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Correspondance II
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- Catégorie : Savoir, culture et société > Correspondances
- Date de publication originale : 1925-1927
- Date de publication sur Atramenta : 18 septembre 2016 à 16h38
- Contributeur(s) : Françoise Pique
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- Longueur : Environ 163 pages / 57 918 mots
- Lecteurs : 190 lectures + 367 téléchargements
Correspondance II
1902
À Edmond Rostand
Paris.
3 janvier 1902.
Mon cher ami,
Il y a, dans mon bureau, une chauve-souris (de Rostand), un encrier (de Rostand), une jolie femme en bronze ciselé (de Rostand), une bibliothèque tournante (de Rostand). Je porte toujours à ma cravate un petit renard (de Rostand), et j’en oublie. Et je ne compte pas la part de Marinette et des enfants.
Et je ne vous aimerais pas ?
Ce serait très fou, d’être ingrat. Tant pis ! Je ne suis pas de cette force, et j’avoue qu’au milieu de tous ces petits cadeaux j’entretiens pour vous la plus tendre amitié.
Oui, si quelquefois j’imagine que vous êtes loin, très loin, il me suffit d’un regard circulaire pour me rassurer, et j’ai la certitude, alors, d’occuper dans votre souvenir une petite place spéciale.
D’ailleurs, je vous connais. Je pense bien que pouvoir donner est une de vos grandes joies. Comme vous devez faire des heureux ! Que de pauvres misérables doivent adorer Mme Rostand ! Oh ! continuez tous deux à être bons, dussé-je y trouver mes petits bénéfices.
Nous, nous ne pouvons pas. Je crois que je suis très heureux et que j’ai à peu près tout, sauf la puissance de gagner un peu d’argent pour le donner. Je ne souhaite pas un admirateur de plus. (J’en ai bien assez, et vous aussi !) Mais c’est toujours la même pauvreté de lecteurs. Ma littérature refuse de me nourrir ; je ne peux écrire que 25 lignes, et on ne peut me les payer qu’à la ligne. Comment ferais-je la part du pauvre ? Et ça me désole… pour les autres, car, pour moi, je deviens sage, et la médiocrité me va de plus en plus.
Je vous ai envoyé un bonjour de Chaumot à Paris. J’y étais allé faire une conférence sur Molière, et, à propos de Molière, c’est-à-dire de Cyrano, j’ai fait retentir votre nom, à la mairie de Corbigny, devant trois ou quatre cents Morvandiaux. Vous sonnez très bien. Vous savez que je m’en suis très bien tiré. Je ne parle pas mal. Je crie trop, à votre goût, mais ça fait de l’effet, je vous jure.
Je vous embrasse.
Bonjour, madame Rosemonde Rostand. Nous vous avons attendue, hier, toute la soirée. Si vous ne venez pas nous voir bientôt, je ferai un petit acte contre vous, qui me couvrira de gloire et me rapportera beaucoup d’argent. Venez vite, que Marinette, et ma fille, et mon fils, vous embrassent de tout leur cœur. Moi, je regarderai. Ne craignez rien.
À Léon Blum
Paris.
10 février 1902.
Enfin, on pourra donc aller au théâtre sans craindre d’écraser ce petit dans les couloirs !
Il doit être laid, hein ? Comme tous les hommes qui ne se sont encore donné que la peine de naître.
Ma femme ira embrasser la vôtre quand ce sera convenable. Je la félicite, bien qu’elle n’ait pas pu faire autrement, et je vous complimente, bien qu’il n’y ait pas de quoi.
Votre vieil ami.
Paris.
18 février 1902.
Mon cher ami,
Marinette me dit des choses telles que je vois que j’ai eu tort de plaisanter, ce soir, à propos de votre chère femme. Ne m’en veuillez pas. Je croyais simplement me rattraper d’avoir un jour été, moi aussi, bien ému. Donnez-nous des nouvelles de cette courageuse petite maman et de monsieur votre fils.
Votre ami à tous les trois.
À Edmond Rostand
Paris.
4 mars 1902.
Mon cher ami,
Je me disais, déçu : « Pourquoi ne parle-t-il pas, le seul qui saurait parler ? »
Vous venez de le faire dignement.
Je vous embrasse, vous et les vôtres, avec une douce émotion.
Ce n’était pas très beau, à Paris. Au fond, on aime mal Victor Hugo. J’aurais bien voulu être avec vous. J’ai passé une semaine de bonheur religieux dans vos livres.
À Mme Jules Renard
Chaumot.
28 mars 1902.
Mon chéri,
Nous avons reçu ta bonne lettre ce matin, au saut du lit. Le temps est doux, et, sans une pluie fine, ce serait un beau temps, mais il y a des éclaircies.
En ce moment (midi) il ne pleut pas, et il fait un temps agréable. C’est plein de violettes blanches et rouges. Baïe fera de jolis bouquets.
Mme Gros vient de nous faire faire maigre. Fantec et moi, nous ne sommes pas portés sur la morue, mais Philippe s’est régalé. Heureusement, nous avions ton gruyère.
« Le petit bohémien » vient de sonner. Il voulait quatre sous et ses roulées, comme l’an passé, quand le monsieur et la dame l’ont rencontré sur le canal. Philippe, qui ne le connaît pas, ne s’en est débarrassé qu’en le menaçant de Pointu. Mais il a dit qu’il reviendrait. Si je le vois, je lui donnerai sa part de droits d’auteur.
Je vous embrasse bien fort, mes chéris.
À Lucien Guitry
Paris.
10 avril 1902.
Mon pauvre vieil ami,
Rentré hier soir, j’allais vous envoyer le télégramme plaisant. J’apprends, par le Figaro, que votre mère est morte. Je sais que vous aimiez votre mère, et je ne trouve rien à vous dire.
Un mot, si vous avez besoin de voir
Votre
JULES RENARD.
À Romain Coolus
Paris.
21 mai 1902.
Mon cher ami Romain Coolus,
Je vous par votre presse, comme je l’ai vu par votre répétition générale, que vous avez lieu d’être content. Je m’en réjouis, croyez-le bien. Un peu plus tard, si vous me faites toujours l’honneur de me demander mon impression, je vous la dirai. Ce sera un quart d’heure de causerie littéraire et amicale. Mais ne vous gênez pas !
Ce qui importe aujourd’hui, c’est votre succès qui, sans m’être aussi agréable qu’à vous, me fair grand plaisir.
Vôtre.
À Jeanne Granier
[Chaumot.]
12 juin 1902.
Merci, chère et illustre amie, pour le bon souvenir que vous avez gardé, dit Serge Basset, du Plaisir de Rompre. Et, moi, si jamais j’ai la conscience d’avoir fait un chef-d’œuvre (tout arrive), j’exigerai qu’il soit joué par Jeanne Granier, l’unique et non pas une autre.
Mon fils vous embrasse. Depuis le 1er Avril, c’est lui qui est mon successeur, et qui embrasse pour la famille.
À Alfred Athis
Chaumot.
Le 29 août 1902.
Mon cher enfant,
J’attendais, pour vous écrire, le résultat d’une affaire qui m’a donné un mal de chien. Il s’agissait de placer, comme retrousser de rideau, le Pain de ménage au Théâtre Guitry. Enfin, c’est fait. J’ai même changé le titre de ce pur chef-d’œuvre, qui s’appellera le Pain rassis. Mais me voilà tranquille pour mon hiver. Vous ne souffrirez pas d’une autre réclame qui me soit personnelle. Il paraît que le baisser de rideau, la Châtelaine, de Capus, sera quelque chose d’ébouriffant. Va-t-il me piétiner, ce bougre-là !
Enfin, pour 15 francs par soir, je suis prêt à tout.
Cette affaire menée à bien, je me repose. Je n’ai pas remis les pieds dans Monsieur Vernet. J’ai envie de faire jouer le premier acte en 1903 et le deuxième en 1904. Il faut que je ménage mes admirateurs, qui en crèveraient si je lâchais tout. Je suis décidément presque aussi paresseux que vous. Eussiez-vous fait vos trois actes cet été que j’aurais encore de l’avance. Ne les faites donc pas.
J’ai, pour toute fatigue, lu les trois volumes (et encore !…) de Faguet sur les Politiques et moralistes du XIXe siècle. Vous savez comme moi que ce critique est un fou, mais ce n’est pas un fou ennuyeux.
Nous avons passé ici un mois d’Août exquis : pas un flocon de neige. Je me bourre de fromage à la crème. Le temps de digérer, le jour et la nuit sont passées. Tout le monde va bien, et Marinette me dit de temps en temps qu’elle aime beaucoup votre femme. Ça occupe. Vous devriez venir nous voir : j’irais vous attendre sur le pont.
J’ai bien coupé, rentré et vendu mes avoines. Je suis un homme heureux, et, si Antoine prenait l’Odéon tout de suite, je n’aurais aucun remords de ne pas penser à son théâtre.
Au revoir. Bonjour à la multiplication des Natanson.
À propos, maintenant que Fantec m’oblige à passer dix mois sur douze à Paris, qu’est-ce qu’ils attendent pour m’offrir la critique littéraire, ou dramatique, ou morale, dans une de leurs gazettes ? Cinq cents francs par mois. Souflez-leur ça ; je vous donnerai 6 %.
Je vais chercher quelques vers dans le fumier de notre vache et les offrir, au bout de ma ligne, à quelques goujons qui se foutent de moi, mais qui, au fond, tout au fond, m’adorent.
À bientôt. Votre vieux maître.
J’ai reçu, ce matin, une lettre du préfet m’informant que j’étais nommé délégué cantonal. Je suis tout pâle ; vraiment, la République me gâte. Je vais à l’instant m’enquérir de quelques sœurs à f… à la porte. Pourvu que le petit père Combes n’ait pas tout raflé ! Ce vieux Coppée va entendre parler de moi.
Et, après ça, guerre aux juifs, dont vous êtes, si vous ne m’abusez. Je veux rester seul à Chaumot et en France.
À Antoine
Chaumot.
9 septembre 1902.
Mon cher ami,
Je me rappelle, en effet, que je vous ai lu deux petits actes, cet été, et que le premier ne vous déplaisait pas trop. Comme c’est loin !
Naturellement, je n’ai pas abîmé le premier. Quant aux deuxième, je l’ai relu quelques fois, et, malgré mon culte pour le théâtre en un acte, nous serons bien obligés de le jouer le même soir que le premier.
Ah ! Poil de Carotte m’aura fait bien du mal ! J’étais né pour regarder les arbres, et l’eau, et pour vous envoyer une fois par an, à titre d’admirateur, une bourriche de perdrix, bien plutôt que pour m’occuper de toutes ces gueules qui composent une salle du Théâtre Antoine. À chaque instant une voix me dit : « Fais donc du théâtre ! » Et une autre me crie : « Quelle belle bucolique, à te rendre immortel ! » Résultat : rien.
J’étais travailleur, rangé, honnête homme. Me voilà paresseux, hésitant, et menteur comme une mise en scène : Antoine m’aura perdu.
Voilà : je rentre, avec mon grand fils qui est un des plus brillants élèves du lycée Condorcet, le 2 octobre. Je m’absente le 27 pour faire mes 13 jours comme sergent décoré, – les plus beaux 13 jours de ma vie, – et je vous dis : réglez-vous là-dessus. Nous répéterons quand vous voudrez, et vous me jouerez quand vous voudrez. C’est mon système, de n’avoir aucune volonté personnelle au théâtre. Dans la vie, je suis à poigne de fer.
Le New York Herald – Pierre Veber, sans doute, – annonce que Monsieur Vernet passera avec une pièce de Vaucaire et une autre de Picard, et que, pour Monsieur Vernet, il est question de l’engagement d’une étoile comique très connue. Quelle étoile ? Vous pouvez bien me le dire, à moi.
Monsieur Vernet irait peut-être mieux avec trois actes un peu genre Boule de Suif, mais, je vous le répète, à votre aise. Coupez votre spectacle en autant de morceaux qu’il vous plaira, pourvu que les deux miens soient bons.
Je suis heureux de votre voisinage avec Guitry. Ne vous l’avais-je pas dit au Havre, que vous deviendriez deux frères ?
À bientôt, mon cher directeur. J’entends chanter des perdrix. J’y cours.
Est-ce que nous irons à l’Odéon ? Comme j’y serais bien ! Il me faudrait cette large scène pour remuer mes poules. On y reprendrait Poil de Carotte, avec toutes ses bêtes.
Oui, c’est bien dommage que Gémier n’ait pas réussi. Je lui avais donné un lever de rideau, lui disant : « Ou c’est idiot, ou ce n’est pas idiot. Si c’est idiot, rendez-le moi ; si ça ne l’est pas, jouez-le-moi quand vous voudrez. » Toujours mon système ! Je ne sais pas encore à quoi m’en tenir, mais je voudrais bien mon manuscrit. Et Chastenet meurt ! Je me rappelle ce que vous m’avez dit de cet homme singulier.
Comment pouvez-vous aimer le théâtre, Antoine ?
La vie est si belle !
À Lucien Guitry
Chaumot.
20 septembre 1902.
Mon vieux frère,
Si je pouvais vous envoyer la photographie du temps qu’il fait ici, vous seriez tous demain matin à Chaumot.
Il y a des journaux qui disent que le Pain de ménage sera joué avec la Châtelaine. C’est quelque numéro de votre troupe qui aura été indiscret, car, moi, je n’ai soufflé mot. C’est peut-être vous, au fait, qui traitez le Pain de ménage de « petit acte charmant ».
Vous ne me connaissez plus, donc ?
À propos, puisque vous êtes directeur, sachez que Athis (Alfred Natanson), auteur d’Une grasse matinée, vient de terminer trois actes. Vous savez que ce garçon a beaucoup d’esprit et que ça peut être très bien. Je vous donne ce renseignement, mais ce n’est pas un communiqué d’auteur à la Serge Basset.
Est-ce que votre amie nous méprise ? Marinette et moi, nous lui avons écrit une lettre délicieuse. Pas de réponse.
Quel hiver se prépare ?!
Le fait est que ça m’embête de faire mes 13 jours à Cosne, et, si votre ami Chauvin était toujours là, j’irais peut-être le voir. Mais ne parlons pas de ça, ni des autres soucis. Mon pauvre vieux frère, j’en ai jusque-là ! Je croyais que ça étouffait : pas du tout ! Je m’en f… Je vous le dis : je vais entrer dans la Dette ! J’y entre ! Et ça m’est égal. Et nous sommes, Marinette et moi, d’une gaîté étrange, comme dit votre amie.
Et le temps est merveilleux.
Nous sommes enchantés, et nous vous aimons comme si vous n’alliez faire que des fours.
Je vous qu’Antoine vous prend déjà vos actrices. Ça va bien !
Et Frivolin, n’est-il pas trop « notre premier auteur dramatique » ? Encore un qui a une femme qui ne répond pas aux lettres. Dites-le lui sur-le-champ.
À Alfred Athis
Chaumot.
20 septembre 1902.
Tout cela est très suffisant, mon cher Athos (c’est là que vous voulez en venir), mais ne nous dit pas pourquoi votre chère Marthe (la plus charmante après celle du Pain trop cuit), n’a pas répondu à une lettre délicieuse, dans laquelle nous vous suppliions de venir passer quelques jours dans le pays de votre belle-mère.
Marinette est profondément froissée. Elle avait écrit et signé la lettre toute seule.
Et, puisque vous avez trois actes, pourquoi ne les montrez-vous pas à Guitry ? Vous savez ce que je pense de cet homme. Entre autres génies, il a du goût. À votre place, moi, je ne ferais pas le fier.
Et puis, perdez donc cette manie bien française de dire que vos pièces ne sont pas des chefs-d’œuvre. Eh ! mon cher, n’est pas incapable de faire des chefs-d’œuvre qui veut, et, moi qui vous parle, je n’ai jamais pu en rater un.
Et puis, ça me dégoûte de vous écrire par ce temps-là. J’ai justement une envie de pisser qui va me permettre de passer trois ou quatre bonnes heures au soleil.
À Octobre !
À Lucien Guitry
Chaumot.
23 septembre 1902.
Vous êtes un vieux frère exquis et inaliénable.
Mais je veux, quelque temps, m’offrir la joie amère de regarder les gueules des gens auxquels on dit : « Vous n’auriez pas 100.000 francs à me prêter ? »
Je ne connaissais pas cette grimace : ça vaut la honte.
Tout cela n’est rien, vous dis-je. Je vais faire des milliers de petits actes qui me permettront de placer quelque argent de côté pour vos vieux jours. Car vous me faites peur, avec vos audaces, et Leubas (j’avais écrit : Peutat), ne me rassure qu’à demi.
Dominique nous a écrit, ce matin, des « averses » très gentilles.
Tout va bien.
Et qu’est-ce qu’ils fichent, au Figaro, avec leurs sœurs ? Ça devient répugnant. Impossible d’envoyer une ligne à cet organe.
À Mme Jules Renard
Chaumot.
3 octobre 1902.
Ma grosse chérie,
Je rentre de la chasse, et j’ai la désagréable surprise de ne pas trouver une lettre de toi. Je pense bien que c’est la faute de la poste, et je ne suis pas inquiet.
Ce matin, le père Thépénier nous a réveillés avec sa batteuse. Il a couru toute la journée, hier, pour avoir des gens de Chaumot. Il veut nous battre à la machine. D’ailleurs, tu sais que tout ça ne m’intéresse qu’au point de vue littéraire.
Pierre, hier, dînait avec moi. Je lui servais de l’eau minérale, sans le faire exprès, au lieu de vin. Il ne réclamait pas, buvait son eau et trouvait seulement que mon vin blanc était devenu un peu plat. Nous avons dîné tous deux en gardant notre casquette sur notre tête.
Rien tué ce matin, ni hier soir. Mais les bois sont de toute beauté. En rentrant, je suis allé voir papa et le tonton.
Je vous embrasse, mes bons trésors.
À Lucien Guitry
Paris.
10 octobre 1902.
Mon vieux frère,
On m’appelle là-bas, il faut y aller. Sans quoi, ça ne serait pas la peine de pleurer en lisant le discours de France.
Je sais que mes jeunes gens ne souffriront pas de mon absence. Ils n’avancent pas, avec moi. Si vous pouvez les prendre un quart d’heure dans un petit coin, ça leur fera un bien énorme et suffisant. Le texte est définitif, mais qu’ils ne se gênent pas pour le modifier.
Lundi, envoyez-moi un mot rue du Rocher pour me dire si on répète le soir à 9 heures ; j’y serai.
Au revoir, prochain fleuve d’or ! Si mon candidat passe, je vous paierai à boire.
Mon furoncle, qui avait l’air de vous intéresser, est admirable. Je ressemble à Rhinocéros.
À Mme Jules Renard
Chaumot.
11 octobre 1902.
Ma chérie,
Au fond, je t’avoue qu’hier soir, en arrivant à Chaumot où tout avait une odeur d’indifférence, j’ai pris un peu en pitié mon excitation, que tu partageais. Enfin, c’est toujours ça de gagné sur l’égoïsme. Il n’y a de vrai que la misère à soulager.
Sans cette élection, je passais une journée dans les champs avec Myrrha. Que c’est beau ! Les paysans ne devraient jamais se plaindre.
D’ici, le château est à embrasser la comtesse. Ça a changé en une semaine, comme si les arbres avaient fait une maladie.
Joseph me manque bien. J’aurais dû l’emmener, car cette pauvre Ragotte fait bien ce qu’elle peut, mais elle me décourage. Elle m’avait sucré mon café ce matin, je ne te dis que ça !
Mme Gros est à Paris. C’est son ancienne bonne qui me fait la cuisine. Ça se vaut. J’ai l’air de venir passer quelques jours à Chaumot pour faire une cure de vermicelle. Il faut en rire. Sois tranquille ; je ne m’en aperçois même pas.
À bientôt, mes gros chéris.
À Marcel Boulenger
[Paris ?]
Octobre 1902.
Mon cher ami,
Comme vous connaissez bien mes goûts de vieux maître d’école !
Non, la phrase n’est pas très bonne. Elle est claire, sans doute ; elle ne l’est pas assez. N’être pas assez clair, pour le bon écrivain, c’est être obscur.
Vous faites une observation neuve : il faut qu’elle paraisse neuve au lecteur.
Vous voulez lui dire que la neige fait du bruit. C’est joli et audacieux. Dites-lui donc : « La neige fait du bruit ».
Dites-le lui nettement. Ne mettez pas votre remarque sous un tas de mots. Le lecteur, qui ne se donne aucun mal, ne prendra pas la peine de déblayer votre phrase. Il faut qu’il reçoive le choc direct de votre remarque originale, comme une petite tape sur la manche.
Oui, vraiment, je chercherai mieux.
Et puis : « Sans même remarquer », « sans bruit ». Corrigez, mon cher fils, corrigez. Ça en vaut la peine.
Et comme « branchages », mot invertébré, est moins lumineux que « branches » !
Et puis, le mot « trouble » n’a pas besoin du mot sans saveur qu’est le mot « grand ». Écrivez « trouble », « grand trouble », et jugez.
Mais pardon !
À Lucien Guitry
Paris.
12 novembre 1902.
Mon vieux Louis XIV,
Molière était-il homme à jouer la Châtelaine et à dire du Coppée dans des endroits honteux ? L’affaire du décor prouve simplement qu’Amable se connaît mieux que vous en peinture.
D’ailleurs, votre auteur m’avait déjà consolé avec ce mot : « Il le fallait. Le théâtre avait besoin d’un décor qui puisse servir à tous ses levers de rideau. » Je suis donc sans amertume, et je vous accorde encore une huitaine de jours.
Et, si même vous avez besoin d’un autre immeuble, ma maison ne vaut que 150.000 francs, mais je vous la laisserai bien pour 300.000… Ah ! comme je rirai de cela quand vous serez tous morts ! Je ne connais personne qui soit, ces jours-ci, plus méprisant que moi.
Ce qui ne m’empêche pas, sire, de déposer aux pieds de Votre Majesté l’admiration que j’ai pour un roi le plus grand, le plus magnanime et le plus triomphant du monde.
Savez-vous comment ma mère appelle l’auteur de ces trois petits actes : Poil de Carotte, Plaisir de rompre, Pain de ménage ? Le chieur d’encre.
Paris.
11 décembre 1902.
Vous oubliez mon service, rien que ça ! Et, chaque matin, tout le ministère est aux fenêtres pour me voir arriver si exactement. De sorte que j’ai pris froid, et que j’ai un nez à la Grosclaude. Ça me fait bien mal, je vous jure. Sans quoi, ne serais-je pas tous les soirs dans les loges de vos petites femmes ? En ce moment, il me dévore ce nez. Je crains de devenir laid. Heureusement, mes cheveux se cramponnent.
Et puis, ne faut-il pas que de temps en temps je regarde la blessure de votre coup de fusil à Monsieur Vernet ? Si vous croyez que c’est aussi facile à écrire, une scène de Monsieur Vernet, que vos réclames pour la Châtelaine !…
N’avez-vous pas peur, au moins, que Pain de ménage vous fasse du tort ? Voulez-vous que je l’enlève ? Si, des fois, un spectateur le voyait !… Allons ! je vous excède. Pardon, mon vieux frère : j’ai une commission à vous faire de la part de Marinette. C’est délicat. Nous choisirons quelque jour où le tyran dormira.
Et puis, zut ! Je vous le dis. Tournez !
Nous les sentons venir, ils approchent, vos lilas annuels, et déjà vos lilas annuels nous font mal au cœur. C’est insensé, de croire que Marinette a des goûts de fille. Bon pour moi !
Alors, d’avance, Marinette vous revend vos lilas 20 francs pour ses pauvres de Chaumot. Elle vous montrera son calepin.
Voilà, grand homme. Dites ce que vous voudrez de cette idée-là, mais, moi, je la trouve bien.
Vive Marinette !
À Marcel Boulenger
Paris.
15 décembre 1902.
Mon jeune frère,
Ça m’ennuie de me vanter (et encore !…) mais c’est la vérité que je viens de parler de vous à Ollendorff en des termes qui me font rougir.
Il m’a demandé ce que vous pouviez faire. J’ai répondu : « Tout ! »
Il vous attend. Allez le voir le plus tôt possible, vers 4 h. 55, rue d’Amsterdam.
Je sais bien que votre ami Vandérem avait commencé, mais je le défie de prouver que j’ai mal fini.
On sera, je crois, très bien dans cette maison.
Votre vieux maître et bienfaiteur.
Table des matières
- 1900 Env. 22 pages / 7788 mots
- 1901 Env. 22 pages / 7828 mots
- 1902 Env. 12 pages / 3980 mots
- 1903 Env. 13 pages / 4605 mots
- 1904 Env. 15 pages / 5228 mots
- 1905 Env. 19 pages / 6428 mots
- 1906 Env. 16 pages / 5527 mots
- 1907 Env. 7 pages / 2408 mots
- 1908 Env. 15 pages / 5126 mots
- 1909 Env. 21 pages / 7433 mots
- 1910 Env. 5 pages / 1567 mots
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