Confuses pensées…

« Le Poète est semblable au prince des nuées

Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;

Exilé sur le sol au milieu des huées,

Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. »[1]

Charles Baudelaire

« L’Albatros »

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Le sort d’un grand nombre d’écrits

N’est-il pas de sombrer tristement dans l’oubli ?

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Avant même d’agiter ma plume, en ma chère solitude, je réalise le fleuve ou le déluge de mes confuses pensées. Coutumièrement, mon âme voyage. Elle musarde en mon univers noétique. Mes idées s’enfargent ou s’embrouillent. Elles m’échappent lors de mes faiblesses mnésiques[2]. Puis, je constate la difficulté ou l’impossibilité d’en reprendre le fil ou de les partager.

Combien d’œuvres sont nébuleuses ou brumeuses en substance parce qu’il nous manque cette aisance ou cette souplesse dans la perspective narrative ? Bref, maîtrisons-nous vraiment l’art d’agencer et de communiquer nos pensées ?

Détenons-nous une bonne discipline structurelle et mentale dans l’armature des énoncés ? En clair, doit-on considérer la limpidité idéationnelle comme une science ou telle une bénédiction innéiste[3]? Peut-être découlerait-elle d’une fort judicieuse alliance de plusieurs facteurs ?

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Tout est si vague, si confus lorsqu’il est question de formuler nos pensées. Sans oublier le senti tantôt si inexprimable. Cette mystérieuse nébulosité sur laquelle repose le temple de l’ébauche. Je sens parfois le désir ou l’humeur de soulager ou de débonder mon âme, mais que dévoiler en somme ? Et surtout comment donc livrer le message ?

J’éprouve fréquemment un malaise inexprimable lors d’un projet d’écriture. J’imagine que tous les hommes de plume, les prosateurs, les poètes rencontrent ces nombreux désordres noétiques pouvant métamorphoser d’informes ou de fuyantes idées en de ravissants assemblages, ou en de magnifiques harmonies ou cohésions littéraires.

En plus de la charpente nécessitant une éminente persévérance, comme tout travail de l’esprit, nos plumes doivent refléter l’intelligence et la volonté qui les motivent. Et s’il nous arrive d’être contraints d’envisager une longue pause, comme tout travail en désertion ou à l’abandon, cette aventure nous semblera fort malaisée, dès la reprise de son parcours.

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Manifestement, certains sujets nous passionnent plus que d’autres. Ce phénomène résulte de nos natures respectives, de nos priorités. À la perspective d’une nouvelle œuvre, en général le fatras[4] et le doute nous visitent. Mais, dès l’amorce, dès l’exorde, la contexture se précise. La magie s’opère et un coup du sort se manifeste. En somme, les propos cheminent au rythme des mots qui s’agencent ou s’harmonisent en une intime concorde ou communion entre l’auteur et son âme. Ainsi chemine ou vagabonde la plume au mouvement idéel qui l’enflamme.

Il est indéniable que l’esquisse idéationnelle n’est jamais très claire de prime abord, et nous risquons tous, sans exception, de nous égarer dans l’abondance ou le désordre de nos pensées, lorsqu’il s’agit de réaliser une œuvre littéraire. Personne ne serait à l’abri de ces épais nuages. Même les initiés, ceux qui savent penser ou qui maîtrisent parfaitement l’art du récit ou de la poésie, traversent souvent ce désert intérieur.

Le songe a le charme aérien ou l’âme vagabonde. Comme il se définit ainsi, il se présente sous forme d’une dense et sommaire rêvasserie, sans véritable cohérence. Nul ne peut pensivement l’empiéger. Il nous parcourt, nous caresse, nous grise, mais ne se fige jamais vraiment que par l’écrit.

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Ce qui fait de moi une amoureuse des mots se trouve ailleurs, dans mon imaginaire. Et je vous reviens comme l’on reprend une corvée. Chargée de bagages à défaire. On prétend que l’on ne peut trouver plus sincère échange qu’une conversation amicale de vive voix. Je ne partage pas cette théorie. L’écrit, par exemple, peut nous convier, dans la plus complète intimité, à nous confier, à déverser fluidement nos vérités, en toute liberté sans risquer l’interruption, alors que la parole, par son élusive musique, peut sans peine inonder le discours de feintise, d’enflure ou de mensonge.

On ajoute que l’expression verbale se conjugue d’éphémère ou se destine à sombrer dans l’oubli, à l’image de toute indicibilité. Ce qui constitue une inqualifiable fausseté de plus au chapitre des vaines, fictives ou creuses théories. À l’image de l’expression écrite, la parole peut s’implanter ou s’enraciner dans les consciences et causer d’impérissables déchirures ou, inversement, nous léguer d’immortels bonheurs.

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En certaines occasions, dans les missives par exemple, où le lectorat ou l’auditoire ne se compose que d’une ou deux personnes, Dostoïevski exprime l’idée que l’humaine visée de communiquer aurait préséance sur le style, tel un exutoire ou une nécessité de nous soulager l’âme ou de déposer un baume sur nos solitudes[5].

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