Au cœur de Noël

— Mademoiselle Désirée Faulin ?

— Oui, c’est moi.

— Préparez-vous, c’est le moment. Nous passerons vous prendre dans une heure.

— Maintenant ? Mais… Enfin, heu…

— Vous n’avez pas le choix du moment. Voulez-vous renoncer ?

— Non, bien sûr. Je vous attends.

Désirée raccroche. Sa valise est toujours prête. Elle s’attendait à ce coup de fil, mais au fond d’elle-même n’y croyait pas vraiment. En elle, l’espoir se dispute avec l’angoisse.

***

Marc Desplant regarde défiler les chiffres lumineux au-dessus de la porte de l’ascenseur. Il lui semble que la montée est infiniment lente, mais elle progresse sans anicroche. Enfin le balancement de l’arrivée au dernier étage, les portes s’ouvrent dans un bruit de succion alors que retentit la petite cloche habituelle.

Marc resserre sa main sur la poignée du coffre qu’il n’a pas lâché. Il s’élance. Son camarade, Jeannot, s’est déjà précipité sur les portes du palier, puis de la terrasse au sommet de l’immeuble. Il lui maintient le passage ouvert. Au centre de l’héliport, l’hélicoptère ronfle déjà. Ils courent dans le souffle des rotors et grimpent dans l’appareil.

— Tout est OK ? questionne le pilote en même temps que son engin s’élève.

Marc Desplant jette un regard sur l’affichage lumineux du coffre :

— Tout va bien, la température est bonne.

***

Sanglée, allongée dans le camion, Désirée sent la pointe de l’aiguille pénétrer dans son bras. Elle a été bien briefée à plusieurs reprises, elle sait ce qui l’attend. Ce qu’elle n’avait pas prévu, c’est une pensée insidieuse qui vient envahir sa tête. Qui ? À qui doit-elle cet enlèvement ? Que sera sa vie ensuite ?

La drogue injectée fait son œuvre et les pensées de Désirée deviennent de plus en plus floues, se mélangent et flottent dans un tourbillon qui l’emporte vers le néant. Elle ne ressent plus rien et s’en remet au ciel.

***

A peine les patins posés, Marc Desplant et Jeannot jaillissent de l’hélicoptère et la course reprend à nouveau. Cette fois-ci, l’ascenseur compte à rebours. Lorsqu’il affiche enfin -1, puis -2, Marc sait qu’ils sont presque arrivés. Dans les couloirs blancs, le froid les accueille, mais ils n’ont pas le temps de le ressentir.

Enfin, il remet le précieux coffre à son destinataire :

— Voilà. Nous y avons veillé comme à la prunelle de nos yeux.

— Parfait, merci beaucoup ! Bravo !

— Bon courage à vous.

— On vous donnera des nouvelles, comme d’habitude.

Revenus dans le couloir, Marc et son ami ne s’accordent pas de répit, mais ils marchent tranquillement, remontent au dernier étage de l’immeuble pour reprendre leur envol. Cette fois-ci, ils vont pouvoir admirer le paysage et peut-être dormir un peu. Leur mission est accomplie.

***

Dans une demi-conscience, Désirée le voit, lui, celui qui est le maître de sa vie. Elle a envie de lui sourire, mais ne sait pas si ses lèvres parviennent à le dessiner sur son visage. Lui, Michel Bernard, l’enveloppe d’un regard confiant tandis qu’elle est emmenée au bloc. Définitivement shootée, elle se laisse aller au royaume du sommeil.

Michel Bernard est habillé, chaussé, chapeauté, ganté, masqué. Il peut alors découvrir le contenu du coffre amené en hélicoptère. Le trésor est bien là, intact. Il lui reste alors à accomplir ce miracle qu’il a appris à réaliser. Il ne pense plus qu’à ça, répétant inlassablement chaque geste dans sa tête pour pouvoir les exécuter sans trembler et sans faillir. Son équipe l’attend, l’observera, le secondera. Tout dépend d’eux, maintenant.

***

Le jour va bientôt se lever. Michel Bernard, dépouillé de son harnachement, franchit la porte de son domaine personnel. Tout s’est bien passé. Les machines affichent des résultats rassurants, dans la norme. Il va s’allonger deux heures sur sa banquette avant de retourner voir Désirée. Elle est sous bonne garde, sous haute surveillance. Il peut donc prendre un peu de repos.

Lorsqu’il pourra lui parler, il devra sans doute répondre à ses questions, soulager l’angoisse inhérente à ce qui vient de se passer : à qui doit-elle sa future vie ? Il ne pourra lui dire qu’elle la doit à un jeune motard, presque du même âge, victime d’un accident de la route et dont les parents ont autorisé le don… Michel Bernard voudrait voir arriver le temps où des organes artificiels pourraient remplacer ceux qui sont dus à la mort d’autres personnes.

Machinalement, il passe derrière son bureau et tourne la page de son éphéméride : 25 décembre. Il ne rentrera pas chez lui. D’ailleurs, personne ne l’attend. Sa femme est partie avec ses enfants et a demandé le divorce, à cause de ce fichu métier qui l’empêche d’être avec eux, même aux moments les plus festifs pour la plupart des gens.

Michel va s’étendre sur son divan. Il ne pense qu’à Désirée et souhaite, du plus profond de lui-même, avoir réalisé pour elle une sorte de miracle… au cœur de Noël.

***