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Evita, la madone argentine
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- Catégorie : Savoir, culture et société > Voyages et explorations
- Date de publication sur Atramenta : 7 janvier 2021 à 18h48
- Dernière modification : 10 janvier 2021 à 12h12
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- Longueur : Environ 12 pages / 3 853 mots
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Evita, la madone argentine
La madone argentine
– Vous savez, dit Cristina après avoir suivi des yeux pendant quelques minutes un chat à l’affût d’un oisillon le narguant du haut d’une tombe, il y a deux figures qui comptent beaucoup pour moi en tant que Cubaine : le Che, bien sûr, et Eva Peron que le peuple argentin appelle familièrement Evita, aujourd’hui encore. Tous les deux ne sont pas du même milieu, mais leur combat visait les mêmes objectifs.
– Qu’a-t-elle donc fait de si extraordinaire ? demande Catherine qui se montre de suite tout ouïe.
S’ensuit un dialogue entre les deux femmes que j’écoute en silence pour laisser libre cours à la curiosité de ma sœur indifférente au discours politique jusqu’alors.
– J’ai lu beaucoup d’ouvrages sur Eva Peron dont l’histoire est celle d’une ascension hors du commun, d’un parcours vertigineux. Je ne connais aucune autre femme au monde qui ait atteint un tel sommet…
– C’est Cendrillon qui épouse un prince charmant ?
– Il y a de cela, mais elle ne reste pas les bras croisés à côté de son prince.
– D’où vient-elle ?
– Du côté maternel, elle est issue d’une couche sociale très humble alors que son géniteur, Juan Duarte, est un riche estanciero conservateur avec d’importantes responsabilités locales. Ses voisins l’appellent « vasco », car il est d’origine basque.
– Laisses-tu entendre que le grand propriétaire terrien a engrossé une fille de modeste condition ?
– C’est un fait. Il rencontre Juana dans l’un de ses domaines à vingt kilomètres de Los Toldos alors qu’elle n’a que treize ans. L’année suivante, elle met au monde son premier enfant et, en l’espace de onze ans, il lui fait cinq mômes, un garçon et quatre filles.
– J’appelle ça du viol et de la pédophilie !
– Et il en a six avec sa femme légitime, une cousine germaine.
– Un chaud lapin qui a besoin de sang neuf, dis donc !
– Quand Eva naît en 1919, la bigamie est courante, surtout à la campagne où elle persisterait encore… On ne se marie pas avec n’importe qui, mais les sens échauffés peuvent conduire les mâles vers des plaisirs illicites…
– Ces mâles seraient davantage attachés à leur épouse de nos jours ?
– C’est contraire à leur nature, je pense.
– Lucio constitue une exception, non ?
– Dans notre couple, la situation est inversée comme vous le savez, mes chères amies.
– Résumons : le père d’Eva séduit une petite jeune fille de la campagne à peine pubère et sans défense, perpétuant la tradition des conquistadors assoiffés de femmes lorsqu’ils débarquent sur le nouveau continent… Un fait plus que banal sous le ciel américain !
– Qui sait s’il n’y a pas eu d’amour entre eux ? Duarte, qui a vingt-deux ans de plus que Juana, revient régulièrement vers elle et assure une protection matérielle à sa deuxième famille établie près d’un campement mapuche.
– A-t-il reconnu ses enfants adultérins ?
– Eva, la petite dernière, porte le nom de sa mère, Ibarguren. Pour le reste de la fratrie, je ne me souviens plus.
– Ce nom d’Ibarguren a des consonances basques, me semble-t-il.
– Oui. Tiens, cela me fait penser à mon cher Julio…
– Cristina, oublie un petit moment ton amoureux…
– Un ami, Catherine, pas un amoureux, je le répète !
– Oui, un ami. Dis, cela devait être mal vu ici comme ailleurs d’avoir des relations avec un homme marié ?
– La femme passe pour une catin, pourtant Juana Ibarguren s’occupe bien de ses enfants auxquels elle donne une éducation stricte, car elle est très pieuse.
– L’Église a toléré ce dévergondage ?
– Elle a toujours su baisser les yeux avec les grands de ce monde : la progéniture de Juana a été baptisée et fait sa communion dans les règles.
– Le père s’occupe-t-il de ses gamins ?
– Je n’en sais rien. À l’époque, l’éducation est l’affaire des femmes. Il a bien assez à faire avec les révoltes des Mapuches…
– Ma sœur, après les Charruas, ces Mapuches pourraient être un sujet d’investigation pour toi, non ?
– Bien sûr, Catherine. Un jour peut-être…
Nous suivons des yeux quelques instants une vieille dame assise près de nous qui se lève péniblement à l’aide de sa canne pour aller verser des croquettes dans une gamelle pour les chats, puis Cristina continue :
– Le père perd la vie en 1926 dans un accident de voiture. La mère d’Eva, désormais sans ressources mais courageuse, déménage alors à Los Toldos, une petite bourgade de la pampa où elle exerce le métier de couturière pour subvenir aux besoins de la famille.
– Emmène-nous un peu dans la pampa argentine, Cristina, dis-je.
– Ce n’est pas différent de L’Uruguay dans ce coin qui fait partie de la province de Buenos Aires. De tous côtés, c’est plat, plat, plat… De l’agriculture et de l’élevage. Des peones et des gauchos. Des petites villes endormies. Là-bas, j’ai visité avec Lucio la maison d’Eva de deux pièces aménagée en musée.
– Vous n’êtes pas allés voir celle où elle a vu le jour ?
– Si, mais Lucio tenait surtout à rencontrer les Mapuches installés là-bas dans leur campement avec leurs tentes, les toldos, sur des terres que le gouvernement leur avait attribuées avant de les refiler frauduleusement à Juan Duarte. Il a pu discuter avec des membres et les descendants de cette ethnie revendiquant fièrement leur identité et la volonté de perpétuer leur culture.
– Cela rappelle les Charruas en Uruguay…
– Tout à fait. Ils ont raconté qu’une sage-femme indienne a aidé Juana Ibarguren lors de ses accouchements et qu’elle a vécu plus tard avec la famille d’Eva à Buenos Aires, mais cela reste à vérifier.
– J’imagine que la petite Eva a été heureuse dans cette proximité avec des gens épris de liberté.
– Oui, et elle n’a jamais oublié les discriminations dont ils étaient l’objet. Je suis essoufflée, mesdames, et j’ai soif. Attendez-moi ici, je vais chercher à boire.
Cristina revient dix minutes plus tard avec du Coca-Cola pour nous trois et reprend son dialogue avec ma sœur :
– En 1930, la famille déménage de nouveau dans la petite ville de Junin à soixante kilomètres au nord de Los Toldos. Les aînés travaillent et la mère ouvre une petite pension fréquentée par des notables de la ville, car c’est une excellente cuisinière.
– C’est peut-être pour ses talents culinaires que Duarte la fréquentait…
– Pour ça et pour autre chose bien sûr… Eva, elle, termine à quinze ans de médiocres études à l’école primaire, puis elle décide de se rendre à Buenos Aires pour devenir actrice.
– Rien que ça ? Il faut m’expliquer comment une fille de la brousse de condition modeste en arrive à nourrir un tel rêve ?
– À Junin, elle va au cinéma, et elle aime faire du théâtre et réciter des poèmes d’après ses institutrices. Elle se voit déjà célèbre comme les stars dont elle collectionne les photos dans les magazines. Pour elle, la capitale est un Eldorado où la vie ne peut être que palpitante, donc pas question pour elle de moisir en province comme ses sœurs.
– Qu’en pense sa mère ?
– La jeune fille a un caractère très fort, sans doute comme son père, si bien qu’elle l’accompagne à contrecœur à Buenos Aires pour une audition à la Radio Nationale où elle décroche un petit contrat. Juana revient furieuse à Junin après l’avoir confiée à des amis de la famille.
– Incroyable ! Eva a dû déchanter rapidement tout de même, non ?
– Oui et non. L’élite méprise les basanés venus de la campagne, et elle doit se contenter pendant plusieurs années de petits rôles sporadiques et mal payés au théâtre et au cinéma.
– Elle a donc du mal à percer ?
– Elle n’est pas photogénique bien qu’assez jolie et, surtout, elle est très frêle et ne correspond pas aux critères de beauté de l’époque. Elle réussit tout de même à faire la couverture de magazines de mode… Bien que timide, elle tape à toutes les portes et impressionne par sa volonté mais, pendant de longues années, elle ne mange pas toujours à sa faim malgré le soutien de son frère aîné travaillant à Buenos Aires. Je sais qu’elle a habité dans une pension de famille de la Boca…
– Elle ne vend pas ses charmes ?
– Elle a quelques aventures, mais ce n’est pas la prostituée dont parlent ses détracteurs. Elle n’a qu’une obsession : réussir dans le monde de l’art.
– En 42, on l’engage enfin pour cinq ans dans une émission radiophonique où elle anime quotidiennement un programme dramatique : « Les grandes femmes de l’Histoire ».
– Elle doit s’identifier à elles, non ?
– J’imagine que cela nourrit son rêve d’une vie glorieuse… En tout cas, c’est pour elle une consécration professionnelle et la garantie d’une vie confortable qui lui permet d’acheter un appartement à Buenos Aires dans le quartier de la Recoleta où nous sommes.
– S’intéresse-t-elle à la politique ?
– Elle a dit avoir été sensible depuis toujours aux injustices et elle s’implique activement dans le syndicalisme à la radio dont elle est une des fondatrices, mais elle n’adhère à aucun parti. Elle n’a pas la langue dans sa poche en ce moment de sa vie…
– Où rencontre-t-elle Peron ?
– En 44, lors d’un…
Derrière les hauts murs du cimetière, assez loin de nous, des slogans revendicatifs fusent soudain avec violence.
Nous nous levons d’un coup, stupéfaites par cette scansion incessante qui semble en vouloir à la terre entière.
Après la fureur du ciel avant-hier, la fureur sociale aujourd’hui.
Agitation de drapeaux, colère des mégaphones, pétards, fumigènes…
De quoi s’agit-il ? Les manifestants viennent-ils prendre à témoin leur chère Evita ?
Nous nous rasseyons, bouleversées par le vacarme qui dure un bon quart d’heure.
Le vacarme au-delà du cimetière s’éloigne petit à petit, et les palpitations de mon cœur reviennent à la normale.
– Cristina, que veulent ces manifestants ?
– Ils étaient trop loin pour que je comprenne.
La très vieille dame assise à proximité de notre banc, celle qui a donné à manger aux chats tout à l’heure, lui lance comme si elle avait compris mon questionnement :
– Des augmentations de salaire et des créations d’emploi évidemment ! Les gens n’en peuvent plus de l’inflation galopante et de la misère… Vous voyez, même au cimetière, nous ne trouvons pas la paix… Ce n’est pourtant pas ici qu’Evita pourra les aider…
– Son esprit vit toujours, répond posément notre amie.
– Pour beaucoup oui, ils croient en elle comme en la Sainte Vierge. Savez-vous que beaucoup ont déjà demandé au pape de la béatifier ?
– Et vous, qu’en pensez-vous ?
– On n’est plus dans la période de grand boom de l’immédiat après-guerre où l’argent semblait tomber du ciel. J’avoue ne pas comprendre grand-chose à ce qui se passe.
La dame se lève péniblement en s’appuyant sur sa canne et s’en va en hochant la tête :
– Non, je ne comprends plus rien. Ma vie est derrière moi… Au revoir, mesdames !
Un envol bruyant de pigeons au-dessus des tombes nous fait tourner la tête, puis Cristina reprend :
– Eva rencontre Peron, veuf depuis plusieurs années, à l’occasion d’un bal de charité organisé pour secourir les victimes d’un tremblement de terre. À ce moment de sa vie, elle jouit d’une grande notoriété à la radio auprès du petit peuple qui écoute ses émissions. Ils tombent d’autant plus sous le charme l’un de l’autre malgré leurs vingt-quatre ans de différence qu’ils affichent le même idéal, à savoir lutter pour plus de justice, et la même détermination.
– Parle-moi un peu de ce Peron…
– Ce colonel est devenu secrétaire d’État du Travail puis de la Guerre après avoir participé en 43 au coup d’État militaire qui a mis fin au gouvernement corrompu des conservateurs.
– En quoi se démarque-t-il des autres politiciens ?
– Il s’applique à mettre en œuvre le programme des syndicats : conventions collectives, statut du travailleur agricole, pension de retraite… La liste est longue. Fils de magistrat, il n’a pas oublié qu’il est petit-fils de maçon. Il aime aussi raconter qu’il a sûrement du sang indien et s’en montre très fier.
– Un militaire qui s’investit pour une plus grande justice sociale, c’est étonnant, non ?
– Oui, mais les éléments de droite de l’armée et l’oligarchie, avec le soutien de l’ambassadeur des États-Unis, ne l’entendent pas de cette oreille, et cela se termine par son incarcération et le licenciement d’Eva à la radio.
Toujours assises sur un banc sous des arbres dont quelques feuilles jaunies viennent nous caresser le visage, nous suivons des yeux un couple qui déambule entre les tombes en échangeant de petits bécots.
– Drôle de promenade pour des amoureux ! dis-je.
– Les morts ne s’en offusqueront pas, ils peuvent même s’embrasser tranquillement ! répond Catherine.
– Écoutez la suite. Deux millions de personnes manifestent devant le palais présidentiel, la Casa Rosada, pour la libération de Peron à l’appel de plusieurs syndicats et notamment de la CGT. Il fait si chaud que beaucoup enlèvent leur chemise, d’où leur surnom de « descamisados » qui désigne encore aujourd’hui les prolétaires argentins de nos jours. Le gouvernement ne peut que relâcher Peron qui épouse Eva quelques jours plus tard.
– C’est un mariage d’amour ?
– La bourgeoisie de Buenos Aires a prétendu et prétend aujourd’hui encore qu’Eva était une arriviste prête à tout, mais ils devaient se trouver des attraits puisqu’ils vivaient en concubinage depuis leur rencontre. Comment ne pas aimer cette jolie personne dynamique, gaie, chaleureuse aux idéaux si sincères ? Lui, de son côté, n’était pas mal du tout physiquement… Certains de leurs ennemis affirment qu’il s’est servi d’elle pour assurer sa propre popularité auprès des syndicats.
– Les ennemis d’Eva l’ont également beaucoup critiquée pour sa garde-robe digne d’une reine, dis-je. Il paraît qu’elle possédait une centaine de manteaux de fourrure… Cela ne choquait pas ses admirateurs ?
– Les Latins ont le goût des beaux atours. La mère d’Eva, couturière, a toujours bien habillé ses enfants avec les moyens du bord, et Eva s’habillait correctement vêtue malgré sa pauvreté. Elle se montre plus tard si généreuse que peu de ses adulateurs lui en tiennent rigueur.
– Pour être généreux, il faut de l’argent !
– L’argent coule à flots dans l’Argentine d’alors qui s’industrialise à toute vitesse.
– La voici donc mariée. Je suppose que la femme jusqu’alors très active à la radio et dans le cadre syndical n’a pas l’intention de rester dans l’ombre de son mari…
– Dites, on refait un petit tour dans le cimetière ? Je n’en peux plus de rester assise !
Nous flânons dans le dédale des ruelles pavées tout en discutant et en oubliant presque la nature du lieu. J’écoute mes compagnes tout en m’attardant de temps à autre devant certains détails décoratifs.
– C’est à partir de son mariage que commence vraiment la carrière politique d’Eva Peron. Elle suit son mari dans ses tournées en vue des élections présidentielles de 47, ce qui est une nouveauté en Argentine où les femmes étaient exclues de la sphère politique. Elle ne dit rien, elle écoute et elle apprend vite. Trois jours plus tard, lors d’une réunion publique convoquée pour remercier les femmes argentines de leur soutien à la candidature de Peron, elle exige l’égalité des droits entre les sexes et le suffrage des femmes. Après maintes pressions sur les parlementaires, la loi institue le suffrage universel l’année suivante, mais elle sait qu’il ne faut pas baisser la garde. En 49, cette battante fonde le parti péroniste féminin. En tant que présidente, elle exige des femmes un total dévouement au parti devant prévaloir sur leur famille et leur carrière. 51 verra pour la première fois des élues au parlement et au sénat ainsi que dans les assemblées législatives provinciales.
– Une grande avancée donc, mais ses méthodes sont pour le moins autoritaires !
– Oui, du côté des syndicats par exemple, elle impulse la formation de milices ouvrières et elle achètera même des armes pour la CGT peu avant de mourir, car elle pense que l’oligarchie s’appliquera à obtenir l’annulation des droits sociaux obtenus. D’après moi, elle n’avait pas tort…
– A-t-elle un rôle politique officiel ?
– Elle dispose d’un bureau particulier au ministère du Travail où elle reçoit toujours avec courtoisie et patience, mais c’est la douceur avec une main de fer. Peron la laisse faire, car son action lui permet d’accroître son emprise sur les syndicats qu’il veut intégrer dans le parti justicialiste fondé par lui en 46. Eva œuvre toujours dans le cadre totalitariste défini par son mari dont elle orchestre par ailleurs le culte de la personnalité.
– Le sien aussi, non ?
– Oui. Elle met en scène de grands rituels avec force embrassades de bambins et marques d’amour pour les descamisados. Les infirmières-soldates formées dans les écoles de sa fondation participent aux parades militaires, revêtues d’uniformes ornés du profil et des initiales d’Evita.
– Cela rappelle le troisième Reich et l’URSS stalinienne !
Cristina arrête brusquement son discours.
Perché sur une tombe
Un chat aux longs poils noirs
nous fixe de ses yeux dorés
Nous frissonnons
– Continue, Cristina ! murmure Catherine. Les morts ne se réincarnent pas !
– En 47, Evita commence une tournée internationale dont le but officiel est d’atténuer le soupçon de fascisme collant au péronisme.
– Mais enfin, dis-je, il y a de quoi le penser ! Peron a été un admirateur de Mussolini et combien de nazis ont trouvé refuge en Argentine avec l’aide du Vatican ! Ça fait froid dans le dos…
– Pourtant, il n’est pas antisémite. Il y a des juifs dans le gouvernement. Je ne comprends pas ce qu’il cherchait en accueillant ces monstres allemands… Il a sûrement utilisé leurs compétences en matière de répression…
– Les sombres dessous de la politique !
– Eva se rend donc en Europe avec l’intention affirmée de se renseigner sur les systèmes d’aide sociale mis en place en Europe et commence par l’Espagne.
– Et c’est dans l’Espagne de Franco qu’elle les trouve ? Je frémis en entendant ça… Un pays où existent tout au plus des œuvres de bienfaisance catholiques dirigées par de hautaines dames patronnesses…
– En tout cas, dans toutes les villes espagnoles où elle passe, des foules énormes l’applaudissent pour les réalisations fantastiques de Peron qui améliorent la vie de leurs parents émigrés en Argentine. En Italie, les communistes qui assimilent le péronisme au fascisme, la critiquent vivement…
– Ils auraient dû se réjouir des nationalisations opérées par Peron et des droits sociaux accordés aux travailleurs, mais c’est vrai que le président s’acharne à éliminer les communistes par tous les moyens.
– À Paris, elle fait prendre ses mensurations chez de grands couturiers qui lui confectionneront plus tard ses tenues…
– Elle n’oublie pas de se servir avant de servir les autres !
– Plus tard, elle s’habille simplement, mais elle dépasse les bornes à Paris en arborant des tenues extravagantes, ce que ses ennemis ne manqueront pas de lui reprocher.
– Pour moi, sa personnalité est ambiguë !
– Elle fait aussi un passage en Suisse…
– Pour y déposer de l’argent ?
– Les historiens n’en ont trouvé aucune preuve.
– Finalement, ce voyage a servi à quoi ?
– À tisser des liens commerciaux, à donner une image positive du pays, mais les sphères progressistes européennes n’ont pas été impressionnées outre mesure… Tiens, nous revoilà devant le mausolée de la famille Duarte.
Une femme assez jeune pose un bouquet de fleurs sur la porte, marmonne une prière, fait un signe de croix et s’en va.
– Pour beaucoup, susurre Cristina, Evita est une sainte ! En quelques années, elle accomplit une œuvre considérable. Tout ce que le gouvernement ne peut accomplir, elle le réalise par le biais de sa fondation qui voit le jour en 1948. Elle crée des écoles, des colonies de vacances, des asiles, des logements pour les nécessiteux, diffuse la pratique du sport. Elle fait construire des hôpitaux publics bien équipés et dotés d’un personnel médical compétent et bien rémunéré. Un train médical parcourt le pays, examine la population gratuitement, vaccine… Elle paie la formation des infirmières portée à quatre ans. Elle œuvre pour les droits du troisième âge : retraite, assistance, logement, alimentation, habillement, soins de santé, divertissement. Les mères célibataires, les femmes comme unique soutien de famille peuvent compter sur son aide. Elle pense vraiment à tout…
– Cela devrait être uniquement du ressort du gouvernement à mon avis ! Cela s’apparente à de la charité chrétienne à grande échelle. Pour moi, Eva est une mère Theresa…
– Elle agit avec le cœur dans le cadre du péronisme qui rejette autant le capitalisme bénéficiant à une caste que le communisme géré par l’État. Pas question d’abolir la propriété privée, le capital doit revenir au peuple, c’est tout… Peron nous a beaucoup inspiré à Cuba, mais nous nous sommes extrêmement radicalisés à gauche suite aux pressions et menaces des États-Unis.
– J’appelle cela ménager la chèvre et le chou. Dans les faits, le péronisme oscille sans arrêt entre la gauche et la droite si je ne me trompe. Si la situation économique est mauvaise, on serre la vis; si elle s’améliore, on la desserre. Une dernière question, Cristina : d’où provient le financement des œuvres de la fondation Peron ?
– En grande partie des syndicats qui lui versent de l’argent dès qu’ils ont obtenu des augmentations de salaire pour les travailleurs. Evita comme ils l’appellent est si liée à eux par son engagement social qu’ils proposent en 51 sa candidature à la vice-présidence de la nation aux côtés de Peron. Atteinte d’un cancer métastasé de l’utérus, très affaiblie, elle refuse, mais elle apparaît encore dans quelques réunions publiques avec des discours agressifs et des menaces apocalyptiques contre l’oligarchie qui refuse de partager le gâteau.
– Une vraie passionaria !
– Son mari est réélu avec un plus grand nombre de voix que lors de l’élection précédente grâce à l’apport de voix féminines mobilisées par son épouse. Jusqu’au bout, elle pense au destin de son peuple par-delà sa mort. Quand elle s’éteint à trente-trois ans, la CGT proclame une cessation de travail de trois jours et le gouvernement décrète un deuil national de trente jours. Deux millions de personnes suivent le cortège funéraire. Son corps embaumé doit rester à jamais exposé dans les locaux de la CGT, mais lorsque Peron est renversé en 55, il est enlevé…
Le brouhaha d’une petite foule qui s’approche avec une fleur à la main nous chasse.
– Je me sens épuisée, dit Catherine. Tu fais trop travailler mes méninges, Cristina !
– Sortons du cimetière. Il est temps de rentrer à l’hôtel maintenant et de nous restaurer…
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