchèrent à ses pieds.
Le lieutenant était souriant, transformé depuis la veille. Manifestement, la vie de château lui convenait. À ses côtés, madame Michu était habillée fermière, en jeans, mais pantoufles aux pieds et sans son chignon. Elle avait forci et ses joues pleines lui ôtaient l’aspect revêche qui la caractérisait jadis. Elle accueillit ses hôtes avec une rondeur toute paysanne et alors que Carrière entreprit sa visite guidée par la sévère tour carrée et entraîna Bakar à sa suite, les femmes se dirigèrent vers une belle salle, ajourée de larges baies, en rez-de-chaussée de l’aile nord du château. Quelques paillettes de neige virevoltaient au gré d’une brise glaciale.
Le lieutenant et Mohamed pénétrèrent dans l’imposante bâtisse. Un escalier en colimaçon distribuait des chambres et des salons sur cinq étages.
— Le donjon préalablement raccourci puis aménagé au XVIIIe a été transformé en hôtel dans les années cinquante, annonça Carrière doctement tel un guide de musée.
— L’ancien propriétaire n’a pu continuer, trop de charges et de frais d’entretien. Les chambres sont superbes, vous verrez, il y a tout le confort, vous dormirez en haut et la vue est splendide sur la terrasse. Nous avons gardé l’appariteur et sa mère. Lui se prénomme Boris, pas très bavard ni très sympathique au premier abord, mais il se dégèle vite. Sa mère, Ursulle, était la cuisinière. Son mari, le maître d’hôtel, est mort juste avant l’acquisition de Françoise. Sa veuve a pris sa retraite aussitôt. Pour un petit loyer et quelques services de bricolage pour Boris et de cuisine pour sa mère, ils occupent un bel appartement en rez-de-chaussée de la tour. Nous avons pris leur logis sur l’aile sud plus gaie et chaude. Pas question pour nous de garder l’hôtellerie, mais nous avons un projet de chambres d’hôtes.
— De mariage non ? fit Mohamed d’un air malicieux.
Carrière grimaça.
Ils n’escaladèrent pas le colimaçon, mais s’enfoncèrent dans le sous-sol par ce même escalier pour déboucher dans une salle majestueuse et voûtée. La lumière de l’unique ampoule qui pendait au faîte éclairait les colonnades de basalte noir de cette œuvre d’art architecturale.
— Voici la partie classée, elle date du XIIe.
Carrière était fier de montrer cette merveille à Bakar.
— Et regardez, là, une citerne !
Il désigna une margelle de puits.
— Vous êtes descendu dedans à la recherche du trésor ? fit Bakar en désignant du doigt une échelle en alu couchée non loin.
— Non, mais ce qui est sûr c’est qu’il y a de l’eau dans ce trou. Trois mètres de profondeur sur trois de large, creusés dans le roc. Ils ne plaisantaient pas les anciens. Au Moyen Âge, ce qui ressemble à un donjon aujourd’hui était en fait une imposante tour de guet avec tout pour résister longtemps en cas de siège. Petit à petit, au fil du temps, un château fort est venu compléter ce mirador qui est devenu donjon. Comme se sont construits l’église et le village en dessous. Puis des remaniements se sont succédé jusqu’au XVIIIe et pour la tour jusqu’au XXe.
La voix de Françoise résonna soudain.
— Alors les hommes, avez-vous trouvé le souterrain ?
— Un souterrain ?
— Bah, le contrôleur des monuments historiques qui passe régulièrement m’a dit qu’il n’y avait pas un château sans histoires de souterrains secrets souvent bidon. Pour lui, ici, rien de sérieux non plus.
Les deux flics montèrent rejoindre les femmes pour visiter la chambre. Elle occupait un angle sud de la tour avec des doubles vitrages profonds et étroits, mais de facture moderne qui offraient, avec le mobilier clair et contemporain, une lumière et une chaleur surprenantes dans cette bâtisse austère. Le confort minimum, avec salle de bain et WC, s’imposait pour cet ancien hôtel de charme trois étoiles.
Farie et Mohamed se trouvèrent enfin seuls dans ce cocon inattendu qui se lovait dans l’épaisseur des murs de basalte. Elle sauta sur le lit comme une enfant, Bakar y jeta son sac. La neige se faisait plus dense et les flocons plus serrés étaient visibles au travers des fenêtres. Du palier, un petit escalier menait à la terrasse sommitale qui offrait un point de vue à 360 degrés sur la plaine et au sud sur le village.
Farie se déshabilla et fonça vers la salle de bain. Bakar, qui lisait une revue posée sur une table basse, ne manqua pas de porter un regard concupiscent vers le corps splendide de sa compagne. Puis, il replongea dans la lecture de son magazine. Sur la couverture s’étalait une panoplie d’armes à feu. Il passa rapidement à la page suivante et aux autres où étaient griffonnées, dans les marges, les références d’armes de guerre. Les autres journaux se partageaient entre de vieux Playboy collector et des revues spécialisées en tir sportif ou paintball. Le défunt maître d’hôtel devait être un passionné de canons en tout genre. La vue d’une photo de l’un de ces pathétiques soldats « pour de rire » en cagoule, larges lunettes et combinaison noire maculée de peinture, éveilla en lui les événements de la veille. L’écho lointain d’une radio remontait par vagues d’une vraisemblable aération dans la salle de bain. Au ton des voix, la traque devait se poursuivre. Il jeta un coup d’œil par la fenêtre. Une voiture blanche patinait sur la route qui menait au château.
Farie apparut dans un peignoir rouge sur lequel s’écoulaient ses longs cheveux noirs et humides. Une association de couleurs pleines de sous-entendus dans l’esprit de Mohamed, certainement pas érotiques et pourtant, quelques gouttes d’eau glissèrent de son cou dans la vallée profonde que formaient ses seins à peine cachés par ce déshabillé mal ajusté. Mohamed fut traversé par une furieuse envie de lécher sa peau encore moite et qu’un frisson parcourait en faisant saillir ses mamelons sous le tissu. Il allait poser un brûlant baiser sur son épaule quand Farie le repoussa.
— Va donc prendre une douche toi aussi !
Bakar s’exécuta. Quelques minutes plus tard, alors qu’il s’apprêtait à se raser, il fixa longuement le miroir de l’armoire de bain. Il ouvrit sa porte et caressa le contreplacage lisse et presque tiède pour constater l’absence de fond et des murs soigneusement isolés au nord. Un petit trou circulaire, comme un œilleton, attira son attention. Mais soudain, un cri horrible déchira le calme séculaire des lieux. Il venait de la cour.
III
Une vieille femme s’agitait dans la cour en levant les bras vers un ciel qui lui répondait par des cascades de confettis blancs.
— Il m’a pris mon Magret ! Il m’a pris mon Magret !
Carrière accourut pour la réconforter. Ursulle n’avait que soixante-cinq ans, mais en paraissait dix de plus. Elle piétinait en remuant sa lourde carcasse sur le fin tapis de neige. Bakar, prestement rhabillé, apparut sur le seuil de la tour, mais ne se risqua pas dans la neige avec ses chaussures basses qu’il avait enfilées à la hâte. Manifestement, il n’y avait pas mort d’homme. Un gaillard boiteux vêtu d’un treillis revenait tranquillement du portail qu’il venait de fermer et semblait indifférent à ces cris.
Carrière réussit à calmer la femme et la raccompagna une main sur l’épaule vers le porche.
— Il m’a pris mon Magret ! répétait-elle.
— Mais enfin, Ursulle ! De quel magret parlez-vous ?
— Elle parle de son canard, répondit sèchement le boiteux au crâne rasé qui enfilait à la hâte un bonnet kaki sous les assauts de la neige.
Bakar n’eut pas de mal à reconnaître Boris à la description que lui en avait faite le lieutenant.
— Oui, j’ai vu le goupil par la fenêtre avec mon Magret dans la gueule.
— Le goupil ? s’interrogea Carrière.
— Elle parle du renard, dit Boris en levant les yeux au ciel, ça fait plusieurs fois qu’on le voit dans la cour. Il a déjà pris une poule la semaine dernière.
— Vous l’avez vu fuir par où ? demanda Bakar, aussitôt opérationnel.
« Le goupil, un criminel mythique à sa hauteur », pensa-t-il.
Ursulle prit un air interrogateur à la vue de Mohamed.
— C’est le commissaire B… Carrière n’eut pas le temps de finir la présentation.
— Magret ! fit Boris moqueur.
Bakar tendit la main à Ursulle.
— Commissaire Bakar, nous allons essayer de mettre tout ça au clair, dit-il aussi sérieusement que possible.
Ursulle essuya une larme.
— Merci ! Commissaire Ma…
— Bakar, Madame, Bakar.
Boris avait perdu son air renfrogné et sa plaisanterie le réjouissait.
Quand Farida apparut à la porte, le sourire de l’appariteur se mua en une grimace lubrique, voire méprisante. Mohamed fixa Boris droit dans les yeux. Deux regards de tueurs s’affrontèrent alors.
Carrière tenta de briser la tension palpable entre Boris et Mohamed :
— Je vais lâcher les chiens.
— Surtout pas, Lieutenant ! Ils effaceraient les traces. Vous allez au contraire vous retirer en essayant de repasser sur vos pas pour préserver les indices.
— Des conneries, tout ça, cria Boris, je n’ai rien vu et j’ai fermé le portail. Il y a longtemps que le renard est parti.
— Sauf s’il est encore ici, dit calmement le commissaire en examinant une trace qui longeait un mur.
— Vous avez un indice ? demanda Carrière.
— Il me semble, il y a une trace là…
— C’est une trace de chien, lança Boris, c’est là où ils vont pisser.
— Si c’est une trace de chien, elle est plus proche du chihuahua que du doberman. Avez-vous ça à la maison ? Elle se dirige vers la tour.
— Impossible, répliqua Boris, il n’y a que deux issues : l’escalier ou mon appartement. Dans l’escalier, vous l’auriez croisé, dans l’appartement, il aurait croisé ma mère.
— Vous oubliez la salle du sous-sol, la porte était ouverte, j’ai pu le noter à l’instant.
Mohamed et Carrière se précipitèrent vers la pièce souterraine. À la clarté de l’unique ampoule, ils explorèrent chaque recoin. Bakar constata que l’échelle était dressée dans le puits. Il en profita pour jeter un coup d’œil dans la citerne, aidé par la faible lueur de son portable.
— Est-ce vous qui avez placé l’échelle ? demanda Mohamed.
Le lieutenant répondit par la négative.
— C’est sans importance, allons voir par là.
Sous le linteau d’une porte comblée de terre apparaissaient les traces fraîches d’un passage, mieux une empreinte de patte de renard subsistait dans l’argile humide en cet endroit.
— Il semblerait que le goupil ait ses habitudes, il y passe régulièrement.
— Mais, il ne peut s’enfuir par là, les murs du vieux donjon sont trop épais.
— Ce n’est peut-être qu’une cache, qu’il occupe le temps que la cour retrouve son calme et que le portail s’ouvre.
Un caquètement se fit entendre dans un angle. Le malheureux canard tremblotait, caché derrière un vieux tonneau.
— Maître renard a lâché sa proie par la trouille contraint, fit Mohamed avec un clin d’œil.
Ursulle retrouva son Magret avec quelques plumes en moins. Elle invita Mohamed et Farie dans son appartement au pied de la tour pour remercier le commissaire autour d’un verre. Bakar put constater le confort de l’appartement qui occupait trois pièces autour de l’escalier. Sur un buffet trônaient des photos du défunt maître d’hôtel et de Boris en uniforme quelques années de moins au compteur et un kalach sur la poitrine. Par une porte entrouverte, il vit ce dernier allongé sur son lit qui lisait une revue identique à celles qui traînaient au sommet de la tour ; derrière lui, la salle de bain était pareillement agencée et dans le même alignement que la chambre de Bakar, cinq étages plus haut.
Farida et Mohamed prirent congé quand la nuit tombait. La chute de neige avait cessé, elle laissait un tapis blanc éblouissant à la clarté de la lampe extérieure. Un calme ouaté régnait. Les amoureux s’enlacèrent un instant.
— Vois-tu Bakar, j’ai bien aimé ton enquête campagnarde. Il ne manque plus qu’à serrer le goupil !
— J’ai ma petite idée à ce sujet…
IV
Guidés par une lumière au fond d’un couloir, ils atteignirent le vaste et bel appartement de la mère Michu. Le couple de nouveaux châtelains était en compagnie de deux invités.
Françoise se chargea des présentations.
— Jean-Louis et Mme la maire de Morbak, Mireille Charbonnier, fit-elle fièrement.
Ils avaient tous deux une cinquantaine d’années. Au nombre de saphirs pour madame et au volume de la Rolex de monsieur, le couple n’était pas dans le besoin. L’homme était chauve, lourd et peu causant, la femme exubérante et distinguée, nimbée d’un parfum asphyxiant. Mais, malgré le vernis de circonstance pour une invitation au « château », ils étaient rustiques et avaient gravi à pied le chemin qui conduisait du village à la forteresse.
— Un Auvergnat ne craint pas la neige ! avait fanfaronné Jean-Louis à ses hôtes méridionaux.
La télé ronronnait en sourdine, le logo de QM24 trahissait le sujet de l’émission. Abou Rebeu courait toujours. Il était difficile de ne pas être au courant. Farie et Mohamed avaient vaguement suivi sur la radio du fourgon. L’homme avait échappé au siège du GIGN et sa trace était perdue depuis plusieurs heures.
Les flûtes de champagne scintillaient, mais le cœur n’y était pas. Un regard fusait toujours vers l’écran. Une piste dans le quartier de la Défense focalisait l’attention, une Audi Quattro noire avec Abou à son bord formellement identifié, curieusement démentie par la police, puis une vers Rouen au gré du zèle des témoins de l’hexagone. Le direct était bien rodé et l’art des journalistes à commenter du vent tout aussi maîtrisé : là, une Clio suspecte peut-être verte non loin de Moulins, là une formellement blanche vers Vichy.
— C’est amusant, dit Mme la maire, il y avait une Clio blanche devant l’église tout à l’heure !
— Ce n’est pas une Clio, répondit Françoise, c’est une Fiat Uno. C’est celle de Boris, il la gare souvent là.
— Ha ? Moi, les voitures vous savez. Parlez-moi de chevaux oui, mais les voitures, non, merci.
La conversation était à la hauteur de l’intérêt que portaient les convives au repas. On évoqua l’héroïsme de Boris blessé en Bosnie sous l’uniforme des Casques bleus et le succès de son terrain de paintball dans la commune, les qualités de la potée qu’Ursulle avait mijotée dans l’après-midi. Mais, le cœur n’y était toujours pas et sur l’écran plat défilaient encore et encore des images où alternaient des plans-séquences sans intérêt sur les rues de Paris désertes et des débats où les invités ne faisaient que répéter ce qu’ils avaient dit la veille.
Les Charbonniers auraient sans doute été mieux chez eux devant un plateau télé à traquer Abou Rebeu, par écran interposé. Farie et Mohamed auraient sans doute été mieux au lit à faire l’amour pour oublier que le coupable désigné était, ce soir encore, l’islam et majoritairement ceux qui le pratiquaient. La maire auvergnate de souche dévisageait le couple de Maghrébins en avalant la potée. Elle n’avait qu’une religion, la République laïque. La Vierge Marie en or qui décorait sa poitrine n’était qu’un cadeau de sa mère.
Farie dévorait la saucisse, Mohamed la mettait de côté.
— La potée n’était peut-être pas un plat très adapté pour vous, non ? fit Mireille à Bakar d’un air faussement entendu.
— Je suis végétarien et athée, Madame, répondit Bakar calmement.
Des mots qui plombèrent un peu plus une conversation que M. Charbonnier, absorbé par les images, avait occultée depuis longtemps. Farie était musulmane et mangeait du porc comme les catholiques blasphémaient et ne mangeaient pas plus de poisson aux métaux lourds le vendredi.
Le ton de l’émission haussa d’un cran, Françoise haussa le son et la potée fut abandonnée au profit d’une purée d’info.
L’enquête avançait, l’origine de l’armement du djihadiste avait été identifiée. L’on parlait d’une filière issue des trafics d’une autre guerre déjà oubliée, celle des Balkans. Ça « djihadait » beaucoup par là, dans les années 1990, djihad de baroudeurs cathos et de fous de Dieu en tout genre.
Farie ne put attendre le dessert, lassée par cette ambiance, elle prétexta un début de migraine pour s’éclipser. Mohamed proposa de l’accompagner quand on diffusa soudain la photo d’Abou Rebeu. Les yeux de Bakar se fermèrent un instant ; quand il les rouvrit, Farie était déjà partie. Puis à nouveau, l’image d’une Clio creva l’écran avec son numéro de plaque.
— C’est la même voiture que j’ai vue devant l’église ! dit Mireille, je confirme. J’ai même relevé son numéro !
Elle fonça vers son sac. Mais le sac était profond et la patience de Mme la maire, imbibée de champagne, très superficielle. Elle finit par le vider sur un fauteuil.
L’image d’un reporter au col relevé dans un halo de neige fine illuminée par les projecteurs fit son apparition dans la lucarne.
— C’est sur la place de la cathédrale de Clermont-Ferrand vers 17 heures que la Clio blanche volée à Vichy a été reconnue. La ville est quadrillée et…
Mireille se retourna vers le poste d’un air terrorisé. Jean-Louis la regarda un instant les yeux écarquillés.
Une rafale d’arme automatique résonna, un orage de balles traversa la pièce, l’une d’elles finit dans l’écran, une autre en passant alla trouer la Vierge en or sur la poitrine de Mireille puis explosa la lampe derrière elle.
V
Quelques éclairs encore jaillirent par des fenêtres en éclats.
Puis, les hurlements dans la cour d’un chien blessé. Un air glacial s’engouffra dans la pièce en même temps qu’une torpeur saisissait chaque convive. Bakar par réflexe s’était couché à la première salve, dans son esprit un nom clignotait en rouge : Farie.
À deux pas de lui, Mireille agonisait, il entendit Carrière murmurer :
— Merde, mon flingue !
Il était non loin de la porte, puis ses pas résonnèrent dans le couloir.
Les secondes qui suivirent parurent infiniment longues à Mohamed dans cette sidération subite qui suit la menace d’une mort imminente. Des instants en suspension entre panique, instinct de survie et fuite irraisonnée. Il n’y a ni courage ni héroïsme dans ces situations, Bakar le savait. Le sang-froid c’est pour les inconscients.
La lueur d’un portable déchira l’obscurité pesante une seconde, mais rien qu’une. Une nouvelle rafale d’éclairs jaillit de la tour en brisant les quelques bibelots encore debout. Un cri de douleur sortit de la gorge de Jean-Louis.
Bakar rampa vers les gémissements de ce dernier, ses mains et ses avant-bras se déchiraient sur les tessons épars qui jonchaient le parquet, mais il ne ressentait rien dans sa quête de salut. Il passa sur un corps inerte dont le parfum ne laissait aucun doute sur son identité puis sentit la main de Jean-Louis encore tonique.
— J’ai mal, Bon Dieu ! murmura-t-il, et Mireille ?
Le commissaire ne répondit pas.
— Il nous faut filer dans le couloir et vite, surtout n’allumez plus rien.
Mohamed saisit Jean-Louis par les épaules et put l’aider à se relever. Il entendit des pas et des bruits de verre plus loin, sans doute ceux de Françoise qui vint bientôt les rejoindre à l’abri dans un couloir hors du salon. Le commissaire referma la porte et éclaira enfin. Il était temps, Jean-Louis était d’une pâleur cadavérique et perdait conscience. Une flaque de sang se formait autour de sa jambe. Bakar déchira aussitôt le pantalon du blessé pour mettre à jour une plaie au milieu de la cuisse, d’où un ruisseau de sang au débit pulsatile s’écoulait lentement. Bakar finit de déchirer le pantalon de Jean-Louis pour y enrouler son poing avant de comprimer la plaie de toutes ses forces. Françoise sanglotait sur son épaule. Carrière apparut enfin, un flingue à la main.
— Et Mireille ? s’inquiéta le lieutenant.
— Je crains, hélas !
— Avez-vous une idée où est le tireur ?
— J’ai vu la dernière salve partir du sommet de la tour. Le gars tire bien et fait mouche, fit Bakar en regardant la jambe du pauvre Jean-Louis.
— Je vais appeler des secours !
— Pas question, Lieutenant, tant que je suis sans nouvelles de Farie. Je ne fais aucune confiance aux cow-boys du GIGN. Nous pouvons progresser à couvert jusqu’au donjon.
— Oui et nous aurons l’appui peut-être de Boris, c’est un ancien soldat.
— Je n’en suis pas si sûr, fit Bakar d’un air énigmatique.
Le commissaire posa un garrot sur la jambe de Jean-Louis pendant que Carrière rassurait madame Michu. Les deux hommes filèrent ensuite à l’abri des couloirs sombres. Ils descendirent précautionneusement dans la salle en sous-sol. Elle était vide.
— Ils sont donc en haut du donjon, probablement dans une des chambres peut-être la mienne qui donne un point de vue stratégique sur le chemin et un accès facile à la terrasse. De quoi arroser le village et tout ce qui en vient.
La lampe vacillante permit à Bakar de constater que l’échelle avait disparu. Carrière reconnut sans mal l’éclat du regard du commissaire quand une piste se fait jour.
— Lieutenant, vous allez me donner votre arme, je vais tenter de libérer Farie.
Carrière obtempéra, le visage glacé d’effroi.
— Si je ne suis pas de retour dans une demi-heure ou si vous entendez des coups de feu, alors appelez les pandours.
Bakar s’engouffra dans l’escalier en colimaçon, mais en sortit au rez-de-chaussée. Il ouvrit doucement la porte de l’appartement d’Ursulle. À peine était-elle entrebâillée que Magret, le canard, s’engouffra dans l’espace et, ne trouvant d’autre issue, fonça vers le colimaçon. Il se risqua dans une périlleuse et bruyante escalade qui s’acheva par une explosion suivie d’une flamme et d’un souffle d’où quelques plumes jaillirent. Mohamed n’en parut pas surpris, il traversa l’appartement à l’aveugle jusqu’à la chambre de Boris. En longeant le lit, il heurta comme un pied dont la pantoufle se détacha. Un rapide coup de mini torche LED, son porte-clés favori, lui permit de reconnaître Ursulle allongée et inerte. Pas de traces apparentes de lutte, elle gisait sur le dos, les mains crispées sur la poitrine. À l’intuition, le commissaire pensa à une mort naturelle, le cœur de la pauvre femme n’avait sans doute pas résisté à toute cette agitation. Bakar poursuivit son curieux chemin qui était censé le mener à Farie.
VI
— Couvre-toi ! Traînée, vociféra en arabe Abou Rebeu, dans la chambre au dernier étage de la tour.
Il projeta Farie sur le plumard et lui tendit un foulard noir.
— Couvre-toi ! répéta-t-il en s’approchant d’elle pour la saisir par la nuque et plonger ses yeux injectés dans ceux de la jeune femme.
Elle était abasourdie par la violence des événements, par l’étrangeté de la situation qui la conduisait au centre d’une affaire qui passionnait des millions de Français confortablement assis dans leur fauteuil au même instant. Une affaire qui unissait dans une messe télévisuelle les amateurs de foot comme les inconditionnels de la chaîne du Sénat, les ouailles de la messe ou du prêchi-prêcha de l’imam machin du dimanche matin comme les fidèles de « Plus belle la vie », bref tout ce que le pays comptait d’yeux divers et variés imbéciles ou avertis. Il ne manquait qu’une caméra de vidéosurveillance intérieure qui aurait diffusé sur les ondes du sang en direct, peut-être du sexe. Mais dans ce dernier cas, l’on aurait flouté les organes intimes pour ne pas heurter la sensibilité de « certains citoyens ».
Farida ne sourcilla pas, la peur l’avait soudainement quittée comme tout sentiment, et prier, dans ces circonstances, lui paraissait indécent. Non, elle fixa Abou avec la même intensité que lui, la même haine. Ce dernier la repoussa sur le lit.
Il fonça vers la fenêtre. La nuit régnait, les lumières du village en dessous scintillaient, un sourire d’enfant éclaira son visage, il jeta un coup d’œil sur le lance-roquettes qu’il venait de poser à ses pieds puis sur le clocher de l’église.
Soudain, les phares d’une voiture balayèrent l’espace à la sortie d’un virage juste en dessous du château. Elle descendait lentement sur la neige glissante. Le tueur ouvrit la fenêtre, il posa son kalachnikov sur le rebord et attendit calmement que les phares soient à environ une centaine de mètres bien dans sa mire. Des détonations en rafales retentirent, puis un klaxon bloqué hurla à la mort après un fracas de tôles.
Abou se redressa et fonça vers la salle de bain, il constata en passant que Farie était couchée sur le ventre, sa tête reposait sur un sac et son visage restait couvert par le voile. Le djihadiste put bientôt s’observer dans le miroir au-dessus du lavabo, la face couverte de sueur, ses yeux brillants aux conjonctives rosées et enfin son regard vide qui se perdait dans le fil des événements qui l’avaient conduit là. Il revoyait le corps du journaliste envahi de soubresauts en même temps que sa vie s’en allait en enfer. Il revivait ces heures, couché derrière un mur contre le corps tétanisé de peur de son otage. Il entendait encore, le portable collé à l’oreille, la voix faussement calme d’un négociateur galonné, puis sa sortie, puis le sang et la cervelle de son prisonnier sur un mur avant de disparaître dans une ruelle vide.
Dieu était avec lui, il en avait la certitude. Désormais, chacun de ses choix était celui d’Allah. Depuis son départ de Paris à bord d’un bolide noir oublié, la clé sur le contact, les seuls axes qui paraissaient libres étaient ceux du Massif central. Le seul refuge qui lui paraissait dicté par Dieu était dans ce donjon. Il ôta sa chemise puis la ceinture d’explosifs qui déchirait sa peau. Il avait du temps devant lui, les pièges posés dans l’escalier étaient activés et opérationnels. Le canard en charpie qui lui avait fait craindre une attaque en témoignait. Le temps que le GIGN débarque, il en avait pour une bonne demi-heure et autant de négociations. Quant à l’assaut d’un donjon à pied ou par les airs, lui avec son lance-roquettes, ses grenades et son kalachnikov…
Un sourire fendit sa bouche à cette pensée.
« Ce n’était plus Abou dans le miroir, mais Allah », osa-t-il penser. Il se tourna vers celui de l’armoire de salle de bain, son effet loupe augmentait ses traits. Il s’observa longuement attiré par son image, il s’approcha jusqu’à voir la texture de sa peau. Il ne vit pas Farida debout avec un flingue à la main. Il ne sentit pas l’instant où son cerveau se pulvérisa. Il n’entendit pas le sanglot de Farie qui s’agenouillait ni le fracas de l’armoire qui tomba sur lui en même temps que Mohamed Bakar surgissait du mur en placo éventré à coups de pied, sur une soupe de sang et de cervelle mêlés.
VII
Bakar enjamba le corps du terroriste pour s’accroupir près de Farie. Elle était en proie à un sanglot incontrôlable, les mains crispées sur le
Sig Sauer qu’elle pressait entre ses genoux. L’arme de Bakar oubliée sur le lit dans son sac.
— Je l’ai tué ! Je voulais le tuer et le coup est parti, non, je ne voulais pas, je ne pensais pas, je…
Mohamed retira avec douceur le pistolet qu’elle serrait si fort, un doigt figé sur la détente. Il l’inspecta un instant pour constater que la sécurité était toujours enclenchée.
Il n’y avait eu qu’un coup de feu, celui de l’arme de Bakar.
— Tu ne l’as pas tué, Farie, c’est moi.
Mohamed aida son amie à se relever puis à s’asseoir sur le lit.
Le klaxon hurlait toujours au-dehors. Il se pencha dans l’ouverture et il distingua la carrosserie noire d’une puissante voiture dans la lueur phosphorescente de la neige. Il referma la fenêtre. La jeune femme tremblait plus d’émotion que de froid.
— Dis-moi, Farie, que s’est-il passé ?
Lentement, elle reprit ses esprits et commença un récit entrecoupé de sanglots.
Bakar alluma enfin son portable pour appeler Carrière.
— Tout va bien, Lieutenant ! Mais l’escalier est piégé. Il faut sécuriser son accès.
— OK, Commissaire ! Content de vous entendre ! J’ai appelé le GIGN ! Ils sont déjà là !
— Déjà…
Un ange passa et Bakar raccrocha aussitôt pour faire un autre numéro. Il murmura quelques mots sur une messagerie.
Le corps d’Abou était en partie caché par l’armoire de salle de bain en miettes. Il était sur le dos, sur son front un trou légèrement sanguinolent, sous sa nuque un magma d’os, de sang et de cervelle. Bakar observa l’homme qu’il venait de tuer. L’image de son visage souriant, témoin d’une félicité pour le moins étrange après son parcours meurtrier, le hantait.
Abou était déjà ailleurs quand la balle du 9 mm Parabellum emprunté à Carrière avait franchi le miroir. Ailleurs dans une fable mystique où se mêlaient un prophète, des anges et des vierges à violer. Son corps était bien là, à présent, l’occiput explosé et sans vie.
Une vie de merde qu’il avait perdue en « martyr » et sans regret dans l’espoir d’une félicité divine. Une enfance d’orphelin et, comme si cela ne suffisait pas, de Maghrébin né dans un ancien pays colonial avec les racistes dédiabolisés du FN et la diaspora réactionnaire des anciens colons chassés d’Algérie et terriblement rancuniers.
Il avait subi cent fois ce que Mohamed avait enduré la veille dans les rues de Nîmes. Mais, pour lui, à sa sortie du foyer, abandonné au chômage et aux trafics pour survivre, ce fut la prison. C’est là qu’on lui présenta un islam fasciste et son Prophète machiste. Les textes sacrés, aussi abscons soient-ils, ont besoin de lettrés pour les interpréter. Il n’avait croisé que des prêcheurs mafieux à l’ombre des barreaux. À sa sortie, il avait rejoint ses nouveaux frères d’armes et de prière en Afghanistan puis en Irak. Il avait à tuer pour le djihad dans l’espoir d’une dérisoire gloire posthume et une supposée félicité céleste.
Bakar sortit de ses rêveries quand Carrière apparut accompagné des cagoulés du GIGN. Il arma ses deux flingues et les glissa discrètement sous son ceinturon dans le dos. Il sortit de la salle de bain et vint s’asseoir près de Farie.
Les quatre premiers pandours à entrer étaient très excités, des montagnes de muscles pour le cerveau moyen de primates supérieurs qu’ils prétendaient être. Leur chef enleva sa cagoule puis, souriant, tendit sa main vers Bakar. Ce dernier dégaina un flingue puis le pointa vers la tête du gradé.
— Commandant, veuillez jeter vos armes et dites à vos hommes d’en faire autant. Lieutenant, venez près de moi.
Le pandour s’exécuta.
Mohamed rendit son arme à Carrière.
— Mettez en joue ce beau monde.
Mohamed s’assit et posa son arme sur ses genoux puis fouilla son sac à tâtons sans quitter des yeux les gendarmes. Il en sortit sa pipe et son tabac.
Quand le lieutenant huma les premières volutes au parfum d’herbes exotiques du calumet de Bakar, un sourire vint éclairer son visage.
— Messieurs, bonjour et merci pour votre intervention rapide franchement, combien, cinq, dix ou quinze minutes, peu importe, c’est le top. Un peu trop, non ? fit Bakar mystérieux.
Carrière ne comprenait rien et sa main tremblait. Pendant que Mohamed humait sa pipe, les yeux dans le vague.
— Mais Bon Dieu ! Patron ! Expliquez-vous !
— J’y viens, Carrière, j’y viens…
Il prit une bouffée.
— Cette affaire est claire, non ? Abou Rebeu, en ce moment en pleine partie orgiaque près d’Allah, a débarqué dans ce château depuis Paris par hasard après une traque de vingt-quatre heures.
Que je sois sous surveillance policière depuis des mois n’est, bien sûr, que pur hasard aussi. Sauf si l’on croit en Dieu ! Abou, cela ne fait pas l’ombre d’un doute, croyait en Dieu et en son étoile, quand après avoir échappé à une meute de gendarmes suréquipés, il a pu sortir de Paris puis filer sur Clermont où par une chance inouïe l’on a repéré la fameuse Clio blanche.
Nous avons tous suivi cette chasse à l’homme haletante en direct sur la radio ou la télé. J’ai moi-même vu monter une Clio blanche vers 17 heures en regardant par la fenêtre.
— Venez-en aux faits, Patron ! fit Carrière, agacé et nerveusement à bout.
Bakar mit sa pipe au bec, s’empara de son flingue et avança vers le commandant. Ce dernier essayait de faire bonne figure, mais des perles de sueur sur son front trahissaient un certain malaise. Le lieutenant épuisé s’assit près de Farie.
— Les faits ? Nous les connaissons : à 23 heures au moment du dessert, la photo d’Abou apparaît sur l’écran de télévision. Il a oublié sa carte d’identité dans l’un des véhicules volés dans sa fuite. Incroyable ! Non ? La pauvre Mireille est persuadée d’avoir, elle aussi, reconnu la Clio blanche devant l’église. Elle va au fond de la pièce fouiller son sac à la recherche d’un numéro qu’elle a relevé, quand une rafale d’arme lourde traverse la salle et la touche mortellement. J’ai bien dit : traverse la pièce ! Par chance, Jean-Louis échappe aux balles.
— Nous non plus ! cria Carrière.
— Et moi non plus, pour la simple raison que le tueur ne nous voit pas dans le lieu où il se trouve. Mais j’y reviendrai.
Nous sommes dans l’obscurité. Peut-être une minute se passe, vous, Carrière, filez chercher votre flingue, moi je me suis couché, mais Jean-Louis allume son portable près de la baie pour se repérer et retrouver sa femme. Une deuxième rafale traverse la cour, blesse un chien et finit dans la jambe de Jean-Louis. Je vois clairement, d’où je suis, les coups partir du sommet du donjon.
— Et alors ? fit Carrière, dubitatif.
— Eh bien, ce ne peut pas être le même tireur, celui qui tue Mireille et celui qui blesse Jean-Louis. La première rafale est horizontale pour toucher au fond de la pièce. Le même tueur ne peut pas, entre les deux tirs, accéder à temps en haut de la tour.
— Eh bien quoi ! maugréa le commandant de gendarmerie, qu’est-ce que cela change ? Abou avait un complice, c’est tout !
— Ben, voyons ! Boris, non ?
— Pourquoi pas ?
— Vous le connaissez ?
Le gendarme se raidit un peu.
— Oui ! Bien sûr ! Nous n’allons pas en mission sans connaître le terrain.
— Et le terrain est glissant, là. Un commissaire en rupture et un ancien mercenaire des milices chrétiennes en Bosnie.
— Si je peux me permettre, Commissaire, fit Carrière, c’était un Casque bleu en mission internationale.
— Les photos dans son salon ne montraient qu’un type en treillis avec un kalachnikov en bandoulière. Rien qui ressemble à un soldat d’une armée régulière.
— Le commissaire a raison, fit le gendarme, il a eu un parcours trouble dans les guerres des Balkans. Nous savons qu’il fait partie aujourd’hui d’un groupuscule d’extrême droite qui organise un trafic d’armes en provenance d’Europe centrale.
— De là à penser que les armes d’Abou venaient de ce trafic… compléta Bakar.
Le gendarme fit un signe de la tête affirmatif.
— Décidément, Commandant, ce trafic d’armes me rappelle quelque chose, pas à vous ? Tina Vener, votre ancien commandant, que j’ai arrêtée il y a quelques mois ne trafiquait-elle pas aussi dans cette mouvance
— Les yeux de Tina.
?
— Donc, c’est Boris le complice, le fournisseur d’armes et notre tireur, commenta Carrière aussitôt.
— Impossible ! cria Farie. Il n’y avait personne dans la cour juste avant le tir. Seuls les chiens étaient dehors, en revanche, j’ai vu Boris prendre la porte du sous-sol. J’ai filé ensuite dans le colimaçon où j’ai entendu la première rafale qui venait de l’extérieur, la deuxième a résonné dans l’escalier. Quand je suis arrivée dans la chambre, Abou était derrière la porte. Il m’a poussée sur le lit puis a filé comme un fou dans l’escalier. Il est revenu une ou deux minutes plus tard en me disant qu’il avait posé des surprises.
— Tout à fait ! Des pièges explosifs dont le pauvre Magret a fait les frais, fit Bakar. Et voici notre Abou en haut du donjon avec un otage et un escalier piégé. De quoi tenir un siège, enfin à la hauteur de sa mission de djihadiste face au brillant GIGN qui n’a pas le Bon Dieu avec lui depuis le début de cette affaire. C’est le moins que l’on puisse dire ! À moins qu’il soit le diable !
— Mais, alors, qui a tué Mireille ? balbutia Carrière.
— Dieu, Lieutenant ! s’exclama Mohamed. Celui-là même qui a ouvert la voie à Abou jusqu’à ce château, qui lui a peut-être incidemment soufflé dans l’oreille de rejoindre son fournisseur d’armes. Qui lui a ouvert la porte sud de la capitale à bord d’une puissante automobile noire, probablement celle-là même que les premiers témoins avaient identifiée et que nous entendons encore au-dehors.
— Mais d’où sort-elle, Patron ?
— Rappelez-vous, Lieutenant, Mireille et Jean-Louis sont montés à pied, Boris a une Fiat Uno qui pour une fois n’était pas garée devant l’église, moi mon vieux Volkswagen. Je n’ai pas vu votre épave de ce qui devait être une DS…
— Merci, Patron, c’est gentil ! Elle est dans son garage derrière le château.
— Il nous reste le bolide noir qui nous casse les oreilles, avec lequel est arrivé discrètement Abou quelques heures plus tôt et soigneusement caché avec la complicité de Boris. J’y reviendrai plus tard. Le djihadiste ignorait qu’il était suivi de loin par des anges gardiens galonnés en Clio blanche. Celle-là même que j’ai vue par la fenêtre vers 17 heures, juste avant l’enlèvement de Magret par le goupil.
— Vous délirez, Commissaire, vous devriez moins fumer, balança le gendarme.
— Excusez-moi, Commandant ! Vous ne connaissez pas Magret. Une petite enquête pastorale m’a permis de découvrir un prédateur qui tranquillement volait poules ou canards dans la cour puis disparaissait mystérieusement. Pas si mystérieusement, il filait par un trou en sous-sol qui, à bien y réfléchir, était plus qu’une cache, mais une issue par laquelle il entrait et sortait du château, et ce, à travers des murs séculaires réputés infranchissables. De là à penser qu’il rejoignait un vieux souterrain…
— Un souterrain ? s’exclama Carrière.
— Oui, à mon arrivée dans le château, vous m’avez fait visiter le sous-sol. Outre la beauté de la salle, j’ai surtout remarqué une échelle allongée près de la margelle d’une citerne. Quelques minutes plus tard, quand je suis retourné dans la salle en sous-sol, l’échelle était dans la citerne et quelques heures plus tard quand nous nous y sommes réfugiés, l’échelle avait disparu. Un rapide coup d’œil au-dessus du bord m’avait permis de remarquer une étrange cavité dans la paroi de la citerne à un mètre en dessous de la margelle. C’est par là qu’Abou est entré dans le château quelques heures plus tôt, guidé par Boris.
C’est par là qu’est parti ce dernier en retirant l’échelle dans le souterrain pour éviter toute poursuite dans un tunnel qui ne pouvait que rejoindre l’église proche. Une galerie taillée jusqu’au village dans le robuste basalte étant peu probable.
Il a vraisemblablement filé avec le bolide noir d’Abou, mais arrêté net par une balle du terroriste tirée de cette fenêtre stratégique qui donne sur la route du château. La collaboration des fascismes occidentaux et orientaux a ses limites.
Il y a un autre passage dans cette tour, un tout aussi discret, mais plus récent qui se glisse entre la contre-cloison et le mur. Assez large pour accueillir un petit escalier métallique en colimaçon. Cet espace participe à la remarquable isolation thermique de la tour qui rend les chambres chaudes et accueillantes. Mais, l’escalier dessert des œilletons qui donnent dans les salles de bain ou plus exactement au-dessus du miroir du meuble des salles de bain à tous les étages, de quoi assouvir les fantasmes de l’ancien maître d’hôtel et se rincer l’œil discrètement. J’ai découvert l’œilleton par hasard pendant ma douche, attiré par le son d’une radio qui provenait d’en bas, donc, de l’appartement d’Ursulle et de son fils. C’est ainsi que plus tard, j’ai pu accéder à cette chambre au dernier étage de la tour en passant en rez-de-chaussée par celle de Boris qui donnait accès à l’escalier secret, après que le pauvre Magret m’a révélé en payant de sa vie que le principal était piégé. C’est grâce à cet œilleton que j’ai abattu Abou qui se regardait une dernière fois dans le miroir avant l’assaut qui l’attendait.
Un brouhaha se fit entendre sur le palier puis Françoise surgit dans la chambre. Des pompiers venaient de prendre en charge Jean-Louis et avaient découvert le corps sans vie d’Ursulle. Son émoi était à la hauteur du drame pour cette pauvre femme. Elle vint se coller contre Carrière en sanglotant. Ce dernier posa son arme un instant.
Mohamed distrait ne vit pas le poing du commandant partir sur sa main. Il lâcha prise et son pistolet tomba. L’un des gendarmes allait s’en emparer quand un coup de feu résonna et une balle vint se ficher dans le mur à quelques centimètres de la tête du soldat. Farie, qui avait pris l’automatique de Carrière imprudemment posé sur le lit, tenait en joue les pandours. Le coup était parti tout seul, mais avait fait de l’effet. Mohamed put reprendre son flingue.
— Bravo, Farie, tu progresses !
Le lieutenant reprit rapidement son Sig Sauer.
Les éclats de gyrophares bleus au-dehors annoncèrent du beau monde.
— Tiens, les renforts arrivent, on va pouvoir coffrer tout ça !
À ces mots, Carrière sursauta.
— Mais, je ne comprends pas, vous ne voulez pas dire…
— Mais si, Lieutenant, vous avez bien compris, le tireur est l’un de ces pandours d’élite. Il était derrière la grille avec un objectif précis : exécuter le commissaire Bakar et son lieutenant. Un ordre venu sans doute de quelque petit chef galonné en représailles à l’arrestation de Tina Vener
— Les yeux de Tina.
.
Notre visite inattendue dans ce château a fait collaborer les fonctionnaires qui nous surveillaient avec ceux qui suivaient Abou depuis probablement bien longtemps. Ils ont organisé sa fuite depuis le crime dans le journal jusqu’à ce petit coin d’Auvergne, base du fournisseur d’armes Boris et qu’Abou avait dû visiter quelquefois. Les machistes, racistes, homophobes adorateurs de chefs musclés s’attirent.
L’exécution de flics qui en savaient trop au milieu de l’assaut contre un dangereux terroriste serait passée dans les dommages collatéraux. Tout cela, en souhaitant qu’Abou se charge en partie de cette besogne à son arrivée. Une charge finale du GIGN a parachevé la funeste tâche.
Le scénario de la fuite en focalisant l’attention des médias sur leur Clio blanche était habile, mais terriblement hasardeux, car il laissait la voie libre et sans embûches au terroriste dans son bolide noir. Seulement, Boris avait fermé la grille de la cour et l’existence du souterrain n’était pas connue des fins limiers. De l’extérieur, l’angle de tir ne permettait plus à nos cinq pieds nickelés galonnés et cagoulés de nous atteindre. Quand Abou a entendu la première salve, il a pensé à une attaque et à la trahison de Boris. Il a tiré de la terrasse quand il a vu s’allumer le portable de Jean-Louis. Quelques minutes plus tard, il a aussi réglé son compte à Boris qui fuyait avec l’Audi noire.
Bref le fiasco total, Dieu soit loué ! fit Bakar en souriant et en levant les bras au ciel dans une ultime provocation.
— Est-ce prudent de confier ces salopards à leurs collègues ? s’inquiéta Carrière.
— J’y ai pensé, c’est la police nationale qui arrive accompagnée d’un juge. Ils n’auront pas de mal à identifier l’origine des balles dans le salon. La hiérarchie et le procureur devraient faire les canards !
Table des matières
- Préface Env. 1 page / 209 mots
- Les yeux de Tina Env. 12 pages / 3931 mots
- Pour un canard Env. 30 pages / 9776 mots
- La recette de la quenelle au four Env. 12 pages / 3953 mots
- Faux fantôme et vrai cadavre Env. 12 pages / 3837 mots
- Fête amère Env. 22 pages / 7482 mots
- L’empreinte de Marcion Env. 38 pages / 12480 mots
- Féria macabre Env. 20 pages / 6613 mots
- Milonga Env. 21 pages / 6808 mots
- Le démon de minuit Env. 23 pages / 7767 mots
- Bavure à Saint-Sulpice Env. 23 pages / 7527 mots
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- Poésie
- Paroles de chansons
- Scénarios
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- Jeunesse
- Jeu de rôle
- Savoir, culture et société
- Défis et jeux d'écriture
- Inclassables
- Librairie Atramenta
- Livres audios
- Atramenta Mobile
- A découvrir ?
-
- Poésie
1 page -
- Lire
- Oeuvre incomplète et en cours d'écriture.
- Sans même le vouloir
- Jean-François Le Mestre
- Poésie